Association foncière pastorale : au service des territoires et de l’installation
À Châteauneuf-de-Bordette dans les Baronnies provençales, une association foncière pastorale réunit depuis 1998 une cinquantaine de propriétaires. Elle permet de sécuriser la mise à disposition de surfaces pastorales pour les éleveurs et de maintenir ouvert les espaces.

« Le pastoralisme est la seule voie possible pour garder le paysage ouvert de façon durable et éviter que les milieux se referment. Sinon c’est l’ensauvagement ». Cette conviction, Philippe Cahn, maire de Châteauneuf-de-Bordette et président de l’association foncière pastorale de la Bordette, l’a mûrie depuis son installation dans cette petite commune des Baronnies en 1977. Éleveur de chèvres et brebis pour la transformation fromagère jusqu’en 1982, il a ensuite pris d’autres chemins professionnels, laissant sans repreneur les 45 hectares (ha) de sa ferme. En 1989, lorsqu’il devient maire, force est de constater que sur les 1 500 ha de la commune, seuls 200 sont encore exploités.
A l’aube de son second mandat, il lance l’idée d’installer un troupeau communal pour entretenir ces espaces inoccupés. « Les habitants ont adhéré à ce projet mais très vite, la direction départementale de l’agriculture [aujourd’hui direction des territoires, DDT, ndlr] et l’association départementale d’économie montagnarde (Adem) nous en ont dissuadés. Pour eux, mieux valait proposer ces surfaces à un éleveur, responsable de son troupeau, et pour cela un outil parfait, issu de la loi de 19721, existait : l’association foncière pastorale (AFP) », raconte Philippe Cahn.
Convaincre une cinquantaine de propriétaires
La commune se tourne alors vers la chambre d’agriculture de la Drôme pour réaliser un diagnostic du potentiel fourrager. Nous sommes en 1995 et 550 ha sont identifiés comme pouvant entrer dans cette AFP. « Le processus ensuite a été long. Il fallait convaincre une cinquantaine de propriétaires de se réunir en AFP. Chacun avait des craintes : ne plus pouvoir chasser sur ses terres, ramasser son bois ou des champignons... », se souvient le maire.
L’AFP voit le jour en 1998. « La chambre d’agriculture avait identifié un potentiel de pâturage de janvier à juin. Nous souhaitions que quelqu’un s’installe sur la commune mais à l’époque il n’y a pas eu de candidat. Nous avons donc sélectionné deux éleveurs herbassiers du Diois qui venaient ici l’hiver avec 700 brebis », poursuit-il. Les agnelages et le démarrage des agneaux avaient lieu sur place, dans des tunnels installés par les éleveurs, qui partaient ensuite en estive au col de Menée. L’AFP constituait pour eux une sécurité avec un seul interlocuteur et une convention pluriannuelle de pâturage.
Projet en transformation fromagère
Au fil des années, l’un des éleveurs a cessé son activité, l’autre a pris sa retraite. À partir de 2012, son gendre a continué d’exploiter une partie des surfaces. « Nous arrivions en 2021 à la fin de la convention pluriannuelle de pâturage qui nous liait et il souhaitait trouver des terrains proches de chez lui pour les agnelages, résume Philippe Cahn. Nous avons fait réaliser par l’Adem une étude sur le potentiel pour une installation en caprin ou ovin lait avec transformation fromagère sur les terrains que j’avais exploités à l’époque et relancé la recherche de candidats. » Clara Gasser et Sylvain Roumeau (lire ici) sont alors en contact avec le parc naturel régional des Baronnies à la recherche de foncier pour leur installation. Le 1er janvier 2022, l’AFP signe avec eux une convention de pâturage de neuf ans pour 76 ha situés sur le versant ouest de la commune.
Entretien d’un espace naturel sensible
Ces 76 ha sont labellisés espace naturel sensible (ENS) depuis 20012. « En 2000, la commune a acheté ces surfaces [qui font partie de l’AFP, ndlr] avec l’aide du Département », précise Philippe Cahn. Depuis, le Département a financé à hauteur de 80 % des travaux qui ont permis de recréer un espace pastoral : débroussaillage, broyage, bûcheronnage… « L’objectif à présent, c’est que nous arrêtions cet entretien mécanique et qu’un élevage, présent à l’année, prenne le relais pour assurer une pression suffisante », poursuit le maire. Sur l’autre versant de la commune, une seconde convention sera signée après l’été avec un couple d’éleveurs ovins d’Arpavon qui amènera ses bêtes d’octobre à mars. Elle concernera 290 ha. « Il s’agit d’éleveurs qui pratiquent l’estive l’été. Ils redescendront ici l’hiver avant de rejoindre Arpavon pour les mises bas », détaille Philippe Cahn.
Pour le maire de Châteauneuf-de-Bordette, l’AFP s’est avérée être « l’outil le plus adapté pour mener ces projets depuis 25 ans. Il a permis de maintenir ouvert le paysage, de préserver le patrimoine et aujourd’hui d’installer une activité économique sur la commune. C’est le principe même du pastoralisme tel que reconnu à l’échelle européenne. »
Sophie Sabot
1Loi du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale.
2 Cet espace fait également partie du site Natura 2000 Baronnies – Gorges de l’Eygues.