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SÉCHERESSE

Vent de détresse chez les éleveurs

Il est trop tôt pour dresser un état des lieux exhaustif des conséquences de la sécheresse sur les filières animales de la Drôme. Mais, en cette fin août, un tour d’horizon confirme que les élevages drômois souffrent. Pour certains, cet été 2022 pourrait être l’épreuve de trop après la flambée des coûts de production et l’explosion de la prédation lupine sur l’ensemble du département.

Vent de détresse chez les éleveurs
De nombreux troupeaux ont regagné les bâtiments depuis quelques jours ou parfois quelques semaines. Les éleveurs ne savent pas comment ils pourront constituer suffisamment de stocks pour passer l'hiver. Photo d'illustration ©AD26

« De plus en plus d’éleveurs parlent d’arrêter. Je croise des gens en grande difficulté, ils en ont ras-le-bol et ne voient pas le bout du tunnel », témoigne Yannick Blanc, conseiller chez Adice*. Depuis le début de l’été, il suit les troupeaux drômois de vaches laitières. « Sur les systèmes tout herbe, essentiellement sur le Vercors, les éleveurs n’ont récolté que 30 à 40 % des volumes habituels en foin, enrubannage, ensilage… Certains n’ont pas forcément beaucoup de stocks de l’année dernière », décrit le conseiller. Tous cherchent du foin, de la luzerne, mais en trouver reste très compliqué, et souvent pour une marchandise d’une qualité insuffisante. Daniel Vignon, président du syndicat interprofessionnel du Bleu du Vercors-Sassenage, confirme que quasiment tous les éleveurs sur son territoire sont passés en ration hivernale dès fin juillet. Heureusement, les pluies survenues à la mi-août ont permis une repousse d’herbe. « C’est peu mais ça permet de commencer à remettre les vaches au pâturage et d’économiser sur nos stocks. Le syndicat a aussi déposé une demande de dérogation auprès de l’Inao pour permettre l’approvisionnement en fourrage hors zone AOP à hauteur de 20 % et aussi augmenter la part des concentrés autorisés par le cahier des charges », signale le président. Il espère désormais une réponse rapide pour que les éleveurs puissent se mettre en quête de foin. 

Tout le monde cherche du maïs à ensiler

Sur les systèmes avec maïs non irrigué, notamment en Nord-Drôme, certains éleveurs vont être obligés d’acheter la totalité du maïs. Seuls ceux qui avaient semé suffisamment tôt (avril) peuvent compter sur une récolte mais avec des pertes de 30 % des volumes en l’absence d’irrigation. « Je n’ai jamais autant tourné pour rechercher du maïs ensilage. Nous avons pu en trouver chez des éleveurs qui irriguent et ont des stocks suffisants, relève Yannick Blanc. Mais tout le monde cherche. J’ai un collègue de Haute-Loire qui vient de m’appeler : il recherche lui aussi 100 ha de maïs. » Face à cette demande plus que soutenue, les prix sont exorbitants. « C’est le double voire le triple des tarifs habituellement pratiqués », commente un éleveur. Vu les prix, certains ne pourront acheter que la moitié de leurs besoins, ceci alors que « de nombreuses exploitations sont passées en ration hivernale avant la mi-juillet », rappelle le conseiller d’Adice. 

Impact des fortes chaleurs sur la reproduction

À l’absence de pluie, se sont aussi greffées des températures caniculaires. « Les éleveurs commencent à être habitués à lutter contre le stress thermique de leurs animaux. Mais ces chaleurs ont tout de même un impact sur les taux (TB et TP) et sur la reproduction. Il y a eu de grosses pertes avec des avortements et, clairement, une reproduction qui marche moins bien », souligne le conseiller. 

Du côté des éleveurs allaitants, la situation est également tendue. Sur le Nord-Drôme, beaucoup ont rentré les bêtes dès la mi-août. « Depuis hier [le 24 août, ndlr], on affourage à 100 %, annonce Florent Castry, en EARL avec son frère à Montmiral. On tape dans les stocks hivernaux avec deux mois d’avance sur une année normale. On va y passer le peu de stock qui nous restait de 2021. » En 2022, il estime avoir récolté 35 % de fourrages en moins qu’habituellement. « Nos rendements en céréales sont aussi en baisse car nous avons pris la grêle, poursuit-il. La sécheresse nous frappe alors que nous faisons déjà face à une augmentation phénoménale des coûts de production. À cela s’ajoute sur notre commune l’arrivée du loup, avec plusieurs attaques sur des ovins chez un éleveur voisin. Nous craignons aujourd’hui pour les bovins alors que les vêlages démarrent. » Il redoute aussi que l’embellie sur les prix de la viande ne résiste pas aux conséquences de la sécheresse. « Certains éleveurs sont obligés de vendre des animaux non finis car ils ne peuvent nourrir tout le troupeau. Cette arrivée plus importante que prévue d’animaux va faire chuter les prix. D’une manière générale, la décapitalisation [y compris en troupeaux laitiers, ndlr] va déstabiliser les marchés », s’inquiète Florent Castry. Enfin, il constate que les fortes chaleurs ont aussi impacté la reproduction. « Sur 75 vêlages prévus nous comptons déjà cinq avortements. »

À la recherche de landes et parcours abandonnés

Autour de Dieulefit, Edmond Tardieu qui élève en Gaec avec son fils 420 brebis et des vaches Aubrac pour la production de veau rosé, estime qu’il manque aux exploitations de son secteur au moins un tiers des récoltes en fourrage. « Tout le monde a un mois d’avance ou plus sur ses pratiques habituelles de pâturage. Nombreux sont ceux qui craignent de ne plus avoir d’herbe bientôt. Ça va être compliqué d’affourager car beaucoup d’entre nous n’ont plus de stock de l’année dernière, décrit-il. Ceux qui ont commencé à chercher du fourrage se rendent bien compte qu’il va être très difficile d’en trouver. Des éleveurs parlent de réduire leurs troupeaux. » À moins de ne trouver quelques surfaces abandonnées pour tenir cet automne. « Certains se sont lancés dans cette recherche. Ils contactent des propriétaires et sont en quête de parcelles qui pourraient être facilement parquées », précise-t-il. 

Sur tous les territoires, une course s’est engagée pour trouver les ressources qui permettront de tenir cet hiver. Mais face à des trésoreries rendues exsangues par la flambée des coûts de production, les éleveurs ne pourront compter que sur l’aide de l’État et sur un maximum de solidarité entre filières. 

Sophie Sabot 

*Adice : Ardèche Drôme Isère conseil élevage. 
OVINS

Crainte de réformes sévères à la descente d’estive

En ovins aussi, la situation est tendue. François Monge, président de la coopérative Agneau Soleil et éleveur à Menglon, raconte que des éleveurs se séparent de bêtes qu’ils ne pourront pas engraisser. « Depuis début août, nous avons déjà récupéré 1 500 agneaux non finis chez de bons éleveurs. Sur le Vercors notamment la situation est catastrophique », explique-t-il. La coopérative va se charger de les engraisser sur un site dont elle dispose à côté de Sisteron. « Mais nous ne pourrons pas les valoriser en label rouge puisque le cahier des charges prévoit qu’ils soient finis sur l’exploitation. Je crains que cela n’engorge les marchés d’autant qu’en ce moment la consommation n’est pas extraordinaire », avertit le président. Autre crainte exprimée : celle de réformes plus sévères en descente d’estive. « Les bêtes vont descendre plus tôt que prévu car il n’y a plus rien à manger là-haut. Sans pluie, il n’y aura pas plus à manger en bas. On pourrait comme en bovins assister à un phénomène de décapitalisation », redoute l’éleveur ovin. La canicule a aussi eu des répercutions pour ceux qui pratiquent le désaisonnement d’automne. « C’est catastrophique pour certains avec une mortalité d’agneaux importante sur les agnelages de juillet à cause des températures en bâtiment », confie François Monge. 

S.Sabot

FOCUS

Le Royans très en souffrance

Thierry Ageron, éleveur laitier à Oriol-en-Royans, témoigne d’une situation catastrophique sur son territoire. « Depuis le 15 juin, nous avons dû rentrer les vaches laitières pour les nourrir et depuis début août, on met des bottes dans les râteliers pour les bêtes restées au pâturage. Ici, nous n’avons aucune repousse malgré les pluies d’août, commente-t-il. Il manque un tiers de la récolte en foin. En maïs, ça va être catastrophique. » Selon lui, les éleveurs du Royans sont face à une décision douloureuse à prendre : faut-il vendre une partie du cheptel dès à présent ou chercher des stocks pour l’hiver ? Devant la flambée des prix des fourrages ou du maïs, difficile de trancher. Alors Thierry Ageron scrute le ciel en espérant encore quelques pluies qui pourraient sauver partiellement la situation.