GASTRONOMIE
Michelin, de la gomme à la gourmandise

Dans la constellation de la gastronomie, le guide Michelin est une planète à lui seul, avec ses étoiles qu’il fait briller ou qu’il met en sommeil. Retour sur une aventure plus que centenaire.

Michelin, de la gomme à la gourmandise
Le premier guide Michelin est né il y a 121 ans. (Crédit : Michelin)

Chaque année, son palmarès est scruté dans le détail, attendu fébrilement par tout ce que la France compte de chefs cuisiniers. Les étoiles du guide Michelin sont à la gastronomie ce que les Palmes d’Or du festival de Cannes sont au cinéma. Mais n’entre pas qui veut dans la légende, les enquêteurs du guide veillent au grain avec exigence, constance, perspicacité… et discrétion. C’est en effet en réservant sous le patronyme de Monsieur et Madame tout le monde, qu’ils écument les restaurants de France et de Navarre sans ne jamais dévoiler leur véritable identité et mission. Leur rapport sert l’appétit d’un guide, « souvent imité mais jamais égalé », selon les esthètes de la cuisine.

A l’origine pourtant, le guide Michelin n’avait pas vocation à devenir la référence internationale des guides gastronomiques. En 1900, André et Edouard Michelin, les deux frères fondateurs de la manufacture de pneumatiques clermontoise, l’imaginent comme un outil pratique « pour donner tous les renseignements qui peuvent être utiles à un chauffeur voyageant en France, pour approvisionner son automobile, pour la réparer, pour lui permettre de se loger et de se nourrir, de correspondre par la poste, télégraphe ou téléphone ». Le guide, déjà rouge à l’époque, contient pas moins de 400 pages entrecoupées de nombreuses « réclames ».

Une boussole  

Il est offert gracieusement aux chauffeurs et tiré à 35 000 exemplaires. « Un coup de génie marketing qui est parti de cette question : comment, en tant qu’industriel du pneu, je peux inspirer un automobiliste à rouler plus et donc à user davantage de pneus ? Et, en question sous-jacente : qu’est ce qui ferait bouger les automobilistes ? En proposant entre autres des expériences culinaires à travers la France, les frères Michelin ont trouvé comment pousser sur les routes des milliers de gourmets », raconte Audrey Fougeras, responsable des ventes chez Michelin Food & Travel.

Lancé lors de l’exposition universelle de 1900, le guide Michelin devient rapidement l’accessoire indispensable. À une époque où le voyage relève de l’épopée avec des routes souvent mal indiquées voire dangereuses, des temps de trajets longs, les frères Michelin veulent faciliter la vie des voyageurs. Le guide compile une liste de garagistes ou de médecins, des cartes routières et des plans de ville, des informations touristiques et des conseils pratiques (comment changer un pneu ou faire son plein d’essence, comment entretenir son véhicule…).

En 1920, la bible rouge devient payante. Exit la publicité, qui fait place à une liste de restaurants et hôtels, qui d’emblée sont classés. En 1926, la première étoile « de bonne table » voit le jour, complétée en 1931 par la deuxième et la troisième étoile.

 

Une histoire passionnelle
Les inspecteurs du Guide sont soumis au principe d’impartialité. (Crédit : Michelin)

Une histoire passionnelle

Dès lors, le guide Michelin est doté de son classement historique. Eugénie Brazier du restaurant La Mère Brazier, obtient les premières trois étoiles, en 1933 ainsi que les frères André et Jacques Pic de La Maison Pic. Entre le Michelin et les restaurants, se sont tissées au fil du temps des histoires d’amour, avec son lot de passions, de rebondissements, de déceptions… A ce jour, en Europe mais aussi en Asie et aux Etats-Unis, le guide se feuillette dans trente-deux pays. Il s’est évidemment diversifié dans ces modes d’accès : Site internet, application mobile, systèmes de navigation embarqués… tout en conservant bien sûr le format papier.

Dépassant la prédiction d’André Michelin qui écrivait dans la préface du guide de 1900 « Cet ouvrage paraîtra avec le siècle, il durera autant que lui », le Guide Michelin reste, plus de cent ans après sa naissance, un ouvrage incontournable pour les voyageurs et les gastronomes du monde entier.

Sophie Chatenet

Le saviez-vous ?

Un Allié précieux pour les américains

En 1944, Michelin a fait imprimer le guide à Washington afin qu’il puisse être distribué à chaque officier. Les Alliés avaient alors dans leurs mains un guide des routes récent et fiable. Bien utile en ces temps où les Allemands avaient détruit toute la signalisation routière.   

DISTINCTION / Rodolphe Regnauld, « une première étoile, une victoire collective »
Rodolphe Regnauld est membre des Toques d’Auvergne. (Crédit : Auberge du Pont)

DISTINCTION / Rodolphe Regnauld, « une première étoile, une victoire collective »

A la tête de l’Auberge du Pont, à Pont-du-Château dans le Puy-de-Dôme, Rodolphe Regnauld n’a pas que des étoiles dans les yeux depuis le 18 janvier dernier. Son établissement vient de décrocher sa première étoile au guide Michelin, après avoir raflé il y a dix ans, son premier Bib’Gourmand. Une consécration, pour ce breton d’origine, qui a repris le restaurant en 2005. Autrefois relais de batellerie, l’Auberge du Pont s’est métamorphosée au fil des années au gré de lourds investissements. Rodolphe et son épouse Christelle en ont fait l’une des adresses les plus prisées de la région.

Artisan d’une cuisine raffinée, sublimant les produits du terroir par des accords terre et mer savamment orchestrés, Rodolphe Regnault ne cache pas sa satisfaction : « Cette étoile nous l’attendions depuis des années. Mais, entre le confinement et les plats à emporter que nous avons mis en place, nous avions un peu la tête ailleurs. C’est une formidable nouvelle et c’est toute une équipe qui est récompensée ».

Si le chef est heureux, il n’a qu’une hâte pouvoir partager cette étoile avec ses clients lorsque les conditions sanitaires lui permettront de rouvrir son restaurant. En attendant, c’est auréolé d’un macaron sur sa façade, qu’il continuera à proposer des plats à emporter, « à 20 euros. On ne va pas changer ni les tarifs ni la formule. On reste humble par rapport à tout ça. On n’est que des cuisiniers ».

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Rodolphe Regnauld est un adepte des produits régionaux : volailles fermières d’Auvergne, fourme d’Ambert, saint-nectaire… (Crédit : Auberge du Pont)