Pas de souveraineté alimentaire sans jeunes qui s’installent
Le 27 mai à Allex, Jeunes Agriculteurs (JA) Drôme avait convié élus, représentants de l’État et partenaires agricoles à l’inauguration de l’installation de Jérémy Marlenc. L’occasion pour la profession agricole d’ exprimer ses inquiétudes sur de nombreux dossiers.

Inaugurer les installations agricoles, au même titre que l’on inaugure l’ouverture d’un nouveau commerce dans un village, c’est l’idée de l’opération lancée en 2019 par Jeunes Agriculteurs Drôme (JA26). Le syndicat se donne pour objectif de mettre en lumière six nouvelles installations chaque année. Après une pause en 2020 pour cause de crise sanitaire, l’initiative vient d’être relancée. La première inauguration de l’année a eu lieu le 27 mai à Allex, chez Jérémy Marlenc, double actif installé le 1er janvier 2020 (lire ci-dessous).
Faire vivre les territoires
« D’ici six ans en France, la moitié des agriculteurs partira en retraite, les remplacer est essentiel », a rappelé Jordan Magnet, vice-président JA26 en charge du dossier installation. En jeu : la souveraineté alimentaire et le dynamisme des territoires ruraux. « La population ne cesse d’augmenter et j’espère qu’on pourra continuer à se passer des nourritures de laboratoire pendant très longtemps, souligne le représentant de JA26. Quant aux déserts médicaux dont on entend de plus en plus souvent parler, rappelons que ce n’est pas avec des résidences secondaires que l’on fera vivre les territoires. Il faut des agriculteurs pour maintenir des médecins, des écoles, des crèches. »
Attirer des candidats à l’installation est primordial. Mais Léa Lauzier, co-présidente de JA26, alerte les pouvoirs publics. « La Pac doit être en adéquation avec les enjeux de l’installation et nous avons besoin de prix rémunérateurs. C’est difficile d’aller dans les établissements scolaires dire aux jeunes : installez-vous, c’est génial, mais on n’a pas les prix » a-t-elle résumé.
Protéger la rémunération des agriculteurs
Sur ce sujet des prix, la députée Célia de Lavergne a indiqué que la proposition de loi dite « Egalim 2 » [proposition de loi du député Grégory Besson-Moreau, visant à protéger la rémunération des agriculteurs, NDLR] serait examinée d’ici mi-juin par l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi vise notamment à compléter ce qui a été fait avec la loi Egalim, qui se révèle aujourd’hui insuffisant. Elle invite les producteurs drômois à s’exprimer sur ces questions lors d’un atelier législatif en visioconférence qu’elle organise le mardi 8 juin à 19 h*.
Parmi les autres points abordés, outre l’irrigation qui a été au cœur de cette rencontre (lire ci-dessous), les jeunes agriculteurs ont posé des questions précises à la sous-préfète de Die et à la députée. « Quand vont arriver les indemnisations pour le gel ? », a interrogé Jérémy Marlenc. « Les expertises de terrain [pour la procédure des calamités agricoles, NDLR] sont en cours », a rappelé Camille de Witasse-Thezy, sous-préfète. Concernant l’aide d’urgence [une enveloppe de 735 000 euros pour la Drôme destinée aux exploitations pluri-sinistrées et aux nouveaux installés, avec un maximum de 5 000 euros par exploitation, NDLR], Célia de Lavergne a indiqué : « Cela devrait se mettre en place dès la semaine prochaine ». Toujours selon elle, le préfet Papaud, nommé coordinateur du plan gel, travaille actuellement sur le dispositif d’année blanche de cotisations sociales, « qui pourrait se traduire par un report puis une exonération partielle de cotisations. »
Règle injuste des minimis
Quant à savoir si ces aides entreront ou non dans le plafond des minimis [20 000 euros d’aides sur trois exercices fiscaux, NDLR], la réponse pour l’instant côté français est « non » mais quid de l’application réelle de cette règle pilotée par l’Europe ? L’occasion pour Léa Lauzier de souligner l’injustice de ce plafond de 20 000 euros pour les exploitations agricoles alors que le secteur tertiaire bénéficie d’un plafond à 100 000 euros.
Les jeunes agriculteurs ont aussi témoigné d’une cohabitation de plus en plus difficile avec les autres usagers de l’espace qui s’approprient les terres agricoles comme terrain de jeu. Un phénomène amplifié depuis la crise du Covid qui a fait naître un besoin de nature chez de nouveaux pratiquants de la randonné, du vélo… « Le problème, c’est que la pédagogie ne suffit plus, estime Jordan Magnet. Nous avons besoin d’un outil législatif pour rappeler à ces personnes qu’elles n’ont pas tous les droits. »
Message passé auprès de la députée et de la représentante de l’État. C’était aussi l’un des objectifs de cette inauguration.
Sophie Sabot
* Pour s’inscrire, envoyer un mail à [email protected] . Vous recevrez en retour un lien de connexion à la visio du 8 juin.
Jérémy Marlenc, double actif

Entre son poste à plein temps de responsable du parc matériel de la SCEA Les Herbes de Chenevière à Livron et les dix hectares de terres qu’il exploite depuis le 1er janvier 2020, les journées sont longues pour Jérémy Marlenc. « J’ai fait le choix de m’installer car je voulais garder les 5 hectares de terres familiales que mon grand-père exploitait à Allex. J’ai aussi pu récupérer 5 hectares, dont 3 irrigués, auprès de mon patron sur la commune de Livron », explique-t-il. Aujourd’hui, il cultive 2,5 ha de tournesol semence, 5,5 de blé, un de sorgho et un de luzerne. Il souhaite trouver de nouvelles surfaces et réduire à un mi-temps son activité salariée. L’équilibre économique ne pourra passer, rappelle-t-il, que par davantage de cultures valorisantes comme les semences. Mais l’accès au foncier reste compliqué, encore plus pour des terres irriguées. C’est pourquoi, il reste prudent dans ses investissements (un tracteur d’occasion à 18 000 euros, un broyeur et une charrue pour 6 000 euros). Pour le reste, il pratique la copropriété (pour la faucheuse notamment) et fait appel à un entrepreneur ou loue le matériel de son patron pour les semis et la moisson.
Irrigation : un enjeu majeur pour l'installation

L’accès à l’eau reste le nerf de la guerre pour garantir des installations agricoles viables. Sur le secteur d’Allex le sujet est particulièrement sensible. D’autant que les travaux qui devaient permettre d’amener dès cet été l’eau du Rhône ont été interrompus suite à une difficulté technique. Pour Philippe Breynat, membre de la chambre d’agriculture et président de l’Association départementale des irrigants individuels (Adarii), « ça fait quarante ans qu’on cherche des solutions et prélever dans le Rhône, ce n’est pas la solution ». Il plaide pour voir enfin réaliser des ouvrages de stockage sur la vallée. « Le soutien de l’État à la création de retenues collinaires est affirmé. Mais il faut trouver les bons projets », lui a répondu la députée Célia de Lavergne. Les agriculteurs déplorent aussi la lourdeur administrative qui, bien souvent, enterre ces projets au gré des changements de préfet et d’élus. Le Varenne de l’eau lancé par le ministre de l’Agriculture ce 28 mai apportera-t-il des réponses ? C’est en tout cas ce que laisse entendre la députée.
S.S.