LÉGUMES
Une tomate grappe aux origines multiples

Cinquième épisode de notre série consacrée à l’origine de produits alimentaires phares avec la tomate grappe. Si la France développe plusieurs domaines d’expertise dans la production de ce légume sous serre, l’ingénierie hollandaise se révèle indispensable pour satisfaire notre appétit.

Une tomate grappe aux origines multiples
La tomate grappe, un incontournable pour les consommateurs français. ©Pierre Garcia

Ronde, allongée, cornue, côtelée, jaune, rouge, noire, zébrée… la tomate s’offre aujourd’hui aux consommateurs sous toutes ses formes et toutes ses couleurs. Elle est d’ailleurs le deuxième légume préféré des Français après la pomme de terre avec 13,5 kg achetés par ménage et par an. Pour autant, la France ne produit que la moitié de sa consommation en tomates. La production nationale de tomates sous serre (pour le frais) s’élevait à 522 271 tonnes en 2019 d’après les données provisoires publiées par Agreste en avril. Les importations en frais atteignaient quant à elles en moyenne 545 500 tonnes en 2014-2016 d’après le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL). Dans ce paysage, un produit en particulier tire son épingle du jeu : la tomate grappe. « La grappe, c’est 60 % du marché de la tomate », assure Bruno Vila, vice-président de l’AOP Tomates de France et président du groupe Rougeline. Une popularité qui peut sans doute s’expliquer par « une certaine maturité à la récolte », estime Mathilde Causse, directrice de recherche en génétique de la tomate à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae).

Semenciers internationaux, plants locaux

Pour produire un plant de tomate par greffage, il faut deux graines : la variété désirée et le porte-greffe. En général, les producteurs renouvellent leurs plants chaque année. « Les variétés de tomate, cela coûte extrêmement cher, de quinze centimes à un euro par graine », glisse Bruno Vila. Un juteux marché que se partagent plusieurs maisons grainières d’envergure internationale comme le géant suisse Syngenta et ses homologues allemands Bayer (marques De Ruiter et Seminis) et BASF (Nunhems). Sont aussi présents sur ce marché les hollandais Enza Zaden, Rijk Zwaan et Axia Vegetable Seeds, ainsi que les français Vilmorin-Clause et Gautier Semences, spécialisé dans les variétés gustatives. « Il n’y a pas de fournisseur attitré », poursuit le président de Rougeline, expliquant que la recherche évolue très vite et que les producteurs testent régulièrement de nouvelles variétés piochées à droite et à gauche. Quant à la production de plants, la plupart des producteurs les font faire par des pépiniéristes situés à proximité des zones de maraîchage.

Engrais mondiaux

Pour assurer la fertilisation d’une culture de tomate sous serre, il faut lui apporter une solution nutritive contenant sept éléments : de l’azote, du phosphore, du soufre, du potassium, du calcium, du magnésium et du chlore. Des oligoéléments (le fer, le bore, le manganèse, le cuivre et le molybdène) sont également nécessaires. Pour la culture hors-sol, « les plus répandus sont les engrais simples solubles dans l’eau sous forme de cristaux mais il y a aussi une tendance au développement des engrais liquides », explique Serge le Quillec, ingénieur spécialisé au CTIFL. Parmi les entreprises leaders : le groupe norvégien Yara, l’entreprise française Plantin, l’allemande K S Kali, la française Angibaud ou encore l’israélienne Haifa Chemicals (détenue par le groupe Trump) qui exploite la potasse de la mer Morte et le phosphate de calcium du désert du Néguev.

Substrat de coco international

Deux substrats sont majoritairement utilisés pour la culture de tomate hors-sol : la laine de roche et la fibre de coco. 
Le premier issu de la silice et utilisé pour l’isolation provient de deux grands fabricants mondiaux : le groupe français Saint Gobain-Isovert et le danois Rockwool. Le hollandais Grodan détient aussi une part non négligeable du gâteau. Quant au substrat en mésocarpe de noix de coco, il est fabriqué par les entreprises françaises Biogrow, Dumona et Nucea Substrate (Palmeco). « On a des usines de production au Sri Lanka, en Inde et au Brésil », explique Bruno Vila, qui gère également la marque Biogrow. « Le substrat est issu de résidus de l’industrie de la fibre ou qui est utilisée pour faire des cordes, des balais, encore des tapis », ajoute-t-il. La coopérative bretonne Savéol produit ses propres insectes pollinisateurs et auxiliaires dans une ferme dédiée depuis 1983. Pour autant, il s’agit là d’un cas unique en France et même en Europe à en croire les éléments qu’ils communiquent. D’après les professionnels interrogés, quatre entreprises de production d’insectes dominent aujourd’hui le marché hexagonal : le hollandais Koppert, le français Bioline, le belge Biobest et enfin l’entreprise espagnole Agrobío.

Serres hollandaises

« Quasiment 100 % de la tomate grappe est cultivée sous abri, majoritairement en hors-sol », estime Bruno Vila. Avec quelque 952 hectares en 2016 selon le CTIFL, le gros de la production se réalise aujourd’hui sous serre en verre chauffée. Une technique qui permet d’obtenir des rendements d’environ 60 kg au mètre carré contre 16 à 20 kg sous abri froid, majoritairement en plastique, explique Serge le Quillec. En construction de serres en verre chauffées, les Hollandais demeurent les maîtres incontestés avec des entreprises majeures comme Hortined et Horconex qui ont pignon sur rue, assure le président et responsable des achats de la coopérative Sud Roussillon, Valéry Goy. A noter que les Français Richel et CMF sont également positionnés sur ce marché. 
« On peut dire que le maître d’œuvre est français mais les matériaux viennent beaucoup des Pays-Bas : la structure de la charpente, les poteaux, le treillis, les gouttières, l’aluminium entre les fenêtres, les ordinateurs climatiques et d’arrosage. Tout, sauf le verre qui peut venir d’un peu partout », résume le président de la coopérative bretonne Solarenn, Christophe Rousse.

Grâce à ses nombreuses variétés, la tomate s’offre aux consommateurs sous toutes ses formes et toutes ses couleurs.

Goutte-à-goutte israélien

En matière d’équipements sous serre, là encore les Pays-Bas assoient sans difficulté leur domination. En effet, les systèmes de gestion de serre qui permettent de contrôler le climat sont principalement de marques hollandaises (Privat, Ridder et Hoogendoorn), tout comme les chariots élévateurs pour faire le palissage et les chariots de récolte, indique Valéry Goy. Sur ce marché, on remarque que la société belge Bogaerts est aussi présente tandis que la Pologne propose également du matériel low cost « depuis quatre ou cinq ans environ », indique le président de la coopérative Sud Roussillon. Concernant les technologies de goutte-à-goutte, « les spécialistes sont les Israéliens », affirme Christophe Rousse, de la coopérative Solarenn. Il s’agit de Netafim, Plastro et Naan, confirme Valéry Goy. Pour la filtration de l’eau qui circule en boucle dans les serres, des entreprises françaises proposent aujourd’hui leurs propres solutions. « La société Squiban fabrique son biofiltre, et pour les stations UV, nous avons aussi le fabriquant français UV Germi », ajoute-t-il.

Frédéric Riche : “ Produire de la tomate tout au long  de l’année, cela demande beaucoup d’investissements ”
Frédéric Riche, vice-président de Légumes de France. © Frédéric Riche

Frédéric Riche : “ Produire de la tomate tout au long  de l’année, cela demande beaucoup d’investissements ”

Producteur de légumes à proximité de Villefranche-sur-Saône, Frédéric Riche est aussi membre de la FDSEA du Rhône et vice-président de Légumes de France, un syndicat qui regroupe l’ensemble des productions légumières (conventionnel, bio, circuits courts ou longs). Engagé depuis 2012 dans une démarche de circuits courts, il cultive notamment des tomates qu’il commercialise en vente directe. « La tomate est incontournable pour ceux qui font de la vente directe. C’est un produit qui est très populaire chez les consommateurs et le marché de la tomate grappe est particulièrement disputé », explique-t-il. Pour produire ses tomates, Frédéric Riche se fournit auprès de maisons grainières françaises. « Elles m’assurent une sécurité sanitaire irréprochable. Le porte-greffe comporte toutes les caractéristiques de base de la tomate et on y ajoute un greffon de manière à faire varier la forme, la taille et le goût », raconte-t-il. Si la majorité des tomates françaises sont cultivées hors sol, Frédéric Riche, a, lui, fait le choix d’une culture en pleine terre et n’utilise donc aucun substrat en laine de roche ou en fibre de coco. Pour ses engrais, il s’approvisionne auprès d’une coopérative proche de chez lui. Pour ce qui est des bourdons pollinisateurs, il se fournit auprès d’entreprises européennes. S’il se satisfait de l’appétit des consommateurs français pour la tomate, il regrette que beaucoup souhaitent aujourd’hui en manger tout au long de l’année et fassent le choix d’une tomate importée en hiver. « Produire de la tomate tout au long de l’année, cela demande beaucoup d’investissements. Nous nous heurtons aussi à des règles franco-françaises aberrantes comme le fait pour les producteurs de tomates bio de devoir attendre le 1er mai pour pouvoir vendre leurs produits alors que, dans le même temps, des tomates sont importées depuis l’étranger. Le marché est déjà suffisamment concurrentiel sans avoir à se tirer une balle dans le pied », ajoute-t-il. 
Pierre Garcia