Gastronomie : un retour à l’essentiel

Bouleversées par la crise sanitaire de la Covid-19, les habitudes alimentaires des citoyens ont évolué vers une quête de sens et l’envie de découvrir de nouveaux modèles de consommation.

Gastronomie : un retour à l’essentiel
Après une période où la distanciation sociale était imposée, les clients ont besoin de retrouver le contact humain et de partager de grandes tablées avec leurs proches. © TheFork

«La Covid-19 a énormément changé notre quotidien, nos habitudes et nos interactions sociales. Nous considérons aujourd’hui que nous sommes dans un retour à la normale, cependant, nous faisons face à un certain nombre de défis, qu’ils soient géopolitiques, économiques, identitaires ou encore environnementaux », explique Myriam Saadaoui, directrice marketing chez TheFork France et Belgique. La plateforme leader de réservation de restaurants en Europe, TheFork, et l’agence internationale d’innovation et de créativité, NellyRodi, ont publié une étude sur les tendances 2023 dans le domaine de la gastronomie.


Parmi les quatre grandes tendances qui marqueront l’année de par leurs impacts sur l’industrie agroalimentaire et la restauration, on notera le besoin de renouer avec les traditions. Acteurs de la filière et clients montrent leur envie de se rapprocher des savoir-faire anciens voire ancestraux, en quête d’authenticité. « Nous sommes complètement dans une phase de retour à une agriculture de proximité, de retour à la terre. Nous ressentons une forte tendance d’écoresponsabilité, par les chefs notamment, qui portent de plus en plus d’intérêt et d’engagement vers des valeurs durables (circuits courts, rémunération des agriculteurs, mise en avant du végétal dans l’assiette, etc.) », poursuit Myriam Saadaoui. En tant que leader du secteur, TheFork a notamment un rôle à jouer auprès des chefs, afin de les éduquer à une alimentation plus durable, mais aussi envers les consommateurs, afin qu’ils consomment de manière plus responsable.

L’alimentation, une valeur sûre pour rassembler les gens

Par ailleurs, une nouvelle tendance apparaît, celle de se réinventer. De l’envie de casser les codes au désir de provoquer la surprise dans les assiettes, ces nouveaux modèles de consommation sont notamment portés par l’influence des réseaux sociaux . Autre grande tendance pour cette année 2023, l’intérêt du partage entre restaurateurs et consommateurs. « Les histoires qui vont au-delà de l’assiette deviennent de plus en plus importantes pour les convives, qui veulent savoir (ce) qui se cache derrière les créations : histoires des chefs et des producteurs, importance de la transmission de savoirs et de valeurs, naturalité… », indique l’étude. Dans ce contexte, l’agrotourisme a un rôle important à jouer, afin de faire comprendre aux touristes toute la complexité de l’agriculture locale.
Enfin, l’innovation et l’émergence de nouveaux régimes alimentaires, notamment au service de la protection de l’environnement, seront des enjeux clés de cette année 2023. « Plus conscients que jamais des répercussions du changement climatique, nous cherchons des solutions toujours plus efficaces pour notre santé et l’environnement : la nourriture n’est pas que de la nourriture, l’origine des ingrédients a son importance », décrit l’étude. 
Amandine Priolet

Le chef Christian Têtedoie, du potager aux fourneaux
Issu d’une famille d’agriculteurs, le chef Christian Têtedoie est très attaché aux richesses de la terre. ©Pierre Maier

Le chef Christian Têtedoie, du potager aux fourneaux

Depuis 2021, le chef étoilé Christian Têtedoie a une étoile verte au Guide Michelin. Explications. 

Depuis la crise sanitaire, la quête du local, de l’autosuffisance alimentaire et de l’authenticité ont retrouvé des lettres de noblesse, permettant de faire venir la campagne à la ville. Véritable tendance pour cette année, l’agriculture urbaine a donc sa carte à jouer « en ramenant le savoir-faire agricole et l’artisanat au cœur des villes et de notre quotidien, l’idée est que chacun puisse accéder facilement aux produits frais et bien faits, issus d’un savoir-faire traditionnel ».
À Lyon, le chef étoilé Christian Têtedoie est auréolé depuis 2021 d’une étoile verte au Guide Michelin. Cette dernière récompense les chefs pour leur engagement vers une gastronomie durable et écoresponsable.
Le chef rhodanien s’attache à proposer des assiettes composées de produits issus d’une agriculture biologique, respectueuse de l’environnement. « J’ai eu la chance de grandir à la ferme et d’être bien nourri grâce à mes parents qui faisaient de la culture maraîchère et de l’élevage bovin », déclare-t-il.
Un retour aux sources
Preuve de son attachement à la terre, le chef a créé son potager urbain à côté de son restaurant, en plein cœur de Lyon « pour essayer d’éveiller la conscience des clients sur la place du sauvage dans l’alimentation ». « Il y a six ans, avec mon chef cuisinier, nous avions souhaité améliorer la qualité des produits que nous travaillions. Nous nous sommes donc rapprochés d’une quinzaine de producteurs et d’éleveurs en agriculture biologique avec qui nous avons réalisé des plans annuels de production pour disposer de produits de qualité tout au long de l’année », souligne Christian Têtedoie.
Pour son second potager basé à Collonges-au-Mont-d’Or (Rhône), le chef s’est aussi rapproché de partenaires pour la remise en production de variétés anciennes résistantes (comme le piment de Bresse ou le haricot viande), qui nécessitent très peu d’eau et n’ont pas besoin de traitements. « Cela permet notamment de réactiver un patrimoine formidable qui a été délaissé, d’autant plus que ces plantes contiennent en elles la possibilité de s’adapter au changement climatique », indique Élodie Letemplier, chargée de communication. « Le végétal est notre avenir, il faut le soutenir », insiste le chef. À moyen terme, il vise l’autosuffisance pour créer ses assiettes. En parallèle, Christian Têtedoie a créé un centre de formation des apprentis de la gastronomie Auvergne-Rhône-Alpes au sein du château Lacroix-Laval, à Marcy-l’Étoile (Rhône). Les apprenants peuvent ainsi bénéficier d’un potager de 6 000 m² - conservatoire régional dans lequel sont cultivées des variétés anciennes de légumes -, dans l’optique d’être formés à une gastronomie locale de saison et donc durable. 
A. P.

Les réseaux sociaux donnent la tendance

Depuis une décennie, l’essor des réseaux sociaux ne cesse de se confirmer. Mais depuis la crise sanitaire, les citoyens sont plus que jamais connectés. Le tout numérique s’avère aujourd’hui bénéfique à la consommation alimentaire. « Les réseaux sociaux deviennent des acteurs forts de la consommation alimentaire et figurent aujourd’hui comme des outils supplémentaires de communication pour toucher la clientèle », note Myriam Saadaoui, directrice marketing chez TheFork. En effet, les applications jouent un rôle désormais majeur auprès des consommateurs. « Les gens sont de plus en plus influencés par ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux : recommandations d’influenceurs, d’utilisateurs ou contenus mis en avant selon un algorithme... Parmi les dizaines de milliers de vidéos postées chaque jour sur TikTok, celles présentant des recettes ou des personnes dégustant de la nourriture connaissent un succès phénoménal. Ces vidéos ont même intégré le secteur de la livraison de repas à domicile, comme avec TikTok Kitchen aux États-Unis », indiquent TheFork et NellyRodi. 
Quand l’art se met à table
Leur enquête révèle que cinq millenials1 sur dix ont commandé leur repas ou sont allés dans un restaurant après l’avoir vu sur TikTok. Plus intéressant encore, 28 % des consommateurs dépensent la moitié de leur salaire pour découvrir de nouveaux aliments. Par ailleurs, sous l’influence d’Instagram, l’art se mêle à la tradition culinaire. « L’esthétique ne cessera d’être importante dans le secteur de l’alimentaire et de la gastronomie, surtout à l’heure des réseaux sociaux, où tous sont en quête de lieux et de plats instagrammables. La nourriture devient ainsi une œuvre d’art à part entière », prévient l’étude. Des changements majeurs qui bousculent les grandes lignes de l’industrie alimentaire et de la consommation dans le monde entier. 

A.P.

1. Appelé génération Y, pour désigner l’ensemble des personnes nées entre 1980 et 2000.