Charcuterie
Le jambon cuit, avant tout français, forcément européen

Rien de tel pour lancer une série sur l’origine de produits alimentaires phares que de s’intéresser d’abord au jambon cuit. De la génétique à l’emballage, des bâtiments d’élevage aux travailleurs, toutes les composantes de ce produit très apprécié des Français ont été passées en revue.

Le jambon cuit, avant tout français, forcément européen
Un jambon cuit Colette de la Maison Sibilia de Lyon. ©Nicolas Villion

Les Français aiment (trop) le jambon ! Plus exactement le jambon cuit : avec 185 000 t vendues en 2019, ce produit phare concentre 23 % des ventes de charcuterie. Face à cette surconsommation de jambon, des importations – à hauteur de 20 % – sont structurellement nécessaires pour couvrir les besoins. Mais, en ce qui concerne les moyens de production mis en œuvre de l’amont à l’aval, « la filière porcine est largement autonome », estime Boris Duflot, directeur du pôle économique de l’Ifip (Institut du porc). À la fois importatrice et exportatrice, « la France est autosuffisante en porc à 103 % », remarque Didier Delzescaux, directeur d’Inaporc (interprofession). D’après lui, la capacité hexagonale d’abattage de porcs est « en adéquation avec la production » mais l’appétit des Français pour le jambon – au détriment des autres pièces – impose à la filière un « déséquilibre matière structurel ». D’après l’Ifip, sur les 691 000 t de jambon brut (cuisses de porc) utilisées en charcuterie, 220 000 sont importées.

 « Il manque 20 % de jambons »

« Il manque 20 % de jambons pour répondre à la demande », résume Fabien Castanier, délégué général de la Fict (charcutiers industriels). La France produit 25 millions de porcs par an, il en faudrait 30 millions pour approvisionner l’ensemble de la consommation en jambons. » À l’inverse, la France est excédentaire en longe, épaules et poitrine. Provenant notamment d’Espagne et d’Allemagne, les importations de jambon sont « à peu près stables ces dernières années », constate Fabien Castanier. Ces échanges se font « de plus en plus sous forme de muscles désossés, prêts à être transformés », affirme l’Ifip. Ces pièces brutes servent principalement à confectionner du jambon cuit, mais aussi d’autres charcuteries ou produits transformés.

Une génétique porcine à 80 % française

« Environ 80 % de la génétique utilisée dans les élevages français provient d’entreprises françaises ou à capitaux hexagonaux, parfois adossées à des coopératives », constate Boris Duflot. Un chiffre valable notamment pour les cheptels de truies ou de reproducteurs mâles présents dans les centres d’insémination. La génétique porcine se caractérise néanmoins par « beaucoup d’internationalisation ». Même sous pavillon français, les groupes de ce secteur « exportent et ont besoin des marchés extérieurs », rappelle l’Ifip. D’après l’institut, 1 % des élevages français sont des sélectionneurs et 10 % des multiplicateurs.

Plus de 90 % d’aliments français

En matière d’alimentation animale, « on est en dessous de 10 % de matière importée pour la filière porcine », estime Stéphane Radet, directeur du Snia (fabricants d’aliments du bétail). Un niveau qui en fait une filière moins dépendante que d’autres aux importations (20 % toutes espèces confondues). Les cochons ont des exigences nutritionnelles moins importantes que les volailles et les vaches laitières par exemple qui nécessitent « un apport protéique plus concentré ». Pour formuler un aliment porcs, les fabricants ont donc « plus de choix » dans leur approvisionnement. Reste que les tourteaux de soja en provenance du continent américain représentent la grande majorité des importations d’alimentation animale. Ces dernières années, le développement du biodiesel made in France issu du colza a permis de remplacer une partie du soja américain ou brésilien. « Le colza est une protéine bien adaptée au porc », ajoute Stéphane Radet. D’après Agreste, le soja ne représentait plus que 43 % des utilisations de tourteaux en 2017-2018 contre 70 % en 2001-2002. « Certains acides aminés essentiels aux porcs et aux volailles ne sont plus produits en Europe », note Bernard Vallat, président de la Fict lors d’une conférence de presse organisée fin juin. « Il nous semble que la fabrication de ces acides aminés devrait être relocalisée. »

Bâtiments et matériel : un secteur internationalisé

Béton, caillebotis, charpente, toiture… Pour construire un bâtiment d’élevage de porcs, les agriculteurs font en général appel à des fabricants locaux parfois spécialisés comme il en existe dans le grand Ouest. Mais une fois passée la porte des bâtiments, difficile d’être aussi catégorique pour le matériel d’élevage : « Il y a des fabricants français, présents en France et à l’étranger, des groupes français avec des capitaux étrangers, des multinationales parfois avec des capitaux croisés », constate Boris Duflot. 
À l’image de l’automobile, cette filière regroupe des pièces et des savoir-faire d’origines diverses : « L’électronique vient souvent de Chine, la mécanique est généralement allemande et l’ingénierie peut être faite dans un troisième pays », résume l’économiste. Comme à tous les étages de la filière porcine, l’export revêt une place prépondérante. D’après le responsable de l’Ifip, « la France exporte son savoir-faire en Chine et en Russie » en appliquant un modèle de solutions clés en mains : « On vend ensemble la génétique, les bâtiments, le matériel, parce qu’on sait comment ça marche ensemble. »

35 000 CDI en charcuteries

Comme en Allemagne, les abattoirs français font appel à des salariés étrangers, notamment pour les opérations de découpe. Souvent originaires d’Europe de l’Est, ils ne résident pas de manière permanente en France. « En général, ce sont des contractuels, ils viennent le temps d’une mission puis retournent dans leur pays. Mais ils peuvent rester très longtemps », explique Boris Duflot. D’après l’économiste de l’Ifip, les abatteurs montent des « équipes mixtes avec des Français, des Africains et des Européens de l’Est ». La part de ces travailleurs étrangers, parfois détachés, n’est pas documentée mais « il n’y en a pas autant qu’en Allemagne », assure-t-il. Un phénomène qui ne concerne pas le maillon transformation : « Les charcutiers emploient 
35 000 personnes en CDI », affirme Fabien Castanier. « On peut faire appel à des intérimaires pour des questions de saisonnalité, mais le travail détaché est très peu présent, voire inexistant dans les entreprises de charcuterie. » Côté matériel, les abattoirs utilisent « des machines majoritairement importées », d’après l’Ifip. Chaînes d’abattage, convoyeurs et équipements de découpe sont principalement fournis par des entreprises « danoises, néerlandaises ou allemandes », précise Boris Duflot.

Des emballages made in France

Tout en avouant avoir peu de visibilité sur l’amont de la filière emballage, Fabien Castanier affirme que « les fournisseurs d’emballages finaux des entreprises de charcuterie se trouvent en très grande majorité en France. » Mais, pour lui, l’origine géographique seule ne suffit pas à assurer une souveraineté. « On a tous un peu réalisé pendant la crise sanitaire que beaucoup d’activités étaient interdépendantes. Le gouvernement a priorisé le transport de produits alimentaires mais les entreprises agroalimentaires ne peuvent fonctionner que s’il y a des transports non alimentaires, des emballages, des produits de nettoyage-désinfection, le contrôle technique des camions et des balances ou encore de la maintenance. On ne peut pas isoler une activité. »

Bruno Bluntzer (Maison Sibilia) : une relation de confiance avec les éleveurs locaux
Bruno Bluntzer, à la tête de la Maison Sibilia (Lyon) depuis 2011. © Maison Sibilia

Bruno Bluntzer (Maison Sibilia) : une relation de confiance avec les éleveurs locaux

Installée depuis 1971 dans les Halles Paul Bocuse de Lyon, la Maison Sibilia est aujourd’hui considérée comme l’une des meilleures charcuteries de Lyon. À sa tête depuis 2011, Bruno Bluntzer perpétue cette tradition de la qualité et du goût qui ont fait la renommée de cette maison. « Je suis cuisinier depuis 1983, j’ai fait toutes mes classes dans la restauration gastronomique avant de lancer ma charcuterie dans le Sud de la France. Lorsque je suis arrivé à la tête de la Maison Sibilia, je me suis mis immédiatement à travailler sur le sourcing des produits », raconte-t-il. Dans ses quatre établissements, Bruno Bluntzer s’attache à vendre des produits sans sels nitrités ni additifs. Surtout, il veille à faire travailler des producteurs de porcs français. « C’est un choix un peu plus coûteux mais il colle à notre démarche artisanale, celle de valoriser le travail de producteurs qui travaillent bien et élèvent leurs porcs le plus naturellement possible et surtout à l’air libre », explique-t-il. Son jambon Colette, un jambon cuit dont le nom rend hommage à Colette Sibilia, co-fondatrice de l’institution, peut même se revendiquer 100 % Auvergne-Rhône-Alpes. « Nous ne possédons pas la carte d’identité de chaque porc mais nous avons noué une relation de confiance avec les éleveurs locaux. Nous savons que les porcs sont nés ici, qu’ils ont été élevés au grain ou au maïs. Pourquoi aller chercher ailleurs ce que l’on peut obtenir ici ? » 
Pierre Garcia 

Bâtiments et matériel : un secteur internationalisé

Béton, caillebotis, charpente, toiture… Pour construire un bâtiment d’élevage de porcs, les agriculteurs font en général appel à des fabricants locaux parfois spécialisés comme il en existe dans le grand Ouest. Mais une fois passée la porte des bâtiments, difficile d’être aussi catégorique pour le matériel d’élevage : « Il y a des fabricants français, présents en France et à l’étranger, des groupes français avec des capitaux étrangers, des multinationales parfois avec des capitaux croisés », constate Boris Duflot. 
À l’image de l’automobile, cette filière regroupe des pièces et des savoir-faire d’origines diverses : « L’électronique vient souvent de Chine, la mécanique est généralement allemande et l’ingénierie peut être faite dans un troisième pays », résume l’économiste. Comme à tous les étages de la filière porcine, l’export revêt une place prépondérante. D’après le responsable de l’Ifip, « la France exporte son savoir-faire en Chine et en Russie » en appliquant un modèle de solutions clés en mains : « On vend ensemble la génétique, les bâtiments, le matériel, parce qu’on sait comment ça marche ensemble. »