Des pâtes pour sécuriser le revenu
Depuis 2017, à Beaumont-lès-Valence, Samuel Jacquet fabrique des pâtes à partir du blé dur produit sur son exploitation. Partage d’expérience.

Vivre à deux sur 80 hectares en grandes cultures, c’est le défi que s’est lancé Samuel Jacquet. En 2016, lorsqu’il rejoint son père sur l’exploitation familiale à Beaumont-lès-Valence, il a déjà mûri son projet : valoriser le blé dur produit sur la ferme en fabriquant des pâtes. Cinq ans plus tard, il en produit 16 tonnes (t) par an, soit 20 à 21 t de blé dur transformé dans son atelier, et approvisionne 70 points de vente en Drôme et Ardèche. La grande distribution représente 30 % de ses débouchés, les magasins de producteurs, épiceries, boucheries, 45 %. La restauration collective et son point de vente à la ferme absorbent quant à eux 15 % de sa production. « En diversifiant les points de vente pour les pâtes, l’idée était de ne pas être dépendant d’un seul débouché », souligne Samuel Jacquet. La crise du Covid a par exemple montré la fragilité de la restauration collective lors des confinements.
Diminuer les coûts de production
« Actuellement la production de pâtes nécessite au minimum 35 heures par semaine de travail sur l’exploitation sans compter les livraisons, explique le jeune exploitant. Mon objectif est de maintenir ce volume de 16 tonnes par an mais en diminuant les coûts de production. Je ne rémunère pas encore mon temps de travail. Je fais aussi attention sur les prix car nous sommes nombreux sur le marché en Drôme et Ardèche. » Pour l’instant, il doit finir d’amortir son matériel, soit 220 000 euros pour se lancer en 2017 (bâtiment, silo, trieur, brosse à grains, moulin, tamiseuse, presse extrudeuse, séchoir, ensacheuse…) et 15 000 euros depuis pour des adaptations. « Le levier ensuite, ce sera d’améliorer l’efficacité du temps de travail, peut-être avec une nouvelle machine pour passer moins de temps à la fabrication », projette Samuel Jacquet.
Départ à la retraite
Dans quelques mois, son père Dominique prendra sa retraite d’exploitant agricole. De son côté, le jeune agriculteur souhaite retrouver du temps pour le consacrer au suivi agronomique des cultures (lire ci-dessous). « Mon père continuera de donner un coup de main avec un statut de salarié. J’envisage aussi de recruter un apprenti qui pourrait m’aider sur l’atelier transformation voire, plus tard, de m’associer », souligne le jeune homme. Mais l’exploitation reste fragile pour dégager deux revenus. C’est pourquoi Samuel et son père réalisent également des travaux pour d’autres exploitants du secteur dont la moisson chez quatre agriculteurs avec qui ils travaillent en commun sur le semis direct. « Nous faisons aussi d’autres travaux à façon sur 35 hectares chez un autre exploitant. Aujourd’hui, pour s’en sortir en grandes cultures, il n’y a pas trop le choix, soit on a des grosses surfaces, soit on valorise en direct une partie de sa production, soit on est double actif, résume le jeune exploitant. J’ai choisi de sécuriser mon revenu en assurant un chiffre d’affaires stable avec les pâtes. »
Sophie Sabot
Repères EARL Delimo
- Deux associés, Samuel (installé en 2016) et Dominique Jacquet (à la retraite en 2022).
- 80 ha en grandes cultures (maïs, soja, blé dur, blé tendre, orge, tournesol, féverole, sorgho, pois chiche… Colza et lentille selon les années).
- 65 % des surfaces irrigables.
- En semis direct sur l’ensemble des surfaces depuis 1999.
- 20 à 21 tonnes par an de blé dur transformées en pâtes, près de 3 tonnes de blé tendre transformées en farine. Le reste des productions vendues à la coopérative Drômoise de céréales (CDC).
- Exploitation certifiée HVE depuis juin 2021.
Chacun sa recette

La recette de ses pâtes est un secret bien gardé. Samuel Jacquet révèle qu’il l’a obtenue au bout de quatre lots tests. « Ce ne sont pas des pâtes complètes puisque j’enlève l’enveloppe du grain mais je garde le germe, ce qui donne une recette riche en nutriments », argumente-t-il.
Ses produits se retrouvent sur les étals sous deux marques distinctes : « Sam&pâtes » dans les grandes surfaces et « Terre de blé » pour les autres circuits. Sa gamme est complétée par une petite production de farine (environ 2 t pour 2,8 t de blé tendre transformé) et par des pois chiches secs en vente directe (environ 500 kg).
Vingt-deux ans de semis direct

« Mon père pratique le semis direct depuis 1999. Au départ, c’était pour économiser du temps et de l’argent. Puis, petit à petit, nous y avons vu d’autres intérêts », commente Samuel Jacquet. Il estime que l’arrêt total du labour sur son exploitation a amené « plus de vie dans le sol, moins d’usure du matériel. Nous avons pu diminuer les intrants, avec notamment moins de fongicides mais par contre davantage de limaces. Aujourd’hui, nos rendements sont inférieurs à ceux de pratiques conventionnelles mais supérieurs à ceux du bio. Dans tous les cas, nos parcelles argilo-calcaires, avec pas mal de cailloux, n’ont pas un gros potentiel. » Reste la question du glyphosate dans un système en semis direct. « Chaque année, nous parvenons à diminuer les quantités utilisées, affirme Samuel Jacquet. Nous semons nos couverts végétaux plus denses pour limiter l’enherbement néfaste. Ensuite, tout dépend des conditions météo. En 2021, par exemple, le gel a aidé à la destruction des couverts et nous a permis de réduire la dose de glyphosate. » Pour 2022, il s’apprête à expérimenter un nouveau matériel pour la destruction des couverts et le binage sur soja et maïs. « Nous avons acheté en copropriété à cinq exploitants le Roll’n’sem* dans le cadre d’un projet suivi par l’association drômoise d’agroforesterie et avec une aide du Département. L’idée est de tester ce matériel, peu utilisé localement, pour voir s’il répond à nos attentes, notamment sur nos parcelles avec cailloux », commente l’exploitant.