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RÉGLEMENTATION

Les engrais perlés bientôt  interdits en agriculture bio

Après une enquête de la DGCCRF, les engrais dits « perlés », fertilisants organiques en provenance de Chine, pourraient bientôt être interdits en France pour l’agriculture biologique, selon plusieurs sources. En cause : des taux d’azote « suspects », qui auraient conduit fournisseurs et agriculteurs à tirer la sonnette d’alarme.

Les engrais perlés bientôt  interdits en agriculture bio
Les engrais dits « perlés », fertilisants organiques en provenance de Chine, pourraient bientôt être interdits pour l’agriculture biologique en France, selon plusieurs sources. © DR

«Dans cette histoire, pas grand monde n’a les mains propres », résume un expert du secteur interrogé par Agra Presse. Depuis 2019, au moins 70 000 de tonnes d’engrais perlés en provenance de Chine auraient été commercialisées en France pour être épandus chez les agriculteurs biologiques. Problème : ces engrais présentent des taux d’azote « suspects », parfois plus de 10 %, selon une autre source. Et jusqu’ici « seuls certains tourteaux de soja, ou le gluten, très rarement utilisés en fertilisation pour des raisons économiques, approchent les 10 % d’azote », soulignait l’Afaia, le syndicat des fertilisants organique, dans un communiqué de presse envoyé en juillet 2021. Une inquiétude qui avait conduit l’organisation à recommander à ses adhérents « la plus grande vigilance ». Présentés en billes ou en granulés, ces engrais perlés, ou « engrais organiques issus de la biotechnologie » selon les fournisseurs, sont des coproduits de la fabrication des acides aminés, provenant de la fermentation du maïs ou du sucre de canne. De l’ammoniac minéral serait bien ajouté en cours de fabrication pour stimuler la fermentation, mais « l’essentiel serait retiré en fin de processus », assure François Devillers, détenteur de la licence d’Orgamax en France. Si quelques usines existent en France ou en Europe, la domination chinoise sur le marché s’explique avant tout, selon lui, par l’expertise de la République populaire en matière de production d’acides aminés. Les premières alertes sur les produits ont été lancées par des agriculteurs dès l’arrivée des engrais sur le marché en 2019, mais elles n’ont été prises au sérieux par les organisations de producteurs ou de fabricants qu’en 2020. La DGCCRF aurait ensuite lancé son enquête en fin d’année. Ecocert, qui a apposé son sceau sur plusieurs produits, a d’ailleurs envoyé en décembre 2020 un courrier à certains de ses adhérents inquiets, promettant de mener « un audit du ou des sites de fabrication du produit et de ses actifs principaux ». La mission aurait mené les certificateurs jusqu’en Chine, sur les sites de production. Et dans une note envoyée à ses adhérents six mois plus tard, en juin 2021, Ecocert annonce alors avoir fait le choix « de ne plus délivrer les prestations de vérification d’intrants pour ce type de produits ». Parmi les motifs invoqués : un processus de fabrication « complexe, innovant, et non précisément cadré réglementairement ». Pour autant, les agriculteurs bio « peuvent utiliser ces produits », précise Ecocert.

Un produit qui convainc sur le terrain

Parallèlement à ces investigations, l’enthousiasme s’est en revanche propagé dans les champs. Des chiffres dévoilés par la chambre d’agriculture de Vendée en juin 2022 montrent notamment une amélioration des rendements de 15 % par rapport au blé témoin, comme le rapportent nos confrères de Pleinchamp. Des performances qui, en plus de l’interdiction depuis 2021 d’utiliser les fientes et lisiers issus d’élevages industriels en bio, auraient participé à l’évolution du marché : de 3 000 t environ en 2019, les ventes seraient passées à environ 30 000 t en 2021, d’après le média spécialisé Biofil. « Au début, nous pensions pouvoir faire des volumes importants, et nous tablions sur au moins 50 000 tonnes », confirme François Devillers. L’histoire pourrait cependant s’arrêter net. Un courriel envoyé par la Coopération agricole le 8 septembre indique que les autorités françaises auraient annoncé leur intention d’interdire ces engrais, à la suite de la note d’interprétation de la Commission européenne. Dans cette note, détaillent les coopératives, Bruxelles précise que ce type d’engrais « à forte teneur d’azote » n’est « pas autorisé en agriculture biologique, qui exclut expressément les vinasses ammoniacales ». « Dès lors, les producteurs biologiques ne peuvent plus utiliser les produits riches en azote tels qu’Azopril et Orgamax », conclut la Coopération agricole. Et de préciser un calendrier avec l’interdiction des achats dès le 6 septembre, soit deux jours avant l’envoi du courrier, et définition d’un délai d’écoulement fin septembre lors d’une prochaine réunion du comité bio de l’Inao.

Les fournisseurs sur le pied de guerre

Selon plusieurs sources, la Coopération agricole se serait un peu avancée face à ses adhérents, alors que « les fournisseurs n’ont pas été pour l’heure officiellement contactés par la DGCCRF », comme le déplore François Devillers. Alors que « les engagements de commande se mesurent déjà en millions de dollars sur 2023 », ce fournisseur aimerait obtenir « un délai d’application de cinq ans », pour permettre aux agriculteurs d’écouler leurs stocks. Et de rappeler qu’en conduisant la Chine à imposer des restrictions sur les exportations d’azote, la guerre en Ukraine limite de toute façon les capacités d’approvisionnement. Si l’interdiction était confirmée, François Devillers envisage malgré tout des poursuites juridiques. Car après la défection d’Ecocert, rappelle-t-il, Orgamax a bien obtenu l’aval d’un autre organisme certificateur néerlandais. Distributeur du produit en France et directeur de Calcisol, Sébastien Ferran promet également de son côté de « tout faire pour continuer à vendre ». « Nous avons un produit certifié, avec un bon rapport qualité prix, sur lequel certains de nos concurrents dans les engrais organiques s’acharnent », tranche-t-il. Du côté des producteurs bio, on se félicite en revanche de la fermeté de Bruxelles et de Paris. « Il va falloir gérer la transition, notamment pour les agriculteurs qui ont acheté ces engrais en toute bonne foi. En attendant, nous nous réjouissons de ce recadrage de la Commission », résume Philippe Camburet, président de la Fnab. D’après son syndicat, une éventuelle interdiction ne devrait d’ailleurs pas entraîner de déclassement des productions, ni de retrait de certification, dans la mesure où ces engrais étaient jusqu’ici autorisés. 

I. L.