BIOGRAPHE HOSPITALIER
Conter sa vie au seuil de la sienne pour laisser une trace
Passeur de mots et d’histoires® est bien plus qu’une association. Grâce à elle, des personnes gravement malades ont la possibilité de raconter leur vie à un biographe qui fait partie intégrante de l’équipe soignante. De cette écoute, naît un récit relié et tellement précieux pour ceux qui restent.
Tout est né lors d’un temps d’introspection rendu nécessaire à la suite d’un licenciement. Nous sommes dans les années 2000 et, à quarante ans, Valéria Milewski cherche une nouvelle voie pour se réinventer. Elle couche sur papier la liste de ses envies. Au carrefour de l’amour de son prochain, de son plaisir d’écouter l’autre et d’écrire, germe l’idée de raconter l’histoire de celles et ceux qui approchent de la fin de leur parcours de vie. « Je constate qu’une société qui ne s’occupe pas de ses mourants est une société qui va mal. J’ai l’intuition qu’en fin de vie, il est important de se délester. J’ai la conviction que la société a besoin de rituels, d’union, d’entraide, que l’on doit faire corps et prendre soin », raconte Valéria Milewski.
Une vingtaine de passeurs
La jeune femme ne le savait pas encore mais elle avait inventé un nouveau métier, celui de biographe hospitalier. Elle passe d’abord par la case biographe tout court en s’installant à son compte en 2005, puis devient bénévole accompagnante auprès de personnes gravement malades, afin de dépasser son appréhension de la blouse blanche. Lors d’une journée autour de la souffrance organisée dans les Ardennes, elle croise la route du responsable de l’équipe mobile des soins palliatifs de l’hôpital de Chartres. Séduite par son projet, elle démarre donc son travail de biographe hospitalière au Centre hospitalier de Chartres dans le service d’onco-hématologie. Trois ans plus tard, elle crée l’association Passeur de mots et d’histoires®.
Aujourd’hui, la biographie hospitalière est développée dans vingt-cinq établissements, cinquante services et au domicile des malades, par une petite vingtaine de Passeurs en poste. Elle est par ailleurs portée par des associations et des collectifs régionaux.
Écouter, prendre le temps
« Notre métier, c’est de collecter les pépites, la lumière, tout ce qui peut faire sortir le patient de cette noirceur. Notre mission est de déployer une qualité d’écoute et un cadre sécurisant. Nous offrons à la personne la possibilité d’effectuer un travail de remémoration avec un but potentiel de transmission à ses proches. La visée du travail n’est pas psychothérapeutique et le biographe se tient à sa fonction qui est de recueillir les données selon une trame (sans vérifier l’exactitude des propos), de les ordonner, de les restituer et de prendre en compte les corrections du patient », explique l’auteure.
Boucler la boucle
La maladie est un traumatisme, une suite de pertes dans laquelle l’identité peut vaciller. Alors, se raconter offre la possibilité aux malades de se rassembler, de se pacifier et de transmettre. « La biographie hospitalière est une réponse, parmi d’autres possibles, pour passer du chaos à l’apaisement, des questions existentielles qui étouffent au récit comme nouveau souffle. Grâce à elle, le patient s’éloigne un temps de la maladie pour se replonger au cœur de la vie, de sa vie », poursuit-elle. Et parce que chaque vie est une œuvre d’art singulière, les récits sont précieusement retranscrits et prennent corps à travers un livre artisanal, relié à la main. Lorsque, hélas, la personne n’a pas le temps d’aller au bout de son récit, ce sont des feuilles vierges qui sont adossées au récit comme autant d’espaces offerts aux proches pour se souvenir, à travers des dessins d’enfants, des petits mots, des photos… Plus de 2 000 personnes ont été biographiées depuis le début de l’aventure. Valéria anime de nombreuses conférences, donne des cours à la fac et est en passe de créer un diplôme universitaire car, elle l’assure, le travail qu’elle mène est utile à plus d’un titre. La biographie hospitalière est « un livre réconfortant, comme un doudou qui permet de (re)découvrir la personne biographiée à travers ses mots, de s’inscrire dans la mémoire familiale, de faciliter le deuil et d’assurer un lien entre la vie et la mort ».
Sophie Chatenet
“ Vivre avec nos morts, petit traité de consolation”
Delphine Horvilleur est rabbin. À travers onze chapitres, dans « Vivre avec nos morts, petit traité de consolation », elle superpose trois dimensions, comme trois fils étroitement tressés : le récit, la réflexion et la confession. Le récit d’une vie interrompue (célèbre ou anonyme), la manière de donner sens à cette mort à travers telle ou telle exégèse des textes sacrés, et l’évocation d’une blessure intime ou la remémoration d’un épisode autobiographique dont elle a réveillé le souvenir enseveli. Nous vivons tous avec des fantômes : « Ceux de nos histoires personnelles, familiales ou collectives, ceux des nations qui nous ont vus naître, des cultures qui nous abritent, des histoires qu’on nous a racontées ou tues, et parfois des langues que nous parlons ».
Cette réflexion sur la mort est avant tout un roman sur la vie, qui n’empêche pas de régulièrement sourire et qui évite de donner le dernier mot à la mort, invitant à regarder au-delà, là où la vie continue… avec ses morts.
Editions Grasset, 2021, disponible en format de poche.
“ Mon approche est humaniste ”
Comment devient-on biographe hospitalier ? L’expérience de Lucie Créoff à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). L’activité du passeur est une activité professionnelle, le biographe reçoit une rémunération. Son statut peut être un statut de travailleur indépendant et/ou de salarié. S’il n’existe pas de profil type, la pratique de ce métier, un peu particulier, requiert certains préalables : avoir une expérience professionnelle de l’accompagnement des personnes en fin de vie ; posséder de solides compétences en écriture, et se montrer capable de transcrire les propos recueillis en mettant son écriture au service de la personne écoutée, sans fioritures ni réinterprétation stylistique, et avoir déjà écrit une à deux biographies. Lucie Créoff, trente-cinq ans, est biographe hospitalière. Depuis 2016, au sein du service oncologie de Brive, elle recueille les paroles de patients qui se racontent. Elle a été ergothérapeute dans le domaine de la santé mentale. Dans le cadre de cet exercice, elle avait souvent recours à l’art-thérapie afin de permettre à ses patients, à travers la pratique d’une discipline artistique, de s’exprimer et de retrouver petit à petit confiance en eux. C’est lors d’un atelier d’écriture que Lucie a compris la puissance de l’écrit et de son utilité pour eux. « Ces personnes que je pensais connaître se sont révélées à moi à travers cet outil. Cette expérience est venue faire écho à cette profession de biographe hospitalier dont j’avais entendu parler. » Formation en poche, c’est une autre rencontre qui propulse Lucie au sein du pôle cancérologie de l’hôpital de Brive. Elle est sollicitée par le docteur Laure Vayre, chef du pôle d’oncologie, convaincue qu’une biographe permettra de proposer un accompagnement complémentaire, grâce à la collaboration avec l’équipe soignante, pour le confort et le bien-être des patients et de leur entourage. « Mon approche est humaniste et pas forcément soignante. Je ne rencontre pas un malade mais d’abord une personne.
Il faut que cela soit un moment de plaisir, une fenêtre ouverte sur autre chose. Même si effectivement les patients sont souvent fatigués, parfois les entretiens se prolongent.
Une fois qu’ils commencent, c’est comme s’ils étaient transportés ailleurs, ils ne sont plus à l’hôpital. »
Pour aller plus loin, vous pouvez adresser un mail à [email protected]