INTERVIEW
Loïc Morel : “ Retrouver le bon sens paysan ”

La filière du machinisme reste aujourd’hui encore perturbée par les conséquences de la crise Covid. Le point avec Loïc Morel, président du syndicat national des entreprises de service et distribution du machinisme agricole, d’espaces verts et des métiers spécialisés (Sedima).

Loïc Morel : “ Retrouver le bon sens paysan ”
Loïc Morel, président du Sedima. ©Sedima

Quel bilan dressez-vous de la situation du marché de l’agroéquipement à l’issue de ce premier semestre 2022 ?
Loïc Morel : « L’activité de la distribution de matériels agricoles est positive sur le premier semestre 2022. La progression des prises de commande est estimée autour de 13 % pour le matériel neuf et de 15 % pour le matériel d’occasion. Par ailleurs, le chiffre d’affaires généré par les pièces magasin et les prestations à l’atelier est en hausse sur les six premiers mois de l’année (+ 10 à 15 %). Malheureusement, les délais d’approvisionnement sont encore considérables. Nous sommes toujours dans une phase de reprise post crise sanitaire. »
Quelle visibilité avez-vous sur ces délais de livraison ?
L. M. : « Aucune. Nous sommes dans une phase où il faut éponger toutes les commandes passées durant la crise et non produites. Tous les modules électroniques viennent de Corée du Sud ou de Chine, des pays qui restent aujourd’hui encore très impactés par la Covid-19. Certaines commandes de matériels ont plus d’un an de retard. Lorsque nos clients nous demandent quand nous allons recevoir le matériel qu’ils ont commandé, nous n’avons aucune réponse à leur donner. Cela crée des tensions. »
Que voulez-vous dire par là ?
L. M. : « Certains clients ne comprennent pas que ce ne sont pas nos magasiniers, nos mécaniciens ou nos commerciaux qui sont fautifs ou menteurs. Nous ne maîtrisons rien en ce qui concerne les délais. Certains de nos salariés se voient reprocher des choses alors qu’ils n’y sont pour rien. Nous n’avons pas de moyens d’action et nous demandons à nos clients de se montrer un peu plus compréhensifs. » 
Comment envisagez-vous la fin d’année ?
L. M. : « Au premier semestre, l’effet post-Covid a été positif puisque nous avions du stock aux « anciens tarifs ». Mais aujourd’hui, certains fournisseurs ont surréagi pour se protéger et mettent le balancier très haut pour se couvrir. En se comportant ainsi, des tensions apparaissent sur les produits, les prix et les hommes. Nous sommes désormais obligés de commander sans réellement connaître le prix final. Ce n’est pas une situation durable. Il faut que chaque maillon assume ses responsabilités pour ne pas mettre sous tension le maillon suivant. Nous souhaitons que chacun revienne à la raison et retrouve le bon sens paysan, afin de préserver la filière à tous les niveaux. Pour l’heure, on s’attend à une fin d’année 2022 et un début d’année 2023 très compliqués. » 
Face à quelles augmentations avez-vous dû faire face ?
L. M. : « D’ordinaire, les prix augmentent de 1 à 2 % chaque année. Dans ce contexte, selon les gammes de produits, nous avons connu de 12 à 28 % de hausse en un an et demi. 90 % des concessionnaires disent qu’ils ont subi des hausses de prix sur des matériels déjà commandés de la part de leurs fournisseurs. A contrario, plus de 80 % des concessionnaires (matériels agricoles, espaces verts) disent qu’ils n’ont pas pu répercuter les hausses de prix à leurs clients (chiffres tirés d’une enquête Sedima, ndlr). Nous faisons actuellement tampon entre nos fournisseurs et nos clients, mais la situation commence à devenir sérieusement compliquée. »
L’enjeu de la main-d’œuvre est-il toujours d’actualité ?
L. M. : « Plus que jamais. Il nous manque aujourd’hui entre trois et cinq-mille salariés au sein de la filière. Nous avons d’ailleurs lancé une campagne de communication dédiée à la promotion de nos métiers, #LaTechLesPiedsSurTerre, à destination des jeunes avec une campagne sur les réseaux sociaux en partenariat avec le youtubeur Roman Doduik. Le but de cette action est d’attirer les jeunes vers nos métiers qui offrent des débouchés en CDI. » 
A quels autres enjeux le Sedima se doit-il de répondre à l’avenir, et notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes ?
L. M. : « La région Auvergne-Rhône-Alpes, avec son agriculture très diversifiée, est un bon laboratoire pour imaginer les outils de demain. L’un des enjeux forts de notre filière sera d’accompagner les agriculteurs dans ce contexte de changement climatique. Aujourd’hui, il n’y a plus de débat sur une nécessaire adaptation des méthodes de culture et des matériels disponibles sur le marché. C’est un défi à long terme. Un autre enjeu sera de travailler autour de la démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) même si certaines actions sont d’ores et déjà mises en place. Au sein du groupe Sicoit SAS, dont je suis le directeur général, nous avons libéré 10 % de nos salariés pompiers volontaires, pour lutter contre les incendies qui touchent le pays. »  

Propos recueillis par Amandine Priolet