Société
Femmes en agriculture : halte aux idées reçues

La journée internationale des droits des femmes, le 8 mars prochain, donne l’occasion de mettre en lumière les femmes, devenues actrices incontournables du monde agricole. Rencontre avec trois Drômoises.

Femmes en agriculture : halte aux idées reçues

Léa Lauzier : « J’ai la chance de travailler pour moi »

Fille d’agriculteur, productrice de plants de plantes aromatiques à Châteauneuf-du-Rhône et co-présidente du syndicat Jeunes Agriculteurs (JA) de la Drôme, Léa Lauzier est une de ces femmes investies et passionnées par le monde agricole. Pourtant, selon elle,  « presque rien ne nous fait comprendre que la femme a sa place dans les instances syndicales ». Si elle cite Anne-Claire Vial, ancienne présidente de la chambre d’agriculture de la Drôme, et Christiane Lambert, actuelle présidente de la FNSEA, Léa Lauzier se retrouve très souvent la seule femme lors des réunions officielles. « Certes, il y a une vie à côté de l’agriculture. Mais au XXIe siècle, c’est encore la femme qui prend la majorité de la charge mentale de la famille », regrette-elle. Dans le métier, elle se réjouit toutefois de la reconnaissance des femmes en tant que cheffe d’exploitation. « Ma grand-mère, née en 1937, a travaillé toute sa vie pour quelqu’un : son père, son mari, son fils... J’ai la chance de travailler pour moi », confie Léa Lauzier. Avant d’ajouter : « Maintenant, il faut que les concessionnaires se mettent à la page ».
Si les constructeurs de matériels ont fait évoluer les équipements en matière de machinisme et d’outillages, notamment les systèmes hydrauliques, des efforts doivent encore être faits pour améliorer le confort de travail des femmes qui travaillent seules, mais aussi préserver la santé de tous. « On a beau le répéter, on n’est pas totalement l’égal de l’homme physiquement parlant. Quand mon père déplace 50 kg d’un coup, moi je fais deux voyages de 25 kg. » Pour Léa Lauzier, des adaptations sur les pulvérisateurs doivent aussi être pensées. « Pour ma part, il me faut un escabeau pour pouvoir remplir les cuves, avec une façon particulière de tenir le bidon de 20 kg, souvent trop lourd pour une femme. » La jeune agricultrice évoque également les difficultés liées à l’habillement. « Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de cottes ou de pantalons de travail qui sont faits pour les femmes, mais qui sont souvent disponibles uniquement sur commande auprès des magasins professionnels. » 
Enfin, les idées reçues dans ce milieu très masculin qu’est l’agriculture restent un frein dans l’évolution de la place de la femme. « Quand je vais chercher des pièces pour faire de la mécanique, j’entends encore souvent que je viens faire les courses pour mon père », regrette Léa Lauzier. A la tête de sa pépinière depuis le 1er octobre 2016, certains clients appellent encore son père pour passer commande. « Je ne pense pas que les femmes agricultrices soient prises au sérieux. Cela arrive à force de boulot et de prouver ce que l’on sait faire, note-t-elle. Quand une femme s’installe, c’est beaucoup d’interrogations : “comment tu vas faire si tu veux des enfants ? Comment vas-tu gérer la maison, le travail et la famille ? Ces questions-là, au final, on ne les pose jamais aux hommes », déplore-t-elle.

« Quand je vais chercher des pièces pour faire de la mécanique, j’entends encore souvent que je viens faire les courses pour mon père », regrette Léa Lauzier.

Pauline Bourdi : « Les femmes sont autant capables... »

à Crest, Pauline Bourdi est connue pour être depuis trois ans la présidente du canton pour le syndicat Jeunes Agriculteurs (JA). à 25 ans, la jeune femme est passionnée par l’agriculture - et en particulier les vaches laitières - depuis toujours, son père étant lui-même éleveur. Titulaire d’un bac technologique agricole STAV acquis au lycée Le Valentin à Bourg-lès-Valence, la jeune femme a travaillé durant quatre ans et demi dans une exploitation laitière à Comps. Depuis quelques semaines, elle est salariée à La Ferme des Blaches (poulets de chair) à Divajeu, un choix qu’elle a fait pour se rapprocher de son compagnon agriculteur. En parallèle, elle a lancé un projet d’installation fin 2021 en volailles dans un objectif de double activité. D’autres idées ont depuis émergé, comme créer son propre élevage de vaches allaitantes pour pâturer et valoriser les terres en semis direct de son conjoint.
Si aujourd’hui, Pauline Bourdi semble bien dans ses baskets, cela n’a pas toujours été le cas. De son passage à l’école, la jeune femme retient « une période très difficile ». « étant du monde agricole, j’étais différente des autres filles et j’ai souvent été rejetée. Mais cela m’a forgé un caractère », assure-t-elle. Au lycée agricole puis au sein des JA, sa place s’est faite tout naturellement. En revanche, au travail, elle reconnaît que les femmes ont du mal à être l’égal de l’homme. « Il y a des jours où c’est vraiment dur physiquement. En tant que femme, je n’arrive pas forcément à faire tout ce qu’un homme est en mesure de faire. Je pense notamment aux charges lourdes. Après, la modernisation a forcément apporté des améliorations, des adaptations pour les conditions de travail et cela nous aide beaucoup… Mais les coûts d’investissements sont parfois excessifs face à la rémunération des éleveurs », fait-elle remarquer. 
Quant à la place des femmes dans ce milieu, Pauline Bourdi revendique le fait d’oser se lancer dans l’aventure : « J’encourage les agricultrices à continuer leur métier ou à faire le pas de s’installer. Les femmes sont autant capables que les hommes de gérer une exploitation. Souvent, à ceux qui critiquent, je leur réponds de venir passer une journée avec moi… Les femmes ont leur importance dans le monde agricole, notamment dans les instances ». Elle ajoute : « D’un point de vue général, il faut que la société nous écoute et qu’elle arrête de dire que les agriculteurs n’arrêtent pas de se plaindre ».

« J’encourage les agricultrices à continuer leur métier, à faire le pas de s’installer. Les femmes sont autant capables que les hommes de gérer une exploitation », affirme Pauline Bourdy.

Elisa Desgaches : « Une organisation différente et une autre façon de réfléchir »

Fille d’agriculteur, Elisa Desgaches a toujours baigné dans le monde agricole, au sein de la ferme familiale située à Bonlieu-sur-Roubion. Bien que passionnée par ce milieu, elle s’est tournée vers un bac littéraire puis une faculté de droit. « Il me manquait l’aspect terre à terre », avoue-t-elle. Il y a un peu moins de deux ans (elle passe son diplôme en mai, ndlr), Elisa Desgaches se dirige finalement vers un BTS technico-commercial biens et services industriels, qu’elle effectue au sein du lycée professionnel Saint-André au Teil (07). « Ce n’est pas un BTS spécialisé dans l’agricole. Mais les moteurs, les systèmes hydrauliques... m’ont toujours plu », détaille-t-elle. Seule femme de sa classe, elle indique avoir « une vision, une organisation différente des hommes et une autre façon de réfléchir ». En parallèle, elle fait son apprentissage à Roynac, dans les établissements Sicoit. « Je travaille avec l’équipe de commerciaux qui m’a très bien accueillie et qui m’aide beaucoup au quotidien. Si je suis la seule femme de l’équipe, j’ai malgré tout bien réussie à m’intégrer », fait-elle remarquer. Parmi ses missions, la prospection et la relation clients, mais aussi la conception de devis, la présence lors de démonstrations ou de salons agricoles. « La société m’a fait confiance et m’a confié énormément de responsabilités », se réjouit la jeune femme.
Pourtant, celle qui a évolué au sein d’une exploitation céréalière doit aujourd’hui faire l’apprentissage de nouvelles notions. « Je connaissais les tracteurs, les outils de binage… mais on m’a spécialisé dans le secteur viticole et il m’a fallu découvrir des matériels spécifiques. Un réapprentissage toutefois plaisant », dit-elle. Au fil de ses rencontres sur le terrain, au plus près des agriculteurs, Elisa Desgaches doit toutefois s’affirmer. « Le regard des exploitants varie : certains acceptent très bien de voir arriver une femme, d’autres s’interrogent un peu… Finalement, je n’ai eu que deux retours négatifs en deux ans. Cela montre aussi l’évolution des mentalités. » Plus globalement, elle estime que les femmes ont leur place dans cet environnement masculin. « Je pense surtout que ce sont les femmes qui ont du mal à s’intégrer dans ce monde d’hommes. Moi-même, au départ, je ne savais pas si j’allais être acceptée. Mais il serait important de voir plus de femmes s’installer. » L’installation, justement, Elisa Desgaches y songe… avec une retenue certaine. « Face à la difficulté du métier, ma grande question est de savoir si je m’installe ou non avec mon père. Pour l’instant, je ne me sens pas prête… pourquoi pas dans une dizaine d’années ? », conclut-elle. 

« Je pense surtout que ce sont les femmes qui ont du mal à s’intégrer dans ce monde d’hommes. Moi-même, au départ, je ne savais pas si j’allais être acceptée », fait remarquer Elisa Desgaches.