Calamité agricole
Un gel fatal pour l'agriculture drômoise

L'épisode de gel dans la nuit du 7 au 8 avril n'aura épargné aucun territoire de la Drôme. Les températures sont descendues très bas et très longtemps. Les arboriculteurs ont déployé tous les moyens de lutte possible. Mais ce gel, extrêmement sévère et couplé à une avance de végétation d’au moins quinze jours, n’a laissé sur certains secteurs aucune chance de sauver la production. Les vignes ont également souffert mais il faudra attendre cette fin de semaine pour détecter les bourgeons noircis et mesurer l'impact réel de cet épisode.

Un gel fatal pour l'agriculture drômoise
Malgré tous les efforts déployés par les producteurs, bougies, chaufferettes et tours à vent n'ont pas permis de lutter contre des températures qui sont descendues à plus de -5°C sur certains secteurs.

Dans les Baronnies, les températures sont descendues jusqu’à - 7°C dans les bas-fonds et -4°C en coteaux. « Les premiers retours que j’ai eu ce jeudi matin laisse estimer qu’au moins 75 à 80 % de la récolte sont perdus et ceci pour la cinquième année consécutive », annonce Franck Bec, arboriculteur à Saint-Auban-sur-L’Ouvèze et président du syndicat de l’abricot des Baronnies. Les producteurs avaient pourtant fait le nécessaire pour se prémunir du gel mais celui-ci a frappé plus fort et plus longtemps que ce que connaît habituellement le territoire. « Nous avons tous dépensé un argent fou en tours à vent, chaufferettes, bougies pour nous protéger mais ça n’a pas fonctionné. Cette année, c’est l’année de trop. Certaines exploitations sont en grande difficulté et il faudra certainement les accompagner vers une reconversion », déplore Franck Bec.

Nouveau coup dur

Même constat du côté de Loriol, où les températures ont atteint les -5,5°C entre minuit et 8 h du matin. « Je n’avais jamais vu ça et mes parents se souviennent d’un seul épisode de cette ampleur en 1976, témoigne Marc Fauriel, producteur. Là où ont été utilisées des bougies ou des éoliennes, on a à peine réussi à gagner 2°C. Ce n’était pas suffisant : - 3°C ça n’a pas pardonné pour les fruits. » Il estime que sur son exploitation il ne restera rien en fruits à noyaux et peut-être aussi en poires. « En pommes, il faudra attendre de voir les conséquences pour les variétés les plus tardives mais c’est déjà fichu pour les variétés qui étaient avancées en floraison », indique-t-il. Alors que les arboriculteurs déposent tout juste leur demande d’indemnisation pour le gel de 2020, ce nouveau coup dur vient mettre à mal des trésoreries déjà exsangues.

Une rare intensité

Dans la plaine de Valence, le gel a également sévi avec une rare intensité. « Nous avons eu un phénomène de gel noir avec des températures de - 4°C de 23 heures jusqu'au levée du jour, constate Jean-François Chazalet (SCEA Domaine de l'île), arboriculteur à La Roche-de-Glun et Pont-de-l'Isère. Pour les vergers sans protection, les pertes sont totales. Ceux équipés de tours à vent n'ont pas été épargnés car dans ce type de gel où il n'y a pas d'inversion thermique ce système ne fonctionne pas. Dans les vergers protégés par bougies ou chaufferettes, avec des températures à - 7 ou - 6°C, il fallait une densité d'au moins 500 bougies à l'hectare. A - 4°C, au moins 350 bougies. Quant à l'irrigation sous frondaison, avec ce type de gel, ça ne fonctionne pas. Seuls les vergers protégés par une combinaison de moyens auront peut-être moins souffert. »

« Catastrophique »

A Bourg-lès-Valence où il est arboriculteur, Régis Aubenas juge la situation « catastrophique » sur fruits à noyaux et probablement aussi en fruits à pépins. « En abricot, avec - 1°C, tout est nettoyé, constate-t-il. Même le végétal a souffert avec des feuilles repliées en gouttière. » L'estimation précise des dégâts ne pourra se faire que début de semaine prochaine car « même-là où on pense avoir pu sauver la production, on peut craindre des réactions physiologiques des arbres dans les prochains jours, ajoute-t-il. Après une petite récolte en 2018, une grêle de grande ampleur en 2019, un gel en 2020 et encore un autre très violent en 2021, je suis inquiet de la situation économique et psychologique des producteurs. Et puis, comment gérer la main-d'œuvre maintenant ? Et que faire avec les vergers sauvés si à nouveau dans quelques jours il vient à refaire froid : acheter encore des bougies ? »

"Les bougies n'ont pas fonctionné"

A Epinouze, « on était en négatif à partir de 22 h et jusqu'à 9 h le lendemain, raconte Emmanuel Martin (EARL Martin Seiglières). Sur les sondes, j'ai relevé - 5,4°C. Avec 500 bougies à l'hectare, c'est remonté au mieux à - 0,3°C. Les dégâts sont importants sur fruits à noyaux. Et sur fruits à pépins, tout ce qui n'était pas protégé est anéanti. Les bougies n'ont pas fonctionné, c'est incompréhensible », ajoute-t-il. Un phénomène que constate aussi Bruno Darnaud, arboriculteur à la Roche-de-Glun. « On a eu - 2°C et on a allumé au bon moment à 1 heure du matin. Avec 400 bougies à l'ha, les dégâts sur abricots sont très importants. » En petits fruits, « l'ajout d'un voile d'hivernage et la fermeture des serres semblent avoir protégé les plants », estime Emmanuel Martin. Il faut toutefois attendre quelques jours pour s'en assurer.

Sophie Sabot - Christophe Ledoux

La chambre d'agriculture de la Drôme interpelle le ministre de l'Agriculture

Dans un communiqué de presse, adressé ce jeudi 8 avril, la chambre d'agriculture souligne que, malgré tous les efforts déployés cette nuit, les arboriculteurs et viticulteurs de la vallée du Rhône et du Diois ont subi les effets d’un gel noir de très grande ampleur. « Avec des températures voisines des records de froid jamais enregistrés par Météo France, la production de fruits (pêches, nectarines, abricots, cerises) se trouve gravement compromise » confirme-t-elle, avant d'indiquer que la production viticole a elle aussi été touchée « dans une mesure que les prochains jours permettront de définir ».
Dans ce contexte, le président Jean-Pierre Royannez, en lien avec son homologue de la chambre d’agriculture de l’Ardèche, ont interpellé dès ce jeudi matin le ministre de l’Agriculture pour que des mesures exceptionnelles soient prises pour soutenir les centaines d’entreprises concernées, soit en Drôme 2000 exploitations arboricoles et viticoles, 1500 salariés permanents, 3000 saisonniers.
« Comme elle le fait dans pareil cas, la chambre d’agriculture mettra tout en oeuvre pour accompagner les producteurs durement touchés par cet épisode climatique exceptionnel. Une situation qui renforce l’ambition de travailler à l’échelle du département à l’élaboration d’un plan « Climat » pour que, face à une contrainte climatique avérée, nous relevions ensemble les défis du maintien d’une agriculture drômoise diversifiée et porteuse de valeurs pour nos territoires », conclut-elle dans ce communiqué.

 

Les services de l'Etat se mobilisent

La préfecture de la Drôme a assuré dans un communiqué de presse de son soutien aux arboriculteurs et aux viticulteurs qui ont lutté toute la nuit pour éviter les dégâts sur les arbres et les vignes. « Il est toutefois probable qu’avec des températures aussi basses, les pertes seront très importantes », reconnait la préfecture. Elle confirme que le gel a été très marqué sur tout le département, avec des températures de -3° à -9° C par endroits.
« Les services de l’État interviendront pour accompagner au mieux les exploitants agricoles touchés par cette catastrophe. Une mission d’enquête sera diligentée très rapidement par la direction départementale des territoires afin d’estimer les dégâts et les pertes, au plus près du terrain. Un dossier « calamités agricoles » sera ouvert et permettra de solliciter le dispositif national pour les pertes de récolte en arboriculture, et pour les pertes de fond en viticulture », affirme la préfecture. Ce vendredi 9 avril, la secrétaire générale de la préfecture, sous-préfète de Valence, et la direction départementale des territoires, devraient se rendre sur une exploitation arboricole pour une première estimation des dégâts.

La FNSEA demande une « réaction rapide des pouvoirs publics »

Dans un communiqué du 8 avril, la FNSEA qui apporte « son soutien total à tous les producteurs qui se trouvent confrontés à des incertitudes majeures pour la suite de leur activité (…) appelle aussi à une réaction rapide des pouvoirs publics pour apporter des solutions concrètes afin de permettre aux agriculteurs de retrouver de la visibilité ». Ce dramatique épisode climatique est aussi l’occasion pour elle de rappeler « l'importance de permettre aux agriculteurs de bénéficier de dispositifs de prévention et d'un régime de gestion des risques à la hauteur du défi climatique ». La FNSEA entend ainsi faire jouer tous les instruments du règlement européen « Omnibus » mais aussi rénover le « régime des calamités agricoles » ou mettre « en place une nouvelle gouvernance de l'assurance récolte ». Le député Frédéric Descrozaille (LREM, Val-de-Marne) devrait remettre, d’ici l’été, un rapport sur l’assurance multirisques climatiques (assurance récolte) au ministre de l’Agriculture qui l’avait missionné sur ce sujet.