Accessibilité
Des gilets vibrants pour les personnes sourdes et malentendantes

Depuis cette année, la salle de concert du Brise-Glace, située à Annecy, met à disposition cinq gilets vibrants, afin d’offrir des sensations et des vibrations au public sourd et malentendant.

Des gilets vibrants pour les personnes sourdes et malentendantes
Amélie Dubosc, responsable du pôle éducation artistique et culturelle du Brise-Glace, souhaite réitérer l’expérience et imaginer un nouveau format avec le groupe résident du lieu. ©LR_APASEC

«J’ai ressenti une fierté d’accéder pour la première fois à une salle de spectacle. » Frédéric Carlioz n’est pas tout à fait un spectateur comme les autres. Il y a quelques mois, ce Haut-Savoyard de 45 ans a enfin pu découvrir l’ambiance d’une salle de concert. Non pas qu’il n’en avait jamais eu l’envie auparavant… En réalité, Frédéric est sourd. Le 14 janvier dernier, le quadragénaire qui est également le président de l’association Signes des Mains, s’est rendu à la salle de concert du Brise-Glace, située à Annecy (lire encadré), pour participer à un événement dédié à l’accessibilité des personnes sourdes et malentendantes.

Ressentir les vibrations

Depuis 2022, la salle du Brise-Glace s’est dotée de cinq gilets vibrants. L’objectif est que le public, composé aussi bien de personnes entendantes, sourdes et malentendantes, puisse les porter le temps d’un concert. Reliés en haute-fréquence à la table de mixage, ces gilets permettent aux utilisateurs de se déplacer dans la salle, tout en profitant des vibrations émises par la musique. « Je sentais les vibrations sur mon corps quand le volume sonore de la musique était fort, se remémore avec une certaine joie Évelyne Charrière, présidente de l’association LumoSignes et se définissant comme sourde. J’étais à l’aise, je dansais librement au rythme de la musique. » D’une valeur de 1 000 € l’unité, ces gilets ont été financés par le fonds accessibilité de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). Le public peut les utiliser gratuitement durant chaque concert du Brise-Glace. « Mais depuis notre premier événement, nous ne les avons pas ressortis, regrette Amélie Dubosc, responsable du pôle éducation artistique et culturelle du Brise-Glace. Nous allons devoir cibler notre programmation, car cette technologie permet d’amplifier les fréquences basses, ce qui est idéal pour les musiques électroniques, mais un peu moins pour le jazz, par exemple. » Au total, ce premier événement a rassemblé 300 personnes, dont 30 de la communauté sourde et malentendante. « Pour nous, c’est un petit succès, puisque tout le public ne venait pas que du département de la Haute-Savoie, ajoute la responsable, qui envisage de réitérer l’expérience. Mais le problème, c’est d’aller chercher des fonds pour payer des chansigneurs et chansigneuses durant les concerts (lire encadré). Les gilets peuvent se suffire à eux-mêmes sur de la musique électronique, mais sur d’autres styles, cela reste fragile. »

Encouragé par la ville d’Annecy

Cette notion d’accessibilité, la ville d’Annecy en a également fait une de ses récentes priorités. L’année dernière, la municipalité a fait l’acquisition de dix gilets vibrants, qu’elle met à disposition durant la Fête du lac. Et la demande existe. « En 2022, 60 personnes sourdes ou malentendantes étaient venues avec leur famille, assure la coordinatrice des politiques handicap et accessibilité, Laure Danielian. Avec les cinq gilets du Brise-Glace, nous avons pu leur en fournir quinze gratuitement. C’est à nous de compenser le handicap. » La mise à disposition sera de nouveau effective cette année durant la prochaine Fête du lac, le samedi 5 août, au cœur de la Venise des Alpes. Mais pour Frédéric Carlioz, comme pour Évelyne Charrière, tous deux représentants de la communauté sourde et malentendante, le chemin vers l’accessibilité et la sensibilisation reste encore long. Les personnes sourdes et malentendantes sont bien souvent prêtes à braver de nombreuses heures de route, afin de se rendre dans un événement culturel où leur handicap est pris en compte.
Léa Rochon

A Annecy, une centaine de concerts chaque année
Le Brise-Glace comporte deux salles de concert, de 488 places et 120 places. ©Brise-Glace

A Annecy, une centaine de concerts chaque année

Construite en 1998 aux abords du lac d’Annecy, la salle de concert du Brise-Glace est la première structure labellisée scène de musiques actuelles (Smac) par le ministère de la Culture de l’ancienne région Rhône-Alpes. D’une surface de 1 500 m2, l’établissement dispose de deux salles, d’une capacité de 488 places et 120 places. Concerts de jazz, rap, musique du monde, rock, hip-hop, métal, électronique… Chaque année, le Brise-Glace propose une vaste palette musicale à près de 20 000 spectateurs. Au total, quinze salariés travaillent à l’animation du lieu. Outre des concerts, dont certains sont gratuits, la structure propose également la location de studios de répétition et d’enregistrement, ainsi qu’un accompagnement aux musiciens amateurs ou souhaitant se professionnaliser. 
L. R.

Musique

L’art et la nécessité du chansigne

Dans la communauté de la langue des signes française (LSF), les gilets vibrants ne sont pas les dispositifs les plus répandus lors des événements culturels. De plus en plus d’artistes et de salles de spectacle font appel à des professionnels du chansigne. Cette méthode consiste à interpréter une chanson en langue des signes, à destination des personnes sourdes et malentendantes. Plus encore, les chansigneurs et chansigneuses utilisent l’expression de leur visage et les parties de leur corps, afin de retranscrire les émotions d’une chanson. Véritable travail d’interprétation, le chansigne est d’abord né aux États-Unis, dans les années 1970, sous la forme de chorale. En France, sa pratique se démocratise peu à peu. À titre d’exemple, le concert du rappeur Soprano, qui s’est déroulé au festival des Vieilles Charrues (Bretagne), a été traduit en langue des signes grâce à deux interprètes de chansigne. La salle de concert du Brise-Glace a également joué le jeu en janvier dernier, lors de son événement d’initiation aux gilets vibrants. Les organisateurs avaient invité la musicienne La Pietà et le célèbre chansigneur, Carlos Carreras, à se produire ensemble. « Une personne m’a expliqué qu’elle venait d’assister à son premier concert, relate avec fierté Amélie Dubosc, responsable du pôle éducation artistique et culturelle du Brise-Glace. Les bénéfices, c’était bel et bien d’avoir les gilets vibrants à disposition, mais aussi un concert adapté avec un chansigneur qui traduisait les textes. » 
L.R.

En chiffres

Être sourd ou malentendant en France

• 300 000 personnes sourdes et 5 millions de personnes malentendantes.
• 1/3 des personnes sourdes pratiquent couramment la langue des signes.
• 34 % des personnes sourdes sont inactives du fait de la restriction d’accès à l’emploi, aux loisirs et du fait de l’isolement. 
Sources : OMS chiffres de 2021 et Fédération nationale des sourds de France.