Prairies : quelques conseils pour réussir son sur-semis
En Drôme, la pousse d’automne des prairies ne sera pas suffisante pour compenser les pertes de cette année 2022. Le point sur la situation avec Jean-Pierre Manteaux, conseiller système fourrager et autonomie alimentaire à la chambre d’agriculture de la Drôme, qui livre également quelques conseils pour pratiquer le sur-semis*.

pu découvrir dans le cadre d’une journée technique organisée par le syndicat
interprofessionnel du bleu du Vercors-Sassenage, en partenariat avec les
chambres d’agriculture de la Drôme et de l’Isère.
© C.Hustache - Siver.
À fin septembre, que peut-on dire de la pousse des prairies en Drôme ?
Jean-Pierre Manteaux : « Elles ont énormément souffert. La pousse s’est arrêtée très rapidement début juillet. Elle n’a repris qu’après les pluies de mi-août, sachant qu’il a d’abord fallu des quantités d’eau suffisantes pour faire redémarrer les sols. En Drôme, comme en Isère, vu les déficits auxquels nous étions confrontés, les prairies ont pu reverdir mais nous ne sommes pas sur des pousses faramineuses. On entend en ce moment certains échos qui affirment qu’on serait sur l’équivalent d’une pousse de printemps. Ce n’est pas le cas ici. Certes, d’un point de vue qualitatif, on a pu avoir une herbe qui a la valeur de l’herbe de printemps. En revanche, en termes de quantité, les données collectées en Drôme ou Isère confirment que l’on est sur une pousse d’automne habituelle qui ne permettra pas de compenser les pertes du printemps et de l’été derniers. Les valeurs relevées jusqu’à présent révèlent sur septembre une moyenne de 15 à 30 kg de matière sèche (MS) par jour et par hectare. C’est loin de ce qui a pu être mesuré sur des secteurs plus arrosés de la région. Au centre d’élevage de Poisy en Haute-Savoie ou sur l’exploitation du lycée de Marmilhat dans le Puy-de-Dôme, on a effectivement enregistré des pousses moyennes proches de 60 kg MS/ha/jour en septembre mais ce n’est pas le cas en Drôme et Isère. »
Quel est globalement l’état de ces prairies ? Identifie-t-on déjà des conséquences de cet été sec et caniculaire ?
J.-P. M. : « En zone de plaine et piémont, les prairies temporaires avec beaucoup de ray-grass anglais ou hybride dans leur composition ont souffert des températures. J’ai vu une parcelle semée il y a deux ans en ray gras hybride (RGH) et trèfle violet dont il ne restait rien. D’autres plantes - telles que dactyle, fétuque élevée, luzerne, lotier, chicorée - ont bien résisté même si, début août, il n’y avait plus rien à faucher ou à pâturer. Mais elles ont reverdi avec les pluies d’août et actuellement c’est en train de repousser. Les prairies temporaires qui n’ont pas une dominante de ray-grass devraient pouvoir recoloniser l’espace.
Les prairies naturelles, en général situées sur des sols plus superficiels et dont la flore est moins poussante, vont mettre plus de temps à “cicatriser” de la sécheresse. Pour des parcelles exposées sud, on assiste à une repousse mais avec des plantes diverses et variées, le pourpier par exemple, qu’on ne voyait pas avant. Il y a un risque que des adventices peu intéressantes s’installent. Il faudra voir en sortie d’hiver si c’est de façon durable ou si la prairie aura repris le dessus. »
Quel conseil donnez-vous aux éleveurs qui envisagent un sur-semis ?
J.-P. M. : « Deux types de sur-semis peuvent être envisagés. Dans les prairies temporaires vraiment dégradées, on peut tenter jusque mi-octobre un sur-semis de méteil (céréales et protéagineux) qu’on pourra récolter au printemps en enrubannage ou ensilage. Selon le type de semoir utilisé, cela peut permettre de stimuler la vie du sol. Sans oublier un effet des racines de méteil sur la structure. Pour réduire les coûts de ce sur-semis, j’encourage les agriculteurs à valoriser leurs propres céréales et à compléter avec de la vesce commune et du pois fourrager. Les essais menés dans le Cantal montrent qu’on peut espérer en moyenne 2 tonnes de MS supplémentaire au printemps. Mais cela reste une solution à court terme dans l’objectif de combler en partie les déficits fourragers de 2022.
Sur prairie naturelle, peut se poser la question du regarnissage avec des plantes prairiales. Mais il faut auparavant établir un diagnostic pour vérifier si la prairie n’a pas les moyens d’être résiliente par elle-même. La technique s’adresse à des prairies dégradées avec du sol nu apparent ou qu’il faudra créer avec un outil à dent si la flore ne convient pas. C’est indispensable pour que les graines semées aient une chance de lever. La difficulté dans le choix des espèces est que celles qui lèvent bien sont aussi celles qui ne résistent pas au changement climatique (RGI, RGH, RGA, trèfle violet ou blanc). Si on a un fond prairial correct en graminées, on peut envisager de recharger en légumineuses (trèfle violet ou blanc, luzerne ou sainfoin) mais il faudra ouvrir cette prairie pour leur laisser une chance de s’implanter. Si l’éleveur souhaite recharger en graminées avec des espèces qui ne lèvent pas vite (fétuque élevée, dactyle) mais résistent au sec, il faudra une pratique agressive pour ouvrir la parcelle avant de semer. Pour faire du sur-semis, il ne suffit pas de balancer des graines à la volée. Moins l’espèce qu’on cherche à implanter est agressive, plus il faudra préparer la prairie avec un outil agressif.
Aujourd’hui, la réussite d’un sur-semis reste très aléatoire car de nombreux paramètres entrent en jeu. Pourtant, c’est une technique amenée à se développer dans le contexte de changement climatique, en altitude notamment pour regarnir les prairies naturelles. Mais elle nécessitera de la souplesse. Les fenêtres pour intervenir seront courtes. Le matériel pourra difficilement être partagé à plus de quatre agriculteurs dans un système où chacun réaliserait une dizaine d’ha par an de sur-semis. »
Propos recueillis par Sophie Sabot
* La rencontre des Cuma sur le thème « Maintenir ses prairies productives », prévue à Volvent le 29 septembre a été annulée en raison des conditions climatiques. Jean-Pierre Manteaux devait notamment intervenir sur le sur-semis. Une nouvelle date sera proposée en 2023.
« Dès qu’on peut entrer dans la parcelle »
Pour ceux qui envisagent un sur-semis en sortie d’hiver, Jean-Pierre Manteaux conseille de le réaliser « dès qu’on peut entrer dans la parcelle ». L’objectif est de devancer la pleine pousse qui créerait une concurrence pour les plantules. Autre règle essentielle : « Pas d’engrais azoté quand on fait du sur-semis sinon on stimule trop la plante en place et la graine ne sera pas concurrentielle », poursuit le conseiller. Sans oublier de faire pâturer rapidement la parcelle pour que les plantules qui ont levé aient, elles aussi, accès à la lumière. « Le sur-semis est un sujet d’actualité, notamment dans les zones de montagne de la Drôme et de l’Isère. Des rencontres sur le terrain pour partager des expériences seront organisées », annonce Jean-Pierre Manteaux.