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Communication

Agriculture et société : un lien à rétablir par le dialogue

Trop souvent, le monde agricole, et plus particulièrement l’élevage, est sous le feu des critiques de la société. Le dialogue n’est pas toujours facile si l’on ne s’y prépare pas.

Agriculture et société : un lien à rétablir par le dialogue
A chaque formation, les participants réfléchissent collectivement à élaborer la meilleure argumentation possible (photo archive CNE).

Pratiques agricoles, bien-être animal, produits phytosanitaires, qualité des aliments… Au fil des années, toujours plus de citoyens s’interrogent sur les modèles agricoles sans forcément bien les comprendre. Stigmatisés, les agriculteurs se trouvent à devoir se justifier. Et bien souvent, le dialogue ne fonctionne pas tant les publics sont éloignés. Que faudrait-il dire ou ne pas dire ? Avec quels mots ? Jusqu’où aller ? Pour répondre à ces questions, la chambre d’agriculture de la Drôme a organisé, le 26 février, une visioconférence sur le thème « parler de son métier d’éleveur sans tabou ».

Crise de la vache folle : un séisme

« En 2000, la crise de la vache folle a été un séisme », rappelle Jean-Marc Bèche.

« En 2000, la crise de la vache folle a été un séisme, rappelle Jean-Marc Bèche, chargé de communication grand public auprès de nombreux organismes d’élevage (Cniel, CNE, Cnaol, Interbev…). Ce fut une crise sanitaire inédite puis une crise économique et, pour finir, une crise sociétale. On l’a gérée comme on a pu, plutôt mal d’ailleurs, raconte-t-il. Les éleveurs étaient absents dans la prise de parole, ce qui a créé du doute dans la société à propos des pratiques d’élevage. » Ce choc a fait ressortir de nouveaux besoins en termes de communication. Les organisations d’élevage ont alors décidé de construire une méthode de formation destinée à préparer les agriculteurs au dialogue sur les questions sociétales. Depuis plusieurs années, des éleveurs ont ainsi pu s’approprier une argumentation. Lors de chaque séminaire d’une durée de deux jours (ou moins), les participants ont aussi été mis en situation sur des plateaux de télévision ou des studios radios reconstitués, face à des quidam jouant le rôle des journalistes… « Déstabilisation, construction et déplacement vers l’autre (c’est à dire se mettre à la place d’un auditeur lambda ne connaissant rien de l’élevage) sont les partis pris pédagogiques de cette formation », explique Jean-Marc Bèche.

« Faire le deuil du langage technique »

Jean-Marc Bèche conseille de toujours « revenir sur son terrain, son quotidien pour faire partager ses connaissances du vivant. »

Choisir « le bon vocabulaire » et le « mot juste » sont essentiels, poursuit-il, avant d’ajouter : « Il faut faire le deuil du langage technique, ne pas surestimer le niveau de connaissance de son interlocuteur, utiliser le “je” pour témoigner ». Jean-Marc Bèche conseille de toujours « revenir sur son terrain, son quotidien pour faire partager ses connaissances du vivant. Il faut sortir des éléments de langage afin d’éviter le “prêt à parler” ou le “prêt à penser”. Il n’y a pas de messages uniques ou “magiques” mais des témoignages argumentés solides. » 

D’autres conseils ont été donnés comme ne jamais attaquer frontalement son interlocuteur, apprendre à gérer les indignations et ne pas s’indigner soi-même… Toutefois, « il est inutile d’essayer de convaincre des militants radicaux car le dialogue, dans ce cas, est impossible », précise-t-il.

Soigner son vocabulaire

Eleveuse avicole à Eymeux depuis près de vingt ans, Hélène Bombart s’est très tôt intéressée à la communication. Dans le contexte de la grippe aviaire et à l’initiative du Cervose*, un petit groupe d’éleveurs de volailles de chair et pondeuses, tous modes de productions confondus, s’est constitué. « C’était pour apprendre à parler de notre métier simplement, raconte Hélène Bombart. Avec l’aide de Jean-Marc Bèche, la formation a permis de construire des arguments pour faciliter le dialogue, faire de la pédagogie. Cela m’a servi lors du Marché des saveurs de Lyon, entre autres. » Hélène Bombart s’est aussi armée pour répondre aux médias avec, notamment, un vocabulaire bien choisi. « Je parle de “ferme” et non d’“exploitation”, je ne “produis” pas mais “j’élève” des animaux », dit-elle.

Cet accompagnement à la prise de parole dans les médias fait désormais partie du métier d’éleveur et plus généralement de celui d’agriculteur. Cela permet aussi de surmonter les réticences de riverains lors de la création ou l’extension d’élevages, ou encore sur le sujet de la prédation... Dans ce type de situation (voir encadré), les tensions sont très souvent exacerbées et les clivages profonds. Et ce n’est pas toujours facile de les surmonter, même lorsqu’on y est bien préparé.

Christophe Ledoux

* Cervose : Comité économique régional de la volaille du Sud-Est.

Une formation en Drôme 

A la suite de cette webconférence, la chambre d’agriculture de la Drôme propose une formation intitulée « j’apprends à parler de mon métier d’éleveur sans tabou », les 18 et 25 mars (2 h 30 en visio par séance). Elle sera complétée par une demi-journée d’échanges à l’automne ou l’hiver 2021. Afin d’assurer la bonne tenue de cette session animée par Jean-Marc Bèche, le nombre de participants est limité (5 à 7 personnes).

Contact : François Gaudin, conseiller productions volailles et porcs (06 22 42 54 03).

Des témoignages 

Lors de la webconférence, deux témoignages ont mis en exergue des difficultés de communication. Dans la vallée de la Gervanne, des éleveurs se trouvent en rupture de dialogue avec des néo-ruraux. Ces derniers ne supportent pas les chiens de protection. Tout a été mise en œuvre par les éleveurs pour expliquer leur situation au regard de la prédation du loup. Sans résultat, une médiation a même été tentée en faisant intervenir le parc du Vercors, des associations… mais rien n’y fait. 

Autre témoignage, celui d’une installation en poules pondeuses plein air. « On a expliqué notre projet de 29 000 poules mais malgré cela le voisinage nous a mis au tribunal sous prétexte que c’est un élevage industriel. Ils ne veulent rien savoir en mettant des panneaux au bord des routes. »