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Covid-19 et emploi

Emploi : un recrutement classique, une durée du travail revue à la hausse

Avec le lancement de la plateforme « Des bras pour ton assiette », faisant écho à la demande de Didier Guillaume de soutenir la filière agricole, les agriculteurs sont nombreux à s'interroger sur les modalités de recrutement de travailleurs indépendants dont l'activité a été interrompue par la crise sanitaire ou d'employés mis temporairement en chômage partiel par leurs entreprises habituelles.
Emploi : un recrutement classique, une durée du travail revue à la hausse

Le 24 mars, Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture, appelait les Français sans activité à « rejoindre la grande armée de l'agriculture française », en invoquant le « besoin de la solidarité nationale pour que nous puissions tous manger ». Un appel qui a provoqué un certain emballement de la part des citoyens, entendant par-là une demande de bénévolat. « Nous parlons bien de salariat », rassure Valérie Poccard, chargée de mission emploi à la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes. « Il n'est aucunement question de bénéficier de main-d'œuvre gratuite, ni de faire du bénévolat ou de l'entraide », ajoute-t-elle. Depuis, la plateforme « desbraspourtonassiette.wizi.farm », entièrement gratuite, a été lancée grâce à la FNSEA, l'Anefa, Pôle Emploi et WiziFarm.
« Cette action permet de répondre à un triple défi au niveau de la région, dans une période où les agriculteurs emploient généralement pas mal de saisonniers étrangers », explique Marion Missaoui, elle aussi chargée de mission emploi et chargée de communication de la plateforme WiziFarm. « Tout d'abord, elle permet de garantir et d'assurer la sécurité des exploitations agricoles, de pallier un éventuel absentéisme des salariés et d'augmenter la capacité de production pour nourrir l'ensemble des foyers. Dans ce contexte, l'idée est de coordonner les besoins en main-d'œuvre et les personnes volontaires, sous couvert d'un contrat de travail, pour répondre à ces objectifs », poursuit-elle.

Un geste de solidarité, mais un statut salarié

C'est donc sous un statut de salarié que les employés et indépendants actuellement inoccupés sont invités à rejoindre temporairement la filière agricole, et plus largement la filière agroalimentaire. « Comme lors d'un recrutement classique, l'exploitant agricole devra réaliser une déclaration préalable à l'embauche (DPAE) auprès de la MSA ainsi qu'un contrat de travail. Rien ne change à ce niveau-là », prévient Valérie Poccard. Les seules modifications à prendre en compte seront l'assouplissement des réglementations en termes de durée de travail. Cela doit faire l'objet d'un décret à paraître dans les jours à venir, pour une entrée en vigueur prochaine. Ce décret d'application stipulera la révision, à la hausse, du plafond de la durée de travail quotidienne et hebdomadaire. Dans ce contexte, il sera possible pour un employeur de dépasser la durée quotidienne de 10 h jusqu'à 12 h ainsi que les 48 h de travail (du lundi au dimanche) jusqu'à 60 h sans demander de dérogation à la Dirrecte*. Il convient simplement de l'en informer.

Des zones d'incertitudes

D'autre part, et selon toute vraisemblance, le salarié pourra cumuler son indemnité d'activité partielle avec le salaire de son contrat de travail dans la filière agroalimentaire, sous réserve que son employeur initial lui donne son accord pour respecter un délai de prévenance de sept jours avant la reprise du travail. Ainsi, l'employeur de la filière agroalimentaire qui embauche le salarié en activité partielle devra libérer le salarié de ses obligations sous réserve du même délai de sept jours. De leurs côtés, les bénéficiaires du fonds de solidarité pour les très petites entreprises, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales pourront cumuler le versement par fonds (1 500 euros début avril sur demande auprès du site des impôts) avec des contrats courts dans les entreprises agricoles et agroalimentaires.
Pour l'heure, le service emploi de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes étudie, au jour le jour, les différents besoins de main-d'œuvre sur la région. « Nous sommes en lien avec les différentes structures départementales. Vendredi 27 mars, les besoins en région étaient estimés à 400 personnes en avril, 700 personnes en mai, et jusqu'à 1 400 pour le mois de juin. Les départements de la Drôme et du Rhône sont les plus demandeurs, en fonction des travaux de production : viticulture, cultures spécialisées, etc. », note Marion Missaoui, alors que tous les départements de la région n'avaient pas encore recensé leurs besoins. La main-d'œuvre nécessaire pour pallier à tous les travaux agricoles sera certainement bien plus importante. 
Amandine Priolet
* Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

 

Élu il y a quelques semaines, Pascal Servier est aujourd’hui à la tête de la commission emploi et formation de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes. En cette période de crise sanitaire, il lance un appel à la mobilisation pour dynamiser l’emploi agricole.

“ L’occasion de montrer que nous sommes importants ”

Que pensez-vous de l’appel du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, à rejoindre la « grande armée de l’agriculture française » ?
Pascal Servier : «  Sur le principe, je suis évidemment d’accord mais le message est confus, il ressemble à un appel au bénévolat alors qu’on parle bien d’embauches de salariés agricoles. L’agriculture a toujours dit qu’elle paierait ses bras et il est d’ailleurs utile de rappeler que l’on peut cumuler chômage partiel et salaire touché à la ferme. Parmi nous, certains croient encore qu’ils pourront prendre de la main- d’œuvre étrangère mais, rapidement, ils se rendront compte que leurs travailleurs étrangers ne pourront pas traverser les frontières. Ils rejoindront alors la majorité des agriculteurs qui sont aujourd’hui prêts à faire face à la situation et à accueillir du monde. »

Quels sont aujourd’hui les principaux besoins en main-d’œuvre dans notre région ?
P. S. :  « Ce sont essentiellement les producteurs de fraises, dont la récolte est en avance sur la saison, qui sont en demande de main-d’œuvre. Dans le Puy-de-Dôme, les producteurs d’asperges font aussi face à des problèmes de recrutement. En élevage, la problématique est différente. Elle concerne plutôt le reste de la chaîne comme le transport de marchandises ou l’emballage de produits dans les usines. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, je pense notamment aux jeunes pour qui travailler à la ferme serait l’occasion de sortir de chez eux, de se faire un peu d’argent tout en rendant service à l’ensemble de la population. »

N’existe-t-il pas un risque à faire appel à de la main-d’œuvre en cette période de propagation du virus ?
P. S. : «  Il n’y a aucune inquiétude à avoir, nous sommes capables d’accueillir les gens dans le respect des règles sanitaires comme nous le faisons au quotidien. Nous avons aujourd’hui une vraie carte à jouer et,  si nous ne le comprenons pas, il ne faudra pas venir pleurer demain. Nous devons d’ores et déjà penser au déconfinement, cette crise sanitaire fera de la casse et il faudra malgré tout être en capacité de continuer à proposer nos produits. J’ai entendu dire que 40 000 CV ont déjà été envoyés sur la plateforme « Des bras pour nos assiettes ». Les démarches peuvent aller vite, nous sommes en capacité de proposer des candidatures aux agriculteurs et de conclure des contrats dans la journée. »

Des initiatives ont-elles déjà été prises par les organisations agricoles pour attirer de la main-d’œuvre ?
P. S. : «  Pour le moment, c’est compliqué car nous sommes plutôt dans la gestion de l’urgence. Mais il faut bien sûr réfléchir à la manière dont nous témoignerons notre reconnaissance envers tous ceux qui seront venus nous aider. J’ai par exemple proposé de leur fournir des tickets qui leur permettront par la suite d’acheter de la nourriture de qualité à prix raisonnable. D’autres idées sont sur la table, comme le fait d’organiser une grande fête lors du prochain Salon de l’élevage avec tous ceux qui seront venus nous prêter main forte. Ce confinement, s’il est difficile à supporter pour chacun, peut aussi représenter pour nous l’occasion de montrer que nous sommes importants et, qui sait, susciter des vocations pour nos métiers. » 
Pierre Garcia