Maraîchage sol vivant
La Ferme des Buis : favoriser la structuration biologique du sol

Installé sur une petite surface de maraîchage, Corentin Moriceau, chef d’exploitation à La Ferme des Buis à La Roche-sur-Grâne, s’est lancé dans la technique du maraîchage sol vivant. Rencontre.

La Ferme des Buis : favoriser la structuration biologique du sol
Selon Corentin Moriceau, le maraîchage sol vivant lui permet une meilleure gestion de son travail et une amélioration de la vie et de la santé de ses sols. © AP

Issu d’une famille d’agriculteurs, Corentin Moriceau s’est installé à La Ferme des Buis (La Roche-sur-Grâne) en 2017. Maraîcher depuis neuf ans, sa surface de production représente 2 500 m² (dont 1 500 m² sous tunnels) en agriculture biologique. « Précédemment, j’ai travaillé à La ferme de la Berthe, en Chartreuse (73) où j’ai expérimenté le maraîchage sol vivant pour la simple et bonne raison que les terres, avec une pente de 15 à 25 %, n’étaient pas praticables en tracteur. Nous avions donc réalisé des mini terrasses en bois avec du compost pour rectifier le niveau. À partir de là, nous avons arrêté de travailler le sol. Au bout de trois ans, nous avons constaté une augmentation importante de la fertilité des sols, avec de bien meilleurs rendements au mètre carré cultivé », explique Corentin Moriceau.
Quand il a eu l’opportunité de s’installer dans la Drôme, l’exploitant agricole s’est appuyé sur l’expertise de Gilles Domenech, pédobiologiste spécialisé dans les pratiques agricoles favorables à la vie des sols. « C’est l’un des fondateurs du réseau national maraîchage sol vivant (MSV) », indique le jeune maraîcher. Installé sur une ancienne parcelle de luzerne cultivée depuis vingt ans en grandes cultures, Corentin Moriceau a découvert un sol fortement argilo-calcaire, avec 35 à 40 % d’argile et autour de 13 % de calcaire actif, et une profondeur de sol organique comprise entre 40 et 80 centimètres. « C’est un sol assez délicat à gérer pour le travail du sol mais très favorable à la vie du sol. C’est donc assez naturellement que j’ai choisi de continuer mon expérience en maraîchage sol vivant ici », explique-t-il.

« Nous avons atteint 16 % de matière organique »

Pour sa première année de production, en 2018, Corentin Moriceau a réalisé 126 planches de culture permanentes (80 cm de large par 25 m de long), dans lesquelles il a apporté 150 tonnes de compost de déchets verts (branches, herbes de tonte...). « Sur notre ferme, le taux de matière organique des sols se situe autour de 2 %. Mais sur ces sols très argileux, nous avons besoin à minima de 5 % pour profiter de leur potentiel de fertilité ». En effet, l’apport de matière organique permet non seulement de couvrir le sol et d’apporter une protection contre le soleil et le vent, mais aussi de créer un habitat intéressant pour la vie du sol. « Le maraîchage sol vivant se base sur la structuration biologique du sol, au lieu de la structuration mécanique. Nous avons donc besoin d’une forte vie du sol pour bien le structurer grâce aux galeries et aux mucus des micro-organismes, vers de terre et insectes du sol. De ce fait, le sol est ferme mais suffisamment poreux, drainant et structuré pour que les légumes puissent pousser et atteindre de jolis calibres, mêmes les légumes délicats comme les carottes par exemple. » Le chef d’exploitation ajoute chaque année autour de 30 t de compost en surface, et ce uniquement dans les planches qui en ont besoin. « Aujourd’hui, nous avons atteint 16 % de matière organique dans les 25 premiers centimètres du sol ». De plus, la population de vers de terre est passée de 1,2 à 18 t/ha sous les planches de culture, grâce à la couverture et au non-travail du sol, et à la matière fraîche apportée par la tonte des passe-pieds enherbés.
Après quatre ans de production, le chef d’exploitation est satisfait des résultats technico-économiques. « Du fait que nous soyons sur une petite surface, nous avons une exigence de rendement au mètre carré importante. Aujourd’hui, nous produisons 20 à 25 t de légumes par an. Nous atteignons un chiffre d’affaires de légumes de 90 000 € HT sur une surface de 2 500 m². Soit environ 36 € par m² cultivé », indique-t-il. Le reste de la surface (soit 2 500 m²) n’est pas utilisé pour l’instant.

Enherbement, irrigation et traitements maîtrisés

Pour gérer l’enherbement, réduire les besoins en eau et stimuler la vie du sol, Corentin Moriceau a aussi fait le choix de « pailler » les cultures avec des toiles tissées. « Cela évite le désherbage, limite l’évaporation et accélère le réchauffement du sol », déclare-t-il. Dans ce système de production, l’irrigation, gérée grâce à une retenue d’eau présente sur l’exploitation, est totalement automatisée (goutte à goutte et micro-asperseurs fixes). Les traitements (savon noir, souffre, cuivre) sont limités. « Avec une vie du sol importante, on se préserve davantage de certaines maladies et ravageurs, qui profitent des déséquilibres du sol pour proliférer. » Pour lui, le maraîchage sol vivant est donc une technique intéressante pour valoriser les petites surfaces. 

Amandine Priolet

Le non-travail du sol n’a pas d’impact sur le calibre des légumes ni sur le rendement si la gestion en matière organique et en fertilisant est bonne, indique Corentin Moriceau. (crédit photo : La ferme des Buis).
Emmanuel Giacomazzi pratique  le maraîchage sur sol vivant
Emmanuel Giacomazzi, agriculteur à Meysse (07), utilise la technique du maraîchage sur sol vivant (MSV) depuis 2018. © AP

Emmanuel Giacomazzi pratique  le maraîchage sur sol vivant

Depuis sa reprise de la ferme familiale à Meysse (07) en 2014, Emmanuel Giacomazzi a fait évoluer ses pratiques pour s’appuyer aujourd’hui sur la technique du maraîchage sur sol vivant. Explications.

Salarié sur la ferme familiale située à Meysse (07) depuis 2002, Emmanuel Giacomazzi en est aujourd’hui le gérant. S’il s’est beaucoup appuyé sur le savoir-faire de ses prédécesseurs (il est la troisième génération sur l’exploitation, ndlr), l’agriculteur a progressivement transformé ses méthodes de travail. « En 2009, j’ai passé la ferme en agriculture biologique et introduit le maraîchage. Dans le passé, mes parents et grands-parents étaient en polyculture élevage », raconte-t-il.
Depuis 2014, année officielle de son installation, Emmanuel Giacomazzi cultive 35 hectares de terres, réparties comme tel : 2 ha de vergers (pommes, abricots, kiwis, cerises), 6 000 m² de maraîchage sous serres et un ha de maraîchage plein champ (pour plus d’une vingtaine d’espèces de légumes, ndlr), le reste en grandes cultures (céréales à paille).
Cinq ans après ses débuts en bio, l’exploitant s’aperçoit « de problèmes de fatigue du sol, de légumes qui poussaient moins bien qu’au début... J’ai également remarqué une baisse de productivité, mais aussi des problèmes de pathogènes du sol que je n’arrivais plus à contrôler. J’ai donc mené une réflexion sur de nouvelles pratiques à mettre en place », explique-t-il.

Un gros travail de recherche

Après avoir participé à des journées techniques et des formations organisées par l’association drômoise d’agroforesterie (Adaf), Emmanuel Giacomazzi s’est intéressé de plus près à l’agroforesterie et au maraîchage sol vivant. « Cela m’a également demandé beaucoup de recherches sur Youtube. Le maraîchage sur sol vivant était pour moi une grande découverte, avec peu ou pas de travail du sol, une pression sanitaire moindre et des rendements intéressants. » Les premiers essais sur la ferme sont réalisés en 2018 sur de vieilles prairies de dix ans, avec des sols en majorité limono-argileux-sableux. « Après broyage des couverts végétaux, j’ai apporté une grande quantité de broyats de déchets verts, mon taux de matière organique étant au départ de 2,3 % (contre 5 % aujourd’hui grâce à l’apport annuel de 50 t/ha de fumier, de foin, de paille, de compost de déchets verts, engrais verts... ndlr). Mes seules interventions se sont ensuite limitées au bâchage, à la plantation, à l’arrosage et à la récolte, indique-t-il. Dès la première année, j’ai eu de bons résultats, avec très peu de pression des maladies, un rendement similaire voire meilleur qu’une année classique. En revanche, il a fallu s’adapter au fort mistral. »

Trouver des systèmes intermédiaires

Il ajoute : « En l’absence de travail du sol, ce dernier ne se réchauffe pas au printemps, ce qui engendre des problématiques de précocité à cette saison. C’est un souci majeur au niveau de la commercialisation. Il a donc également fallu se réadapter sur les différents créneaux de vente. » 
Pour contrer ce phénomène, Emmanuel Giacomazzi a mis en place des systèmes intermédiaires. « Je fais du strip-till, une technique de travail du sol localisé où seul le futur rang de semis est travaillé. Cela permet de minéraliser et d’oxygéner le sol, et donc de le réchauffer. Même si je travaille en MSV, je ne m’interdis pas de travailler le sol. L’objectif est avant tout de produire pour arriver à vendre mes légumes et gagner ma vie. D’ailleurs, dans la mesure où j’implante régulièrement des couverts, notamment la féverole qui est très structurante, le sol se remet très vite d’une éventuelle intervention », détaille-t-il.

Une organisation plus importante

Dans des exploitations de taille moyenne à grande, le maraîchage sur sol vivant sur grandes surfaces nécessite une organisation plus importante. « J’utilise beaucoup de bâches en toiles tissées ou de bâches plastiques, qui remplacent notamment le désherbage. Mais sur de grandes surfaces, cela demande beaucoup de manutention… », note Emmanuel Giacomazzi. L’exploitant se réjouit toutefois de l’absence - ou de la réduction - des maladies cryptogamiques. « Globalement, j’ai des plantes en bonne santé, avec une pression sanitaire faible qui nécessite très peu de traitement. La seule problématique majeure réside dans la gestion des campagnols. »
Parmi les points forts du MSV, le maraîcher a relevé une baisse de ses besoins en irrigation. « Sur des sols vivants où il y a de la matière organique, l’humidité est relativement présente. Cela permet d’arroser moins, ou de fractionner les arrosages », se satisfait-il, dans un contexte de changement climatique où l’accès à l’eau devient de plus en plus inquiétant.
Chez Emmanuel Giacomazzi, la technique du maraîchage sur sol vivant s’est aussi dupliquée aux vergers fruitiers. « Je ne travaille plus du tout les sols, même au pied des arbres. J’ajoute simplement une dose de broyats chaque année (environ 30 t/ha, ndlr). Aussi, pour limiter l’herbe et la concurrence, je fauche une à deux fois par saison », conclut-il.

Amandine Priolet