Marjorie Pallais : « Cela fait des années que je travaille sur mon coût alimentaire »
Entre la hausse continue des prix du maïs et du soja et la sécheresse, piloter une exploitation devient de plus en plus compliqué. Marjorie Pallais, éleveuse caprin, estime s’en sortir « pas trop mal » cette année mais admet qu’il est de plus en plus difficile de faire des choix stratégiques. Témoignage.

En cette fin d’été, Marjorie Pallais le reconnaît, elle est un peu à contre-courant de l’état d’esprit actuel. L’éleveuse de Saint-Paul-lès-Romans affiche un certain optimisme. Peut-être parce qu’elle s’était préparée au choc que traversent les filières animales. « En mai 2021, j’étais très inquiète. Je voyais arriver l’augmentation des coûts de production. Alors j’ai essayé d’anticiper », résume l’éleveuse. Installée en 2007, sur les 35 ha en grandes cultures que lui a cédés son père, double actif, Marjorie Pallais a démarré avec une centaine de chevrettes. Quinze ans plus tard, elle est à la tête d’un troupeau de 220 chèvres en lactation. « Je livre 200 000 litres de lait par an. Depuis trois ans je suis collectée par la Fromagerie Alpine (Romans, ndlr) », précise la jeune femme.
Arrêt du maïs pour l’instant
Aujourd’hui elle dispose d’une cinquantaine d’hectares sur lesquels elle cultive 20 ha de légumineuses (luzerne pure ou en mélange avec du trèfle violet, sainfoin) et 12 ha de céréales à paille. Depuis deux ans, le reste des surfaces accueille des prairies temporaires (dont 15 ha vendus sur pied cette année à un autre éleveur). « Auparavant je faisais 5 ha de maïs et parfois du sorgho. J’avais recours à de la prestation, quasiment du semis jusque la récolte. En calculant mes coûts de production avec Adice1, je me suis rendue compte que ça me coûtait trop cher et qu’il valait mieux acheter le maïs », explique l’éleveuse. En 2021, elle ne sème aucun maïs et réalise une récolte importante de fourrages. « Mais, je n’ai pas pris ma décision au bon moment. Le prix des céréales a commencé à fortement augmenter. Aujourd’hui je paye le maïs 388 €/tonne, alors que pendant des années je pouvais l’acheter 175 €/t. Dans le même temps, j’avais du fourrage à vendre mais je l’ai mal valorisé l’an dernier car il y en avait trop sur le marché », commente-t-elle.
En 2022, elle persiste pourtant à ne pas semer de maïs. « Je ne regrette pas. Le coût des prestations pour le cultiver a dû augmenter et puis je n’aurais pas pu tenir seule sur l’irrigation. Il aurait fallu que je prenne un salarié, poursuit-elle. Au final, je n’ai irrigué qu’une dizaine d’hectares de luzerne même si potentiellement je peux irriguer 40 ha. »
Introduction du pâturage
« Cette année, je m’en sors pas trop mal, estime Marjorie Pallais. J’avais du stock de luzerne de 2021 mais qui n’est pas de très bonne qualité. Pour éviter une chute de la production de lait, je la distribue en alternant avec ma première coupe 2022. » Autre nouveauté pour le troupeau : l’introduction du pâturage, d’abord pour les chevrettes l’an dernier et cette année pour les primipares aussi. « J’ai fait pâturer une centaine de bêtes d’avril à mi-juin sur 6,5 ha de sainfoin. C’était une année d’essai pour les chèvres adultes. Ça m’a permis d’économiser du concentré azoté tout en n’affectant pas la production de lait. Je compte poursuivre en 2023, avec 180 bêtes », indique l’éleveuse. Des sursemis seront réalisés dans le sainfoin avec un mélange ray-gras hybride, fétuque, trèfle violet et luzerne, mélange qui sera aussi implanté sur 4 ha supplémentaires. Au total, Marjorie Pallais disposera de dix hectares à proximité du bâtiment sur lesquels elle compte faire pâturer ses chèvres de fin mars (déprimage) jusqu’à fin juin.
Si le coût du maïs ne repassait pas sous la barre des 300 €/t, l’éleveuse pourrait aussi revenir en arrière et en cultiver de nouveau. « Je suis dans les starting-blocks pour refaire 5 ha de maïs », confie-t-elle. Tout est une question d’équilibre des coûts. « La gestion des parcs pour le pâturage demande du temps, l’irrigation pour le maïs aussi… Ce qui nécessite d’embaucher2. Cela fait des années que je travaille sur mon coût alimentaire. Il est déjà extrêmement bas. Je ne peux finalement plus trop évoluer ou peut-être gagner encore un peu avec le pâturage », conclut l’éleveuse.
Sophie Sabot
1 Adice : conseil élevage Ardèche Drôme et Isère.
2 Marjorie Pallais est adhérente du groupement d’employeurs Agri Emploi 26. En général, elle embauche une personne pour assurer la traite durant la période des fourrages.
Un tiers des chèvres en lactation longue
Depuis l’an dernier, Marjorie Pallais a décidé de passer un tiers de son troupeau en lactation longue. « Mon objectif principal était de réduire le nombre de chevreaux pour réduire les problèmes sanitaires. Et aussi, je n’avais plus envie d’élever des chevreaux qui ne se valorisent pas », résume l’éleveuse. Une fois les autres bêtes taries, il lui reste environ 70 chèvres à traire quotidiennement. « Cela me prend une demi-heure, deux fois par jour. Je n’ai pas osé tester la monotraite sur les lactations longues. Par contre, je m’accorde de la souplesse dans les horaires de traite. Et de toute façon, il me faut nourrir le troupeau donc une demi-heure de plus ou de moins... »
Marjorie Pallais estime ne pas avoir assez de recul pour mesurer l’effet des lactations longues sur les volumes produits. « Je vois par contre déjà deux atouts à la lactation longue , précise-t-elle. Elle me permet de mettre au repos des chèvres fatiguées et d’éviter les réformes de bonnes laitières vides ou qui ont rencontré des problèmes de mise-bas. »
Dans une fiche technique diffusée en 2020, l’institut de l’élevage Idele délivre de nombreuses recommandations sur la pratique. « Toutes les chèvres ne sont pas aptes à une lactation longue réussie, avertit l’Idele. Le choix des chèvres sera principalement basé sur leur productivité et leur statut cellulaire. Plus une chèvre est productive, plus elle a de chance d’avoir une meilleure persistance laitière. La lactation longue est possible si l’animal a réalisé un pic de lactation correct, au-dessus de la moyenne du troupeau et dans tous les cas au minimum de 2 kg de lait. »
S.S
Carte d’identité de l'exploitation
- Marjorie Pallais, 40 ans, installée en 2007, en individuel, à Saint-Paul-lès-Romans.
- 220 chèvres, 200 000 litres de lait produits annuellement, collectés par la Fromagerie Alpine.
- Race saanen, saillies naturelles et depuis trois ans quelques IA en race alpine (20 en 2022).
- Mise-bas début janvier. Un tiers du troupeau en lactation longue depuis 2021.
- 50 ha (dont 40 irrigables) : 20 de légumineuses, 12 de céréales à paille, 18 de prairies temporaires. - Achat de maïs et soja.