Gilbert Sauvan : le regard d’un centenaire sur le monde agricole

Quel regard portez-vous sur le monde agricole aujourd'hui ?
Gilbert Sauvan : « Nous vivons dans une ère pleine de difficultés. Selon moi, nous ne prenons pas assez l'agriculture en considération. Les producteurs ne sont toujours pas payés à la hauteur des prix de revient. Certes, il y a des aides, même si elles arrivent souvent en retard avec l'Europe... Mais cela ne suffit pas. Malgré tout, ici dans la plaine, les agriculteurs bénéficient aujourd'hui du système d'irrigation, ce qui leur permet de produire des céréales, du maïs notamment. L'irrigation a sauvé la région. »
Avec du recul, quelles différences notoires constatez-vous entre l'ancienne et l'actuelle agriculture ?
Gilbert Sauvan : « A l'époque, nos parents n'avaient pas beaucoup de matériels modernes. Acheter un tracteur demandait un gros investissement. A ce moment-là, ils n'avaient pas la possibilité de prendre des vacances sur la Côte-d'Azur (rires). L'agriculture s'est modernisée. L'arrivée du bio a été une révélation. Lors de mes dernières années à la chambre d'agriculture, il y a près de trente ans, on s'intéressait déjà à ce sujet, à voir comment nous pouvions faire évoluer les exploitants dans ce sens-là, vers une agriculture plus raisonnée. Mais nous n'aurions jamais pensé que ce soit un tel succès à ce jour et c'est très bien. Cela permet non seulement aux agriculteurs d'avoir une valeur ajoutée à leurs produits mais aussi d'améliorer leurs conditions de vie, même si l'agriculture biologique réclame beaucoup d'exigences. »
Quelle est votre réaction quant à la montée en puissance de l'agribashing ?
Gilbert Sauvan : « Je dirai que les médias cherchent à grossir les faits. Certaines images abîment le métier d'agriculteur. C'est difficile mais il faut comprendre les deux parties. Chacune a ses raisons. »
Votre père, Urbain Sauvan, a longtemps été agriculteur. Que retenez-vous de son parcours ?
Gilbert Sauvan : « Mon père avait une vocation de chercheur. Il s'était consacré à faire rencontrer deux espèces de blé différentes, au moment de la floraison, pour créer des hybrides. Grâce à ce travail, il avait obtenu de nouvelles variétés, dont l'une a été homologuée dans les années 1930. Elle avait alors comme nom, le blé Sauvan. Ce blé dur, utilisé pour les pâtes alimentaires, a été cultivé jusqu'en Italie. Mais au bout de quatre décennies, le grain a dégénéré et il est devenu tendre... Il n'est donc plus commercialisé. »
La famille Sauvan a-t-elle gardé un pied dans le monde agricole ?
Gilbert Sauvan : « Lorsque mon fils Alain a pris ma succession, il a créé, en plus de la ferme, une pépinière et une activité de paysagiste. Il a aujourd'hui cessé son activité et ses enfants n'ont pas souhaité prendre la suite. Même si la relève n'est pas assurée, je ne suis pas déçu quand je vois la complexité du monde agricole aujourd'hui, les nombreux investissements à faire... »
Quels souvenirs gardez-vous de votre engagement dans l'agriculture* ?
Gilbert Sauvan : « J'ai mille souvenirs dans le monde agricole. Ce qui m'a marqué le plus, c'est lorsque je me déplaçais dans les salons agricoles à l'étranger, en Allemagne, au Canada, au Japon, en Martinique... Je me souviens de la semaine verte de Berlin, où nous tenions un stand de produits régionaux. Nous constations que nos produits du terroir avaient du succès. C'était gratifiant. D'autre part, lors de mes fonctions à la fédération nationale des comités régionaux des produits agroalimentaires, j'étais chargé de l'organisation du pavillon des régions de France au Salon de l'agriculture. Je peux vous dire que j'ai vu passer du monde... et des présidents ! »
Propos recueillis par Amandine Priolet
* Après des études agricoles, Gilbert Sauvan a été moniteur de cours agricoles à Cléon-d'Andran de 1941 à 1943. Très impliqué au sein d'organisations agricoles, il a pris la présidence des Jeunes Agriculteurs du canton de Marsanne en 1948. Il a ensuite rejoint la chambre d'agriculture de la Drôme en tant que membre puis vice-président en 1959. Administrateur au sein de la chambre régionale d'agriculture en 1970, il a occupé les fonctions de président du comité de promotion régional des produits agroalimentaires, et de vice-président national. Enfin, de 1966 à 2008, il a assuré la présidence de la société des agriculteurs de la Drôme.
