Salariés ou associés : un choix cornélien
Alors que les modèles d'entrepreneuriat se diversifient, les Jeunes Agriculteurs de la Drôme ont organisé une matinée sur le thème « salariés ou associés : quels choix pour l'avenir ? ».

L'évolution des formes d'exercice de l'activité agricole s'accélère, notamment sous l'effet de la démographie. Un constat clairement énoncé dans le dernier ouvrage (voir encadré) des sociologues François Purseigle et Bertrand Hervieu lorsqu'ils écrivent que l’agriculture française entre « dans une nouvelle phase » avec « l'éclatement des formes d’organisation ». Le 26 septembre à Larnage, c'est de cela dont il a été question lors d'une matinée organisée par les Jeunes Agriculteurs (JA) de la Drôme sur le thème « salariés ou associés : quels choix pour l'avenir ? ». « C'est un thème complexe mais déterminant pour l'avenir », a prévenu Jordan Magnet, vice-président de JA Drôme, en ouvrant la rencontre sur l'entreprise agricole de la famille Banc.
Quatre associés, quatre SCEA
« Nous sommes quatre associés avec quatre exploitations en SCEA juridiquement et géographiquement différentes », a expliqué Jean-Philippe Banc. Deux se situent en Ardèche (à Plats et à Saint-Jean-de-Muzols), et deux autres en Drôme (à Larnage et à Châteauneuf-sur-Isère). L'ensemble représente une soixantaine d'hectares de cerisiers, d'abricotiers et de pruniers, 2,5 ha d'oliviers, une dizaine d'ha de maraîchage ainsi que 2 ha de vignes en Crozes-Hermitage. Une société holding est majoritaire dans chaque SCEA. Pour investir dans le matériel, les quatre associés (Jean-Philippe Banc et sa compagne, son frère jumeau Jean-Christophe Banc et sa sœur aînée Marielle Banc) ont monté une cuma. Et pour gérer le personnel « avec plus de souplesse », ils ont créé un groupement d'employeurs. S'ajoutent une structure commerciale, la SARL Aux délices de la ferme ardéchoise, laquelle achète et revend tous les produits des quatre SCEA, et deux magasins de vente sous leur propre marque « Distri'Ferm » : à Saint-Julien-Puy-Lavèze (Puy-de-Dôme) et à Tournon-sur-Rhône (Ardèche).
Jean-Philippe Banc a présenté l'entreprise dans laquelle il est associé avec sa sœur, son frère et sa compagne. Aujourd'hui, il s'interroge : « Ne serait-il pas mieux pour nous de devenir salariés de notre entreprise plutôt qu'associés ? ».
« Rigueur et discipline »
Une assise familiale solide et de bons conseils ont permis, au fil du temps, de construire cette entreprise qui emploie trois salariés permanents (cheffe de culture, chauffeur de tracteurs et assistante administrative) et jusqu'à 140 saisonniers. À noter, chaque magasin compte aussi trois salariés. « Pour les exploitations, nous avons cherché des associés mais ça n'a pas marché, a indiqué Jean-Philippe Banc. D'où le salariat. » Le jeune entrepreneur, ainsi qu'il se définit, a donné quelques conseils : « Pour que ça fonctionne et pour éviter les disputes, il faut beaucoup de rigueur et de discipline. Il faut aussi écrire les choses et avoir un organigramme solide ». Chaque semaine en dehors de la saison, les associés se réunissent pour discuter des décisions stratégiques et financières, entre autres. Et pendant les quatre mois de récoltes, ils restent en contact permanent via leur groupe WhatsApp. « En tant qu'entrepreneur, il ne faut pas avoir peur de l'échec, a confié Jean-Philippe Banc. Et avoir le recul nécessaire pour prendre les bonnes décisions. »
Devenir salarié ?
Aujourd'hui, les quatre associés s'interrogent sur leur statut : « Ne serait-il pas mieux pour nous de devenir salariés de notre entreprise plutôt qu'associés ? On a l'impression qu'un salarié a plus de sécurité et d'avantages. Mais il faut qu'on pèse bien les choses », a indiqué Jean-Philippe Banc. « On peut être salarié d'une entreprise dans laquelle on est associé et on peut aussi être dirigeant assimilé salarié, a expliqué Gilles Perdriol, responsable du service juridique et fiscal au CerFrance 26-84. Mais il faut bien mesurer tous les impacts. »
Mathilde Goetz Audergon, responsable de l'équipe conseil d'entreprise à la chambre d'agriculture de la Drôme, a rappelé que la moitié des installations, en Drôme, se font en société. « Cela permet de partager les risques, de mieux gérer le temps libre, de pérenniser et sécuriser le patrimoine professionnel, d'adapter l'organisation du travail aux objectifs fixés. Mais la mésentente a un coût très conséquent, a-t-elle prévenu. L'embauche d'un salarié est parfois préférable. »
Pour la banque, « salarié ou associé, peu importe. Ce qui compte, c'est la rentabilité économique du projet », a indiqué Jean-Luc Combe, responsable secteur Nord-Drôme au Crédit Agricole Sud Rhône Alpes. « L'embauche de salarié à temps partiel, sous forme d'emploi partagé, est aussi une solution, a complété Fabien Lombard, directeur du groupement d'employeurs Agri Emploi 26. Le président de JA26, Yvan Jarnias, a mis l'accent sur la lourdeur administrative qui pèse sur le métier d'agriculteur. « L’administratif, c'est un poste stratégique désormais qui pourrait être confié à un salarié, encore faut-il pouvoir le pérenniser. »
Christophe Ledoux
Trois stratégies
Après l’agriculture « patriarcale » de la 3e République, l’agriculture « conjugale » de la Révolution silencieuse, l’agriculture française entre « dans une nouvelle phase », constatent les sociologues François Purseigle et Bertrand Hervieu, dans leur dernier ouvrage « Une agriculture sans agriculteurs » (éd. Presses de Sciences Po). Un ouvrage cité à plusieurs reprises lors de la rencontre organisée à Larnage par les JA26 (lire ci-…..…).
« On assiste à un éclatement des formes d’organisation, observent-ils. L’activité de production agricole se tertiarise avec de nouvelles stratégies. » Les chercheurs en évoquent trois : l’association, l’insertion et la délégation. Dans la première (association), l’exploitant agricole privilégie une gouvernance partagée en entretenant de nouvelles relations avec ses voisins : assolements communs, projets collectifs… Dans la seconde (insertion), il se développe en embauchant lui-même ses salariés, en intégrant de nouveaux métiers et nouvelles activités, en créant plusieurs sociétés. La gouvernance est hiérarchique et le travail familial minoritaire. Enfin, la troisième stratégie (délégation ou sous-traitance) concerne l’agriculteur ne souhaitant plus faire tout ou partie des travaux lui-même.
D'après les deux sociologues, ces stratégies prennent une ampleur différente selon les filières et les régions. Parfois, elles coexistent au sein d’une même exploitation. La stratégie d’insertion est déjà à l’œuvre en viticulture et en arboriculture, constatent-ils.
C. Ledoux