Feux de forêts
Au cœur des mégas feux canadiens

Fin juin dernier, soixante-quinze sapeurs-pompiers français ont été mobilisés pour renforcer les moyens canadiens de lutte contre les « mégas feux » de forêts. Parmi eux, le lieutenant Fabrice Malon, de la compagnie de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Récit de trois semaines passées sur ces feux particuliers, en Amérique du Nord.

Au cœur des mégas feux canadiens
Au Canada, on n’attaque les feux qu’avec des moyens aériens : canadairs, hydravions ou hélicoptères bombardiers d’eau. ©EA71


«Deux jours après notre arrivée, nous avons rejoint la zone des feux, à environ 500 kilomètres au nord-ouest de Québec. Nous avons suivi deux jours de formation sur les spécificités du milieu, son immensité, la faune, ainsi que sur le matériel », raconte Fabrice Malon, le seul sapeur-pompier de Saône-et-Loire à être parti pour lutter contre les feux au Canada. « Il faut aussi faire attention aux ours. Mais nous n’étions pas préparés aux mouches noires présentes en plus des moustiques. C’est un insecte inconnu ici. Elles ne piquent pas, elles mordent, arrachant des morceaux de peau, ce qui génère des infections. »

Une stratégie d’attaque différente

Les techniques d’intervention sont les mêmes qu’en France : « en revanche, la stratégie d’attaque du feu est différente, stipule Fabrice Malon. Au Canada, il y a peu d’engins pour les incendies, car c’est compliqué de les amener au milieu de la forêt. Ils n’attaquent pas les feux, sauf avec des moyens aériens, canadairs, hydravions, ou avec les 85 hélicoptères bombardiers d’eau disponibles pour Québec ». Le détachement de Fabrice Malon disposait d’une dizaine d’hélicoptères, « pour acheminer du matériel ou les personnels dans la forêt, pour gagner du temps sur les déplacements. Sinon,il fallait compter deux ou trois heures de transit. Nous avons travaillé par équipes de quatre, mais sans engin d’incendie. Il nous fallait établir 1 000 mètres de tuyaux, en autonomie, en allant chercher l’eau dans les lacs ». Les journées de travail étaient longues, « avec un début vers 7 h 30 et une fin, en général, à 17 h. Les équipes de quatre fonctionnaient en autonomie complète, avec des sacs à dos, cinq litres d’eau par personne, les sandwichs et une trousse de secours par groupe », décrit Fabrice Malon.
Le but de l’opération, « c’était de sécuriser les lisières pour éviter que les feux ne reprennent, explique le lieutenant saône-et-loirien. Ces lisières sont de grandes dimensions, longues de 60 à 80 kilomètres parfois. Sans notre action, il y avait un risque pour que des milliers d’hectares flambent, alors qu’il y a des camps autochtones et des campements de forestiers à protéger ».

Les savoir-faire français reconnus

« Les Québécois ont été surpris par notre efficacité. Nous avons gagné leur confiance rapidement, parce que nous avons travaillé de manière chirurgicale », argumente Fabrice Malon. « Nous avons envoyé des drones, la nuit, au moment où la température faiblit et leurs caméras thermiques relevaient tous les points chauds en les géolocalisant. Le matin, nous partions les traiter. » Pour les points chauds relativement grands, il fallait beaucoup d’eau. « Alors, on s’établissait solidement dans la forêt, avec les motopompes et on arrosait pendant deux ou trois heures, en grattant la terre et les souches pour faire pénétrer l’eau. Sur des boucanes (fumées) assez grandes, mais isolées, qui posent des soucis logistiques, on dégarnissait, on élaguait pour que les hélicos puissent larguer des poches d’eau de 500 litres sur les zones balisées », relate Fabrice Malon.

Une météo très particulière !

« Les conditions météo étaient très humides et ça a beaucoup brûlé dans des zones marécageuses. Les feux couraient sur les mousses, dans les parties qui étaient sèches. Le feu ralentissait dans les parties les plus humides. Cependant, ça continuait dans les cimes, à 30 ou 40 mètres de haut, en raison de la présence de beaucoup d’épinettes noires, un type de sapin qui, dès qu’il est très sec, s’embrase tout seul », développe le sapeur-pompier. « Les premiers jours, les températures étaient supérieures à 30 °C. Mais nous avons affronté d’importantes variations de températures, avec des orages, parfois violents. Ces orages n’avaient aucun impact sur les lisières, car il y avait des croûtes ; sans gratter, sans aller au contact, l’eau ne pénétrait plus. »

EA 71

Un contexte canadien bien particulier 
« Le but de l’opération, c’était de sécuriser les lisières », explique Fabrice Malon (à gauche). ©EA71

Un contexte canadien bien particulier 

Le Canada est confronté à des « mégas feux » depuis cinquante ans. « Les canadiens ont fait appel à la solidarité internationale pour éteindre ces feux. Plusieurs détachements français ont été envoyés là-bas. Un premier groupe est parti début juin, avec 109 sapeurs-pompiers français : des civils, professionnels et aussi des militaires, des sapeurs-pompiers de la Sécurité civile. Ils sont rentrés fin juin, après trois semaines de travail », a indiqué le commandant Thierry Vuillemin, chargé de l’engagement opérationnel au Sdis. « Un second détachement est parti fin juin, comprenant Fabrice Malon. Ils étaient 120 dont 60 militaires et 60 civils, partis de l’aéroport de Marseille, pour être envoyés sur deux feux différents, pendant trois semaines. À ce moment-là, il y avait 900 feux recensés au Canada ! Des incendies d’ampleurs gigantesques, qu’on ne connaît pas en France. Du matériel avait aussi été affrété, environ 5 tonnes : des drones, des motopompes, du matériel de forestage (tronçonneuse, serpes, etc.) ». En arrivant au Québec, les sapeurs-pompiers français ont été mis à disposition d’une société privée canadienne, la Sopfeu, chargée de la gestion des feux de forêt. « Une organisation bien différente par rapport à la France », a souligné Fabrice Malon.