ENTRETIEN
Julien Denormandie : mettre la Pac 2022 « au service des agriculteurs »

Sébastien Duperay
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Le ministre de l'Agriculture tire un premier bilan de la négociation de la Pac 2022, après le récent accord au Conseil européen suivi d'un vote au Parlement. Julien Denormandie retient notamment le caractère obligatoire des éco-régimes, garant selon lui d'une « convergence » de l'agriculture européenne, mais aussi la création d'aides couplées en faveur de l'accroissement de la production de protéines végétales qui incarne une ambition de « souveraineté alimentaire », et enfin le chantier entamé de la simplification pour mettre la Pac « au service des agriculteurs ».

Julien Denormandie : mettre la Pac 2022 « au service des agriculteurs »
Julien Denormandie fait de la simplification de la Pac une priorité, notamment par la création d’un droit à l’erreur, dans les pourparlers entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen qui vont suivre jusqu’au printemps.

Des accords sur les grandes orientations de la prochaine Pac ont été trouvés il y a deux semaines. Comment expliquez-vous le large fossé entre les réactions positives du Conseil et du Parlement européen, et celles très négatives, des ONG environnementalistes ?

Julien Denormandie : « Je pense que la Pac dont nous avons convenu avec les ministres est une avancée gigantesque. Chacun peut toujours se demander si elle est suffisante ou pas, mais pour la première fois, nous nous sommes mis d'accord sur une ambition environnementale et en même temps sur le fait que cette ambition soit obligatoire. Donc qu'elle s'impose à tous les États. C'était ma ligne rouge la plus importante. Pour la première fois, nous allons avoir une Pac qui, objectivement, sera plus verte et beaucoup plus juste. Si j'entre davantage dans les détails, l'ambition environnementale ne relèvera plus uniquement du deuxième pilier (donc au bon vouloir des États membres), mais elle sera adossée également au premier pilier avec les nouveaux éco-régimes. Cette nouvelle Pac marque ainsi le fait que le projet européen est, avant toute autre chose, un projet de convergence dans un marché commun où tout le monde est soumis aux mêmes règles du jeu. Il est incompréhensible que, dans nos étals, nous trouvions des fruits ou des légumes européens qui ne répondent pas du tout aux mêmes ambitions environnementales. Donc, de manière objective, oui, cette Pac fera date en ce sens qu'elle est plus ambitieuse et surtout qu'elle va répondre à une priorité qui est essentielle pour moi : obliger à plus de compétition loyale au sein du marché commun. Certains ne vont regarder que le pourcentage : « Est-ce que c'est 20 % ou 30 % d'éco-régime ? ». L'enjeu de cette première négociation était avant tout de tracer le chemin pour tous les pays européens. Il fallait entraîner tout le monde. N'oublions pas ce caractère obligatoire, qui est essentiel. »

Au-delà de l’architecture verte, quels étaient les autres objectifs de la France avant le Conseil agricole des 19 et 20 octobre ? Ont-ils été remplis ?

J.D. : « Mon premier objectif, comme je l'ai déjà dit, c'était une Pac avec des objectifs environnementaux qui s'appliquent à tous. Nous l'avons obtenu. Le deuxième élément très important de cette Pac, selon moi, était la souveraineté alimentaire européenne et donc française. Chacun connaît désormais mon engagement très fort sur cette question. Nous sommes parvenus à avoir une Pac qui va contribuer à cet objectif de souveraineté. Nous nous sommes par exemple beaucoup battus pour obtenir l'utilisation des aides couplées pour de l'accroissement de production de protéines végétales. Avec une dizaine d'États membres derrière nous, nous avons obtenu une déclaration du Conseil, annexée à l'accord, ouvrant la possibilité de le faire. Jusqu'à présent, ce type d'aide ne pouvait être utilisé que pour maintenir des productions ou venir en soutien à des secteurs en difficulté, et non pour augmenter la production. Or, c'est précisément ce qu'il faut pour le secteur des protéines, qui n'est pas en difficulté mais a besoin d'être boosté. Autre exemple important sur le vin avec la prolongation jusqu'en 2040 du système des autorisations de plantation. C'était vraiment essentiel pour la France. Là encore, pour une question de souveraineté des vignobles français. Nous l'avons obtenu en allant au bras de fer jusqu'au dernier moment pour le réintroduire dans le texte. Et c'est dans le texte final. L'objectif est donc rempli à ce stade, même si le travail n'est pas terminé. »

« Nous nous sommes mis d’accord sur une ambition environnementale et sur le fait que cette ambition soit obligatoire »

Des pourparlers entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen (trilogues) vont maintenant s'ouvrir en vue de parvenir à un accord définitif au printemps 2021. Que reste-t-il encore à obtenir ?

J.D. : « Il y avait, en outre, un autre objectif, celui de la simplification sur lequel nous sommes moteurs. Sur ce sujet, j'ai tout de suite essayé de faire des alliances avec d'autres pays et avec la Commission pour mettre en garde contre le risque de rendre cette nouvelle Pac encore plus complexe. Le passage d'un système de conformité vers la performance – c'est-à-dire le contrôle des résultats – c'est intellectuellement très bien. Mais, comme je l'ai répété à tous mes collègues européens, pour moi, c'est « fromage ou dessert ». Pas les deux. Ce sont des débats qui ne sont pas tout à fait clos, mais au moins nous en avons fait un dossier politique et nous avons cranté le sujet. »

Concrètement, quelles sont les avancées sur ce sujet ?

J.D. : « D'une part, nous avons obtenu une déclaration demandant à la Commission européenne de présenter une évaluation répondant à la question : en quoi la prochaine Pac va être plus simple ou plus complexe ? C'est essentiel de se mettre à la place de l'agriculteur ou de l'utilisateur pour voir concrètement comment cela va se passer. Et j'ai introduit, dès mon arrivée à ce ministère, la notion de droit à l'erreur. La Pac ne laisse jamais de deuxième chance. C'est insupportable. Quand vous vous trompez et que vous êtes de bonne foi, vous êtes quand même sanctionné. Une souplesse a bien été introduite en 2018 avec le règlement Omnibus mais elle ne peut être utilisée qu'en cas d'erreur manifeste et, dans la réalité, elle ne s'applique le plus souvent pas. Avec ce « droit à l'erreur », nous avons franchi une étape importante. Cette idée fait son chemin. Le Parlement européen l'a validée ; maintenant, il faut qu'elle soit entérinée lors du trilogue. La politique agricole commune ne doit plus être perçue « au-dessus ». Elle doit être « à côté » des agriculteurs, pour les accompagner. J'avais fixé trois lignes rouges : ambition, souveraineté et simplification. Sur ces trois points, les avancées ont été considérables la semaine dernière. Et c'était loin d'être gagné il y a à peine quatre mois, lorsque je suis arrivé au ministère. »

« La Pac ne doit plus être perçue “au-dessus”. Elle doit être “à côté” des agriculteurs »

Quelles seront les grandes orientations du PSN français ?

J.D. : « Maintenant qu'un accord a été trouvé sur les grandes orientations de la Pac, toute notre force va être mise dans l'élaboration du PSN, en parallèle des trilogues européens : il nous faut notamment définir des équivalences et simplifier la vie de nos agriculteurs. Je sais que le diable se cache dans les détails. Aujourd'hui, ces grandes orientations ne sont pas encore définies. Nous avons des idées, nous échangeons avec les professionnels. Je veux, je le répète, que la Pac ne soit pas "au-dessus", mais " à côté " des agriculteurs. Pour moi, le PSN doit être mis à leur service. »

Pour les agriculteurs, les éco-régimes représenteront des charges en plus, sans assurance d'en tirer une valorisation commerciale. Doivent-ils se préparer à une perte de revenu ?

J.D. : « Surtout pas. Rappelons d'abord que cette nouvelle Pac, contrairement à ce que beaucoup avaient en tête, préserve les budgets. C'est essentiel, et ce n'était pas du tout gagné. Le président Macron lui-même a mouillé la chemise, pendant plusieurs journées pour obtenir ce résultat. Deuxième point, cette Pac a pour objectif de fixer les mêmes règles pour tous les agriculteurs européens. Or, actuellement, sur le marché européen, tout le monde ne respecte pas les mêmes règles. Le troisième étage de la fusée, c'est de finaliser le plan stratégique national, en concertation pleine et entière avec les agriculteurs, les chambres, les syndicats, les citoyens, etc. pour s'assurer que la mise en œuvre de la Pac soit la plus simple possible. »

Bruxelles entame une révision de la politique commerciale de l'UE : quelle est votre position dans ce débat ?

J.D. : « Dans la nouvelle Pac, à travers les éco-régimes, nous nous sommes mis d'accord sur un socle commun d'ambition environnementale, et cela va nous faciliter grandement les discussions commerciales. À partir du moment où les États membres se sont mis d'accord sur ce socle, il ne saurait être possible que de nouveaux accords de libre-échange ne respectent pas cet accord. Je l'ai dit le 19 octobre lors de mon premier tour de table au Conseil : il faut que la politique commerciale européenne soit mise en cohérence avec ce que nous allons faire sur la nouvelle Pac. Il nous faut une politique commerciale qui ne soit pas naïve et qui protège nos agriculteurs européens. Dans ce défi de la concurrence, il y a donc un premier sujet – la convergence au niveau européen –, un deuxième – la traduction de cette convergence dans la politique commerciale de l'UE –, et le troisième sera le rôle du consommateur, qui est essentiel.

« Il faut que la politique commerciale européenne soit mise en cohérence avec ce que nous allons faire sur la nouvelle Pac »

Vous faites référence au projet d'étiquetage de l'origine des viandes en restauration hors domicile ?

J.D. : « Oui, c'est ma priorité à très court terme. Dans les supermarchés, la viande est essentiellement française et c'est tant mieux, car cela correspond à l'attente des consommateurs. Mais nous avons un enjeu sur la consommation hors domicile : par exemple, 80 % de la volaille de chair consommée hors domicile en France n'est pas de la volaille française. L'origine de cette viande, c'est une information qui manque aujourd'hui, ce qui ne permet pas aux consommateurs français de favoriser les produits frais locaux. Je souhaite finaliser pour début 2021 un décret qui obligera, dans la restauration hors domicile, à indiquer l'origine de la viande pour les plats transformés dont le principal composant est par exemple du porc, de la volaille, etc. C'est un sujet essentiel. »

Où en sont les débats sur l'étiquetage du bien-être animal au niveau européen ?

J.D. : « Il y a actuellement trois débats sur l'information des consommateurs, le premier étant l'affichage de l'origine de la viande. Le second porte sur le volet nutritionnel, à savoir comment l'Europe pourrait faire sienne la dynamique que nous avons lancée avec le Nutri-Score. Je pousse sur ce sujet. Mais pour aller plus loin, nous aurons certainement à ouvrir la question de la méthodologie afin de parvenir à un consensus avec tous les pays européens. Le troisième sujet, c'est l'étiquetage du bien-être animal, que nous avons largement abordé et qui est très important à mes yeux. Mais aujourd'hui, quand nous parlons de bien-être animal entre États membres, personne ne parle de la même chose. Nous avons ouvert ce sujet-là en actant que nous devons d'abord nous mettre d'accord sur la définition de bien-être animal en termes de normes européennes. C'est essentiel, si nous ne voulons pas retrouver les mêmes problèmes de mauvaise information du consommateur et de compétition déloyale. »

Propos recueillis par AG, MR et YG