Des éleveurs recenseurs des chiens de protection
L’Institut de l’élevage propose aux éleveurs de faire recenser, volontairement, leurs chiens de protection. En Drôme, trois éleveuses assurent cette mission. Explications avec Claire Lapie, recenseuse sur le territoire des Baronnies.

La démarche a été lancée en début d’année. L’Institut de l’élevage (Idele) organise au niveau national une campagne de recensement des chiens de protection des troupeaux. Ce recensement est basée sur une démarche volontaire des éleveurs. Objectif : « disposer d’une photographie de la population des chiens au travail et aider à la sélection en raisonnant mieux les accouplements, à partir des généalogies et des qualités et défauts d’un maximum de chiens sur plusieurs générations », précise l’Idele. Le recensement devrait permettre de créer un réseau d’éleveurs-naisseurs de chiots de protection, adhérant à une charte nationale de bonnes pratiques d’élevage.
Pour réaliser ce travail, l’Idele fait appel aux membres, éleveurs utilisateurs pour la grande majorité, de son réseau technique de référence sur les chiens de protection. En Drôme, trois éleveuses, Aline Guilhot, Alexandra Poilblanc et Claire Lapie effectuent ce recensement, l’une sur le Diois, la seconde sur le Vercors et la troisième sur les Baronnies.
De deux à sept chiens
Claire Lapie est éleveuse avec son compagnon sur la commune de Ballons. Leur troupeau compte 200 brebis, avec une valorisation en vente directe de la viande et de la laine. Au quotidien, elle travaille avec sept chiens de protection. Son parcours, depuis son installation en 2015, l’a conduite naturellement vers cette mission de recenseur. « Avant 2015, nous étions bergers salariés, nous avons travaillé durant trois ans avec des chiens de protection. Quand nous avons pris la décision de nous installer, nous avons aussitôt acheté un chiot, avant même de constituer le troupeau, puis un second », raconte l’éleveuse. Le processus d’introduction, à cette époque, s’est fait « un peu sur le tas » reconnaît Claire Lapie. En 2017, le troupeau est victime d’une très grosse attaque à proximité de Séderon. « Nous avons compris, au vu de la pression de prédation sur le secteur, que deux chiens n’étaient pas suffisants. Je me suis tournée vers Vincent Ducomet, un des référents national du réseau Idele, confie la jeune femme. Je voulais des conseils pour trouver des chiens de bonne lignée et être accompagnée pour leur introduction dans le troupeau. » Deux chiens sont achetés en 2017 et 2018, un leur est donné en 2018, puis deux autres arrivent en 2019. Durant toute cette période le couple sera accompagné par le référent de l’Idele. « Grâce à ses conseils, les chiens que nous avons introduits et éduqués sont aujourd’hui bien en place, intégrés, faciles à manipuler et remplissent leur mission telle que nous l’entendons », résume Claire Lapie.
Relais local de l’Idele
A l’issue de ce travail et au vu de l’investissement de l’éleveuse auprès de ses chiens, l’Idele lui propose de devenir relais local du réseau chien de protection. « Le rôle du relais local, c’est de conseiller d’autres éleveurs quand ils veulent intégrer un chiot dans leur troupeau. Nous les accompagnons tout au long de la première année qui est décisive. J’ai été formée pour assurer cette mission et j’accompagne déjà trois éleveurs », explique-t-elle.
Depuis janvier, les relais locaux se sont également vu confier la mission de recenseur. « Ce recensement se fait sur la base du volontariat. Il concerne les éleveurs ovins, bovins, caprins mais aussi d’équins, de camélidés… qui ont des chiens de protection, quelle que soit leur race. L’animal doit être âgé d’au moins 18 mois. Avant, certains caractères ne sont pas encore lisibles », commente l’éleveuse. Le recensement prend environ trente minutes par chien, en situation avec le troupeau. « Nous disposons d’une grille de collecte de données. L’idée n’est pas de juger, mais juste de récupérer des informations, précise Claire Lapie. Est-ce qu’il est né sur l’exploitation ? A-t-il été introduit en bergerie, en plein-air ? Quelles sont ses qualités ? Est-il plutôt familier, craintif, adapté à tous les lots ? L’éleveur l’a-t-il trouvé facile à intégrer au troupeau ? » Ces données ne seront utilisées que dans un but technique ou de recherche, l’éleveur signe d’ailleurs un formulaire autorisant leur utilisation uniquement à ces fins. Pour la recenseuse des Baronnies, la démarche est essentielle pour structurer une filière chiens de protection : « Ce recensement est un outil au service des éleveurs, pour partager un maximum d’expériences et identifier les caractéristiques des différentes lignées. L’unique finalité, c’est de disposer de chiens de qualité, bien dans leur rôle. »
S.Sabot
Contacts :
Aline Guilhot (Diois) : 07 80 42 58 46.
Alexandra Poilblanc (Vercors) : 06 08 81 62 76.
Claire Lapie (Baronnies) : 06 17 44 70 68.
Interview

Questions à Barbara Ducreux, coordinatrice du réseau national chiens de protection de l’Institut de l’élevage.
Qui est à l’origine de cette démarche de recensement ?
Barbara Ducreux : « Le réseau national de référence a été créé en 2017, à la demande à la fois de l’Etat et de la profession agricole pour accompagner les éleveurs et bergers sur la question des chiens de protection. Ce réseau, piloté par l’Idele, est constitué de référents et de relais locaux, éleveurs d’animaux de rente à titre principal et utilisateurs de chiens de protection. Un comité de pilotage* encadre ses actions. C’est dans ce contexte qu’a été exprimée par l’ensemble des partenaires la nécessité de structurer la filière chiens de protection. On estime qu’ils sont entre 5 000 et 7 000 sur le terrain, mais on ne connaît rien de ces chiens, à part sur la zone pyrénéenne où l’association d’éleveurs la Pastorale Pyrénéenne effectue un suivi. D’où la nécessité d’un recensement national, volontaire et gratuit. »
Que peuvent en attendre les éleveurs ?
B.D : « L’objectif, c’est d’acquérir une diversité de données sur les chiens en activité de protection de troupeaux, l’environnement dans lequel ils travaillent, leur généalogie, leurs qualités et défauts... Toutes ces données doivent permettre à terme d’outiller les éleveurs pour les aider à mieux choisir leur(s) futur(s) partenaire(s) de travail. Cette démarche est mise en place au service des éleveurs qui ont besoin de chiens de protection pour travailler. Elle repose sur leur implication. Elle va prendre du temps sur la partie généalogie et génétique mais nous espérons, à court terme, pouvoir créer du lien entre les éleveurs utilisateurs, valoriser ceux qui raisonnent leur choix et qui sont satisfaits de leurs chiens. C’est pourquoi nous espérons qu’un maximum d’entre-eux décroche leur téléphone pour contacter le recenseur le plus proche de chez eux, et notamment que les éleveurs qui ont le plus d’expérience dans ce domaine participent au recensement, même s’ils sont aujourd’hui parfaitement autonomes sur la question du chien de protection. Nous avons besoin de leur expérience pour structurer la filière, poursuivre l’acquisition de connaissances sur les chiens de protection et aider au travail de sélection. »
Propos recueillis par S.Sabot
* Il réunit le ministère de l’Agriculture, la Fédération nationale ovine, la Confédération paysanne, la Pastorale pyrénéenne, la Société centrale canine et le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral.
Réaction

Le point de vue de Frédéric Gontard, président de la FDO 26.
Le président de la fédération départementale ovine (FDO) de la Drôme ne mâche pas ses mots : « Nous sommes éleveurs de moutons, pas éleveurs de chiens. C’est l’Etat qui nous impose ces chiens de protection. Nous sommes d’ailleurs plutôt bons élèves sur le sujet dans la Drôme avec près de 700 chiens de protection. Pourtant, malgré nos efforts, l’embauche de bergers, les clôtures électriques, les chiens... le nombre de victimes du loup a augmenté de 42 % sur le département entre 2019 et 2020. Aujourd’hui certains éleveurs sont obligés d’avoir jusqu’à dix chiens pour protéger leur troupeau. Cela devient ingérable. Alors oui, avoir un chien de protection efficace c’est bien, mais nous avons autre chose à faire qu’élever des chiens. C’est une charge de travail énorme », regrette Frédéric Gontard. Pour lui, « l’Etat cherche à limiter les risques liés au multi-usage, qui augmentent du fait de la multiplication des chiens de protection », mais ceci « sans solutionner la problématique de la prédation, alors que les éleveurs continuent de subir des attaques plein pot sur leurs troupeaux. » « Nous faisons notre boulot du côté des éleveurs. Nous sommes les seuls à être tous les jours sur le terrain face au loup. Avec ce recensement, j’ai l’impression que l’Etat souhaite juste se couvrir », indique le président de la FDO 26. Enfin, il soulève une inquiétude : « Pour l’instant, nous nous échangeons les chiens entre éleveurs à des prix raisonnables, mais si une filière se constitue, je crains que les prix grimpent, d’autant que la prédation explose en France et donc la demande en chiens de protection. »