Contrats en bovins viande : le grand saut
Alors que la contractualisation est obligatoire depuis le 1er janvier pour certaines catégories de bovins viande, cette mesure ne fait pas l’unanimité chez les négociants, qui écoulent les deux tiers des animaux en France.

Ils étaient un peu moins de 200, éleveurs et négociants à manifester le 23 décembre à Clermont-Ferrand (63) contre l’obligation de contractualisation en viande bovine. Une manifestation dont s’est désolidarisé le syndicalisme majoritaire (FNSEA, JA) mais également Elvéa. Créé par la Fédération nationale bovine (FNB), ce réseau d’organisations de producteurs non commerciales regroupe 18 000 éleveurs, qui travaillent à 95 % avec les négociants.
Peu avant cette manifestation, la FFCB (Fédération des commerçants en bestiaux) avait de son côté rappelé qu’elle n’était « pas favorable à la contractualisation écrite obligatoire », plaidant pour une contractualisation « volontaire », réservée à « certaines catégories d’animaux » (démarches qualité notamment). « S’engager par écrit prive les éleveurs de leur liberté de commercialisation », estimait la FFCB qui dénonçait également « une application précipitée ». « Malgré l’information faite par certains maillons de la filière, une grosse partie des éleveurs n’est pas au courant [que la contractualisation s’applique depuis le 1er janvier, ndlr] », d’après Sylvain Bleubar, directeur de la fédération.
Contrats types
Bien que critique sur le principe et malgré l’opposition revendiquée par certains négociants lors de la manifestation de Clermont-Ferrand, la FFCB ne souhaitait pas, courant décembre, freiner l’application de la loi. « Nous accompagnerons les négociants qui le veulent sur des outils », indiquait alors son directeur dans un entretien à Agra Presse. Des outils qui devaient être co-construits avec la profession. « Nous travaillons avec la FFCB sur un contrat type que l’on va diffuser auprès des éleveurs », soulignait de son côté Philippe Auger, le président d’Elvéa. Ce contrat type « ressemble à celui de la FNB » (disponible en cliquant ici), a par ailleurs précisé le président d’Elvéa, éleveur en Haute-Saône.
« Trou dans la raquette »
La FFCB déplore cependant un « trou dans la raquette » dans la conception même de la loi, soulignant que « la contractualisation obligatoire ne porte que sur le premier acte de commercialisation » entre les éleveurs et leurs premiers acheteurs. Ces derniers sont le plus souvent des négociants (pour deux tiers des animaux) mais aussi des coopératives, des abattoirs ou des bouchers. Plus loin dans la filière, la seule obligation concerne les contrats aval entre les distributeurs et leurs fournisseurs, qui doivent mentionner dans leurs conditions générales de vente la part de matière première agricole, désormais non négociable. Entre les deux, « c’est le flou artistique, déplore le directeur de la FFCB. On ne peut pas s’engager sur un prix auprès de l’éleveur et ne pas être sûr de pouvoir le répercuter derrière. » Autre inquiétude pour les maquignons : les animaux exportés, soit 1,138 million de broutards et 37 000 gros bovins en 2020. « Je ne vois pas comment les Italiens vont contractualiser des broutards qui ne sont pas encore nés… », abonde Philippe Auger, le président d’Elvéa. La contractualisation obligatoire ne s’appliquera aux broutards qu’à partir du 1er juillet 2022. Mais le problème de répercussion de la valeur risque de se poser dès le début de l’année pour la viande de jeunes bovins (80 % des exportations françaises), déjà très concurrencée sur ses marchés historiques. Enfin, les négociants pointent un certain nombre de questions pratiques encore sans réponse, comme l’application aux achats de lots d’animaux. « La définition d’un broutard, c’est un animal de moins de 12 mois, rappelle Sylvain Bleubar. Mais nous achetons les bêtes par lots, et il peut y avoir dans un lot des bêtes de 10 à 14 mois. Que fait-on dans ce cas-là ? »
D’après Agrapresse
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En bref
D’après un décret paru au Journal officiel le 26 décembre, l’obligation de contractualiser ne concerne pas les éleveurs qui réalisent en bovins viande un chiffre d’affaires inférieur à 10 000 euros. Prévue dans la loi Egalim 2, cette exemption s’applique aussi à leurs acheteurs jusqu’à 100 000 €.
Contractualisation : hors du négoce, pas de bouleversement en vue
Un tiers des bovins élevés en France passe par les coopératives ou en direct, par les abattoirs et les bouchers.
Comme pour la loi Egalim 1, l’application d’Egalim 2 aux coopératives se fait au travers de leurs textes propres (statut ou règlement intérieur), qui doivent comporter des « dispositions produisant des effets similaires » à la loi. « Egalim 2 nous amène à étendre le principe de contractualisation qu’on a déjà en Label rouge », résume Bruno Colin, président du pôle animal de la Coopération agricole. Une démarche familière aux coopératives, qui réalisent à elles seules plus de 70 % des volumes de ce signe de qualité.
Bouchers : un pacte avec les éleveurs
La Confédération des bouchers, charcutiers et traiteurs (CFBCT) compte présenter son « pacte artisan-boucher/éleveur », application concrète d’Egalim 2 pour la profession, lors du Salon de l’agriculture 2022. Les professionnels signataires s’engageront à acheter des demi-carcasses ou des bêtes entières (avec possibilité d’un réassort de viande dans un maximum de 25 % du poids de la carcasse), avec des critères de qualité (race, type d’animaux, état d’engraissement, etc.). La CFBCT espère rassembler « 4 000 artisans d’ici fin 2022, à raison d’une bête par semaine chacun », soit quelque 170 000 bêtes par an. « La contractualisation ne va pas révolutionner notre façon de travailler », estime Sébastien Rambaut, membre du bureau de la CFBCT. Pour lui, il s’agit de formaliser des engagements jusque-là « conclus d’une poignée de main ».
Abattoirs : déjà des contrats
D’après Paul Rouche, directeur de Culture Viande (abattage-découpe), « les abattoirs n’ont pas attendu Egalim 2 pour contractualiser ». Certains abattoirs ont « déjà conclu des contrats avec des éleveurs ou des groupements pour des catégories d’animaux spécifiques », à savoir le « cœur de marché, des produits qui se demandent le plus : jeunes bovins ou génisses ». Pour les autres types d’animaux, une contractualisation directe est selon lui plus délicate, car ils représentent « un volume important, mais moins demandé et moins régulier ».