ENTREPRISE
Brasserie Dulion, la bière autrement

À Rillieux-la-Pape (Rhône), la brasserie Dulion élabore ses recettes avec des céréales non maltées et issues de l’agriculture biologique. Un concept unique qui place la localité et l’écologie au cœur de ses breuvages. Sa particularité : utiliser de l’orge, blé, épeautre, sarrasin... produits dans la région et étiqueter ses «bières» avec une mention ultra-locale.

Brasserie Dulion, la bière autrement
« On essaye d’être au plus près du consommateur et d’être le moins impactant possible en terme d’empreinte écologique », Benjamin Dagand, directeur commercial et associé de la brasserie Dulion.

Des bières locales, élaborées avec des céréales bio : bienvenue chez Dulion, une brasserie unique en son genre. Fondé il y a huit ans par Christophe Bellet, l’établissement situé à Rillieux-la-Pape propose une gamme de bières variées, avec une capacité de production maximale d’un million de litres par an. Blonde 100 % sarrasin, blonde triple grain, blanche 100 % épeautre… les céréales proviennent toutes d’agriculteurs basés en Auvergne-Rhône-Alpes. Avec une particularité unique en son genre : la production se fait sans passer par le maltage, soit la germination des céréales. Un choix détonnant qui s’inscrit dans la philosophie à l’origine de la Brasserie Dulion. « Nous avons choisi de sauter cette étape pour plusieurs raisons. La première est écologique : une malterie est très énergivore et utilise énormément d’eau et d’électricité pour activer la germination. Il y a également la question de la traçabilité : si vous êtes une microbrasserie et que vous envoyez 500 kg de céréales dans une malterie, on va vous les renvoyer maltées, mais elles auront été mélangées avec d’autres céréales. Ce ne sera pas la même origine », explique Benjamin Dagand, directeur développement commercial et associé chez Dulion. L’absence de maltage permet également à la brasserie de s’affranchir des codes traditionnels de la bière et de travailler avec d’autres céréales que l’orge et le blé, majoritairement utilisés dans l’univers brassicole, tout en donnant plus de libertés aux cultivateurs avec lesquels ils travaillent « Il y a des cahiers des charges très contraignants pour le maltage qui imposent aux céréaliers des typologies de céréales, des calibrages… nous ne voulons pas de céréales sélectionnées, mais plutôt encourager le terroir céréalier local et bio. De fait, notre cahier des charges est beaucoup plus léger que celui d’une brasserie traditionnelle », résume Benjamin Dagand. Les céréales sont donc incorporées crues, ce qui donne un goût un peu plus léger aux différents breuvages de Dulion et permet d’amener des créations originales à la carte de la brasserie, comme les monocéréales à l’épeautre ou au sarrasin. « En contournant l’industrie de la malterie, on réalise de grosses économies énergétiques, et cela nous permet également de valoriser les récoltes et le travail des agriculteurs de la région », complète Elvire Reynaud, chargée de microbiologie et qualité à la brasserie. L’absence de malt a néanmoins un impact sur les bouteilles de Dulion : leur production ne peut pas être étiquetée comme bière dans l’Hexagone. L’article 1 de la législation française de 1992 en matière de bière affirme en effet que « la dénomination bière est réservée à la boisson obtenue par fermentation alcoolique d'un moût préparé à partir du malt de céréales, de matières premières issues de céréales, de sucres alimentaires et de houblon, de substances conférant de l'amertume provenant du houblon, d'eau potable. Le malt de céréales représente au moins 50 % du poids des matières amylacées ou sucrées mises en œuvre. ». Cette règle est propre à la France : ainsi, les « boissons fermentées » de Dulion pourraient être qualifiées de bières dans d’autres pays comme le Canada ou le Royaume Uni. « On respecte vraiment tous les ingrédients et le processus de fabrication de la bière, c’est juste une transformation en moins qui fait une grosse différence, pas en termes de goût mais d’impact », sourit Benjamin Dagand.

Une brasserie ancrée dans le terroir

Pour réaliser ses bières, l’équipe de la brasserie Dulion travaille avec Moulin Marion, qui récupère les céréales des différents agriculteurs, les nettoie, les conditionne puis les envoie à la brasserie. « Avec notre cahier des charges allégé, il n’y a pas vraiment de sélection : ces producteurs sont rhônalpins, nous envoyons notre cahier des charges à Moulin Marion et ce sont eux qui nous disent qui peut être le plus à même de nous fournir des céréales dans différentes zones géographiques et par typologie de céréales, car nous recherchons aussi de la nouveauté », résume Benjamin Dagand. Le concept de terroir, cher à la brasserie, est poussé au maximum avec la blonde Avant-garde. Cette bière présente la particularité d’être déclinée par département de la région Aura. Ainsi, sa version 69 est élaborée avec l’orge de la SARL Menajoc à Corbas et vendue uniquement dans le département. Le même principe s’applique pour la Savoie l’Ain, Isère, la Haute-Savoie, avec à chaque fois un agriculteur et donc des céréales différentes. « On envisage de le faire pour les autres départements d’Aura, le but étant d’être au plus près du consommateur et d’être le moins impactant possible en termes d’allers-retours et d’empreinte écologique ». Tous les agriculteurs d’Aura sont d’ailleurs invités à « rejoindre l’aventure Dulion » aux dos des bouteilles de la brasserie. Pour les céréaliers, la Brasserie Dulion offre donc une nouvelle manière de faire découvrir leurs produits et leur savoir-faire. « Souvent, les céréaliers vont vendre leur production à un moulin qui va les concasser pour en faire de la farine et c’est leur seul débouché, amener une alternative est intéressant », affirme Benjamin Dagand. « On a même travaillé avec un céréalier qui a vendu nos bouteilles par la suite, ce qui lui a permis de marger à la fois sur la vente de ses céréales puis sur la vente de produits Dulion réalisés avec sa production. C’est là tout l’intérêt de la traçabilité aujourd’hui ». La seule difficulté rencontrée dans cet approvisionnement local est aujourd’hui le houblon. Après avoir travaillé avec plusieurs houblonnières françaises – notamment en Bourgogne et dans le Beaujolais – la brasserie a dû se tourner vers une production bio venue d’Allemagne. « On essaye de se fournir à l’échelle du pays, mais c’est compliqué car le climat français n’est pas vraiment adapté à la culture du houblon. On s’arrête à l’échelle européenne et on réfléchit à une alternative en remplaçant peut-être le houblon par des plantes amérisantes pour se fournir plus localement », explique la chargée de microbiologie et qualité de la brasserie Elvire Reynaud. « Dans tous les ingrédients qui composent nos boissons, toutes les céréales sont bio, tout comme le houblon, utiliser le bio est vraiment le principe fondateur de la brasserie depuis toujours. On a commencé avec et on va continuer ».

Un projet écologique et social

Si la Brasserie Dulion est déjà engagée fortement dans la réduction de son empreinte écologique, elle vise à encore améliorer ses pratiques dans les années à venir. Elle possède notamment un contrat d’électricité verte, et utilise au maximum cette source d’énergie. « Par exemple, notre torréfacteur fonctionne à l’électricité et non au gaz afin de pouvoir produire notre ambrée », explique Benjamin Dagand. À moyen et long terme, l’équipe de Dulion envisage aussi de s’équiper de panneaux photovoltaïques ou d’autres solutions d’énergie renouvelable. Christophe Bellet, le fondateur de la brasserie, a également imaginé un système de chauffage par induction pour le brassage. Breveté, il sera bientôt utilisé dans le procédé de fabrication. Dulion prévoit par ailleurs de consigner ses bouteilles dans un futur proche. « On le faisait par le passé, lorsqu’on faisait moins de volume. À l’avenir, nous laverons le verre ici, avec un poste en réinsertion », explique Benjamin Dagand. La Brasserie Dulion est en effet entreprise d’insertion depuis quelques semaines. Elle fera sa première embauche dans quelques semaines pour un poste de livraison. « Nous souhaitons embaucher des personnes éloignées de l’emploi, en situation de handicap, repris de justice ou émigrées. C’est un sujet qui nous tenait à cœur et cela va se faire très prochainement », confie Benjamin Dagand. À terme, plusieurs autres postes en réinsertion devraient voir le jour au sein de l’entreprise. Un engagement sociétal qui a permis à la brasserie de bénéficier de 520 000 euros d’aides de l’État dans le cadre du plan de relance pour développer une ligne d’embouteillage automatisée.

Zoé Besle