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Consommation

L’alimentation  à l’épreuve  du confinement

Si les préoccupations en faveur du « bien consommer » restent élevées, les Français sont beaucoup plus préoccupés par les prix. La succession des confinements pourrait aussi entraîner des changements de comportements en profondeur.

L’alimentation  à l’épreuve  du confinement
Le début du premier confinement a eu un impact général sur la hausse du prix moyen des paniers de fruits et légumes frais dans les grandes et moyennes surfaces (source : FranceAgriMer, d’après Kantar Worldpanel).

En mars, le confinement Covid-19 a bouleversé les habitudes des Français, notamment en termes de consommation. Alors que la crise sanitaire n’a pas dit son dernier mot, FranceAgriMer s’est attaché à rassembler des informations pour décrypter les comportements des consommateurs ces derniers mois. La Covid-19 a-t-elle offert une parenthèse, un accélérateur ou un élément de rupture des tendances ? Dans une étude réalisée en 2016 pour FranceAgriMer et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, les Français avaient fait part de leurs intentions de modifier leurs comportements alimentaires, notamment en prenant en compte la santé et le bien-être, mais aussi le respect de l’environnement et le rejet de la mondialisation. « Consommer moins mais consommer mieux », voici l’une des grandes tendances des Français depuis quelques années. D’autant plus qu’avant la Covid-19, deux autres crises, axées sur le pouvoir d’achat, avaient éclaté : le mouvement des Gilets jaunes et les manifestations contre la réforme des retraites.

Le pouvoir d’achat : préoccupation majeure

La crise actuelle montre que le pouvoir d’achat reste l’une des préoccupations majeures des Français. Les effets du confinement ont pesé sur l’économie et le pouvoir d’achat des Français, certains ont modifié leurs choix alimentaires. La fermeture des points de restauration, l’arrêt temporaire des marchés de plein air les ont entraîné vers de nouveaux lieux de vente. « Ces transferts ont bénéficié à la grande distribution, qui enregistre du 17 mars au 10 mai une hausse de 9 % de son chiffre d’affaires sur le segment de produits de grande consommation et frais en libre-service (PGC FLS) », par rapport à la même période en 2019, révèle l’étude. Sur la partie alimentaire, les hausses de vente en grandes surfaces sont historiques et ce, bien au-delà du premier confinement.

Un panier global en hausse

Tout a débuté entre le 24 février et le 8 mars, où, encore loin d’imaginer un futur confinement, les consommateurs se sont rués vers les premiers achats de précaution, entraînant notamment une rupture de gel hydroalcoolique. Les deux semaines suivantes, alors même que le président de la République tenait deux allocutions, la grande distribution enregistrait des jours historiques avec des achats « de panique » et de stockage. Des ruptures de produits non périssables, comme le riz, les pâtes et le papier toilette, étaient constatées. Jusqu’à l’issue du confinement, d’autres produits, comme la farine, sont restés en rupture. Il faudra attendre juin et juillet pour voir revenir le chiffre d’affaires de la grande distribution à la normale.
Dans ce contexte anxiogène, et l’obligation de justifier ses sorties, la fréquence d’achats était moindre mais le panier global en hausse : « D’après les données de Kantar Worldpanel, la fréquence moyenne est en baisse de 15 %, variant entre - 18 et -10 % selon la semaine. Le panier global progresse en moyenne de 33 % et les dépenses hebdomadaires en moyenne de 10 % ». Les consommateurs se sont dirigés plus facilement vers des petites surfaces près de chez eux ou ont fait leurs courses par le biais de drive ou de la livraison à domicile, c’est l’une des explications de la baisse de fréquentation des grandes surfaces.

 La grande distribution a connu une hausse historique de son chiffre d’affaires, dès l’annonce du premier confinement (source : IRI).

Les Français se mettent à la cuisine

La parenthèse du premier confinement a débouché sur de nouveaux lieux d’approvisionnement… et a aussi été l’occasion pour nombre de Français de se mettre au fourneau. Les pains et autres viennoiseries ont été plébiscités. Mais « le retour de la pratique culinaire des Français ne va pas jusqu’à plébisciter les viandes qu’ils ont de moins en moins l’habitude de cuisiner en temps normal. Ainsi, si les achats de poulets sont en hausse de 36 % en avril par rapport au même mois de 2019 (…), ceux de pintades, lapins et canards sont en baisse. De la même manière, sur les viandes fraîches, la viande hachée (principalement de bœuf) surperforme par rapport à l’année dernière (+ 34 % en avril), mais ce n’est pas le cas des viandes de veau (+ 1 %) ou ovine (- 13 %) », souligne FranceAgriMer. Parmi les autres produits ayant souffert, les boissons alcoolisées en particulier les vins effervescents consommés habituellement dans un contexte festif. Les ventes de champagne ont reculé de 55 % en volumes pendant le premier confinement, par rapport à l’an dernier (chiffres IRI). Les bières (+ 6 % de croissance) et les vins tranquilles (+ 3 %) ont toutefois attiré les consommateurs.

Un mode de consommation plus responsable ?

La crise a-t-elle provoqué une rupture dans les habitudes de consommation ? Certains éléments laissent penser le contraire. Selon l’étude, un tiers des Français souhaiteraient retrouver « la vie telle qu’elle était avant ». Dans une enquête d’Opinionway pour Max Havelaar, 69 % des sondés considèrent que la crise économique et sanitaire actuelle est l’illustration qu’il faut changer nos modes de consommation et les rendre plus responsables (locaux, bio, équitables, sans emballage...). L’évolution des achats de produits bio durant le premier confinement montre déjà cette prise de conscience. Pour autant, ceci pourrait également s’expliquer par les ruptures importantes sur certains produits, qui auraient incité les consommateurs « à acheter dans le même lieu de vente des références plus qualitatives ». Mais le bio a aussi un adversaire de taille avec la montée en puissance du locavorisme. Car la tendance phare de ces derniers mois est l’attrait des produits made in France, ou de proximité. Dans une enquête présentée par Kantar WP lors de ses webinaires, 92 % des répondants déclarent privilégier les produits d’origine France et 87 % disent essayer d’acheter des produits locaux aussi souvent que possible.
Si l’épidémie a renforcé le rôle prépondérant de la santé dans l’alimentation, elle a aussi redonné du poids aux préoccupations écologiques des consommateurs. « Pour 40 % des Français interrogés en juin par BVA, la crise du coronavirus rend la lutte contre le changement climatique plus urgente. Au début de l’épidémie, en mars, ils n’étaient que 21 % à le dire. »
Acheter local ou français arrive donc en tête des bonnes résolutions des consommateurs français. Certains semblent même être poussés à l’extrême : « 54 % des répondants à l’enquête d’Opinionway pour Max Havelaar souhaiteraient que la consommation alimentaire après le confinement devienne 100 % locale. […] Mais acheter français serait également, selon les sondés, une expression de solidarité avec les producteurs français mis en difficulté pendant la crise (89 %) », démontre l’étude.
Amandine Priolet

Les consommateurs prêts à payer le prix ?

Les consommateurs prêts à payer le prix ?
Selon l’étude de FranceAgriMer, lors du premier confinement, les transferts de la consommation vers le domicile ont bénéficié à la grande distribution. Qu’en sera-t-il de la période de reconfinement ? © DR

Le « consommer mieux » a un coût. Et les contraintes multiples liées à la crise sanitaire ont eu tendance à enflammer les prix. Cette question de l’évolution des prix a par ailleurs été un sujet d’interrogation récurrent pendant la première crise de la Covid-19 pour les ménages, les filières et les pouvoirs publics.
L’Insee a annoncé, sur un an, une inflation de 1,3 % sur les produits de grande consommation vendus en grande distribution au mois d’avril. Sur l’alimentaire, l’institut constate même une forte accélération des prix (+ 3,7 % sur un an, + 1,8 % sur un mois), en particulier sur les produits frais (fruits, légumes et produits de la mer, + 17,8 % au total sur un an et + 11,9 % sur un mois). « A cette hausse atypique des prix constatée sur le périmètre des hypermarchés et supermarchés, il faudrait ajouter un autre facteur potentiel d’augmentation des prix : le changement de circuit d’achat pour un circuit plus cher », prévient l’étude. Les consommateurs se sont tournés vers des circuits de proximité ou des magasins spécialisés, affichant généralement des prix supérieurs à la moyenne. Mais ces nouveaux modes de consommation interrogent sur la capacité des consommateurs à faire perdurer leur volonté d’aller vers plus de qualitatif. 
Le monde d’après sera-t-il donc un retour au monde d’avant en termes de consommation ? Si la crise sanitaire et le confinement modifient le comportement alimentaire des Français, il est encore difficile de déterminer une seule et même trajectoire. Les tendances de consommation et les prises de conscience « doivent être analysées en prenant en compte l’ensemble des facteurs qui pourront influencer les choix et les comportements alimentaires des Français : la situation sanitaire, les possibles aménagements du mode de vie (davantage de télétravail, moins de convivialité autour de repas, temps disponible en semaine et en week-end…), sans oublier la contrainte budgétaire engendrée par la situation économique. » La crise économique aura certainement un impact important sur la consommation alimentaire des Français. 
A. P.