IRRIGATION
Canaux du Tricastin : vers la fin du réseau gravitaire

Du sud de Donzère au nord de Saint-Paul-Trois-Châteaux, les canaux gravitaires du Tricastin permettent depuis plus de 60 ans d’irriguer la plaine de La Garde-Adhémar. Un réseau de 64 kilomètres, le dernier en France de cette ampleur, dont les jours sont certainement comptés

Canaux du Tricastin : vers la fin du réseau gravitaire
Le réseau gravitaire du Tricastin est aujourd’hui exploité par le syndicat d’irrigation drômois (SID). Il dessert près de 400 hectares de terres agricoles. © L'Agriculture Drômoise

Les canaux du Tricastin constituent un réseau de 64 kilomètres de long. Entièrement aérien, il permet depuis la station de pompage des Echaravelles d’acheminer l’eau du canal du Rhône*, vers les terres agricoles de trois communes : La Garde-Adhémar, Donzère et une partie des Granges-Gontardes. Construits dans les années 1955-56, ces canaux sont en quelque sorte la contrepartie que le commissariat à l’énergie atomique (CEA) a accordé au territoire au moment de l’implantation du site d’enrichissement de l’uranium, entré en service au début des années 1960.

Ce réseau gravitaire est aujourd’hui exploité par le syndicat d’irrigation drômois (SID). Il dessert près de 400 hectares de terres agricoles, essentiellement cultivées en lavandes, autres plantes à parfum et aromatiques et semences. Mais il faut se rendre à l’évidence : après plus de soixante années de bons et loyaux services, ce réseau est désormais totalement obsolète, voire proche de la ruine si l’on considère le nombre de fuites qui s’y accumulent chaque année. « La plupart des agriculteurs le long de ce réseau ont fait le choix de réaliser des forages car l’alimentation en eau par ces canaux aériens n’est plus du tout adaptée à leurs pratiques d’irrigation », reconnaît Maryannick Garin, maire de Clansayes et vice-président du SID.

Clarifier qui est propriétaire

Maryannick Garin, maire de Clansayes et vice-président du SID aux côtés de Fabien Leclercq, agent d’exploitation du SID, en charge du réseau gravitaire du Tricastin. © L'Agriculture Drômoise.

Passer l’ensemble de ce réseau en souterrain et sous pression serait la solution. Plus facile à dire qu’à faire. Primo, parce que le coût d’un chantier d’une telle ampleur avoisine les 8 millions d’euros. Secundo, parce qu’il est nécessaire de clarifier au préalable la situation foncière de ces canaux. A qui appartiennent-ils ? Qui finance leur démontage ? Qui est propriétaire des terrains et donc est-il possible de récupérer cette emprise pour construire un nouveau réseau ? « A l’époque de la construction des canaux, le CEA est passé sur des parcelles qu’il avait achetées mais aujourd’hui on ne retrouve pas tous les actes notariés. Sans oublier le remembrement pour le TGV qui a encore rebattu les cartes », rappelle Maryannick Garin. C’est donc sur ces questions que le SID travaille actuellement dans le cadre d’une convention avec l’Etat (lire ici).

En attendant cette clarification, l’équipe de l’antenne Sud du SID continue de faire fonctionner ce réseau gravitaire. Une charge de travail titanesque que décrit Fabien Leclercq, agent d’exploitation à la station des Echaravelles. « De début juin à mi-septembre, les canaux sont en eau six jours par semaine et seulement trois jours par semaine sur avril-mai et après le 15 septembre », précise l’agent. Le lundi, il met en route dès 4 heures du matin les deux pompes [lire ci-dessous] qui  alimentent le réseau jusqu’à Donzère, où l’eau arrivera vers midi. Toute la semaine, avec son équipe, il inspecte les différents équipements qui permettent de faire circuler l’eau depuis le canal principal vers les canaux secondaires.

Plus de 50 fuites à réparer chaque année

« Ces canaux secondaires sont des éléments en béton de 6 mètres de long qui, à l’époque, ont été fabriqués sur place par une entreprise installée à la station des Echaravelles. Aujourd’hui le béton vieillit, les ferrailles rouillent et se cassent avec les mouvements de terrain. C’est pourquoi, sauf période de canicule intense, nous essayons de conserver le réseau hors d’eau le dimanche, jour où nous réparons les fuites », indique Fabien Leclercq. Pas moins d’une cinquantaine par an sont prises en charge par les agents du SID, qui doivent également assurer le nettoyage des canaux, le débroussaillage des abords… « C’est un réseau totalement archaïque qui ne peut fonctionner que grâce à la présence humaine », souligne Maryannick Garin. Il espère que le projet de création d’un réseau sous pression pourra se concrétiser dans un avenir proche. « Aujourd’hui, pour que les agriculteurs ayant souscrit un débit sur ce réseau gravitaire puissent irriguer, nous sommes obligés de le maintenir plein en permanence. Pour cela, nous faisons fonctionner une pompe d’un débit de 1 500 m3/h. L’eau qui n’est pas prélevée est rejetée dans le contre-canal grâce à dix exutoires tout au long des 64 km de réseau. Mais nous ne savons pas au final quelle quantité d’eau est réellement utilisée pour l’irrigation. Nous l’évaluons à 15 % en moyenne », détaillent le vice-président et le responsable technique de la station.

Economie d’énergie

Maryannick Garin estime par ailleurs que la construction d’un réseau sous pression permettrait, avec la même énergie que celle utilisée pour l’alimentation du réseau gravitaire, d’alimenter près de 2 000 ha de cultures, contre 400 aujourd’hui. Il est persuadé que les agriculteurs qui ont réalisé des forages reviendront vers le réseau sous pression dès que celui-ci sera opérationnel. Il évoque aussi la possibilité d’étendre ce futur réseau sur Les Granges-Gontardes, Clansayes, Valaurie… La juste utilisation de la ressource, même quand elle provient du Rhône, est désormais une priorité. L’époque du gravitaire semble bel et bien révolue, et les canaux aériens pourraient bien disparaitre du paysage du Tricastin d’ici la fin de la décennie.

Sophie Sabot

* Canal de Donzère à Mondragon.

Fonctionnement du réseau gravitaire

Une prise d’eau (photo 1) située sur le canal de Donzère à Mondragon permet d’alimenter la station des Echaravelles et les deux réseaux qui y sont raccordés : le réseau gravitaire du Tricastin et celui sous pression [qui permet d’irriguer des terres au sud-est de celles desservies par le gravitaire]. Une conduite de 110 cm de diamètre amène l’eau depuis la prise d’eau jusqu’à la station de pompage toute proche, après un passage préalable dans un puit avec dégrilleur. Sur les six pompes de la station des Echaravelles, trois sont réservées au réseau gravitaire. Deux fonctionnent simultanément (photo 2) pour la mise en eau des canaux puis une seule pompe prend le relais pour assurer un niveau d’eau satisfaisant en permanence. Le canal principal (photo 3) - 1,4 m de large sur 1,2 m de profondeur - longe la RD 458 puis la RD 541. Il dessert un réseau secondaire (photo 4) constitué d’éléments bétonnés en demi-lune, de 1 m de large à 0,5 m pour les plus étroits. Sur le canal principal, 14 régulatrices permettent avec un système de balancier d’ouvrir ou de fermer des vannes en fonction du niveau d’eau. D’autres vannes manuelles, les palettes, sont actionnées par les agents du SID pour réguler le niveau d’eau dans les canaux secondaires.

S.S.