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TÉMOIGNAGE

Sentiment d’abandon chez les éleveurs allaitants du Nord-Drôme

Entre sécheresse, hausse des charges, perte de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) et arrivée du loup, le moral des éleveurs en Drôme des collines est mis à rude épreuve. Témoignage à l’EARL de la Combe à Montmiral chez Florent et Vivien Castry.

Sentiment d’abandon chez les éleveurs allaitants du Nord-Drôme
« Entre l’atelier poules pondeuses et les vaches allaitantes, nous attaquons tous les jours à 4 h du matin. Être éleveurs, c’est notre choix mais c’est une astreinte quotidienne », soulignent Florent et Vivien Castry. ©AD26-S.S.

« Veut-on encore des éleveurs en Drôme des collines ? ». Florent Castry se pose clairement cette question. Tout se cumule cette année : le déficit hydrique qui a déjà amputé les récoltes de fourrage (lire ci-dessous), la hausse des charges et, sur ce territoire, la fin définitive des ICHN suite à la révision des zones défavorisées simples (ZDS) en 2019. Trois ans après que le couperet soit tombé, l’éleveur allaitant est toujours dans l’incompréhension de cette décision. « La commune de Montmiral est particulièrement représentative du problème : nous sommes passés en zone de plaine alors que, sur le versant en face de mon exploitation, la commune de Montagne en Isère est passée en zone de montagne. » Difficile pour les frères Castry d’admettre que de chaque côté d’une simple frontière administrative, dans les mêmes conditions de travail, des éleveurs aient droit à une compensation de handicap naturel et d’autres non. « Sans oublier les répercussions de cette décision sur les aides de la Pac, les aides à l’installation, les plans de compétitivité et d’adaptation des exploitations (PCAE)... », poursuit Florent Castry.

Hausse des charges : au moins 50 000 euros

Pour 2022, il a déjà fait ses calculs. « La hausse sur les cours de la viande devrait nous amener entre 15 et 20 000 euros de plus. En face, nous nous attendons à une hausse des charges d’au moins 50 000 euros : 10 000 sur le GNR, 4 000 sur l’électricité pour notre atelier poules pondeuses bio, 6 000 sur le tourteau de colza, 15 000 sur les engrais, 8 000 sur le matériel et les pièces, sans oublier l’augmentation des tarifs de la Cuma, de l’ETA pour les moissons... », détaille l’éleveur. Sur cette campagne, Florent et Vivien Castry ont fait l’impasse sur les engrais. « Nous avons gardé le même budget que les années précédentes, donc divisé par trois les quantités d’azote. Mais à l’automne, il nous faudra bien prendre une décision pour la prochaine campagne. »

Dans ces conditions, Florent Castry se dit « assez pessimiste » sur le maintien des entités d’élevages en Drôme des collines. « Nous sortons de tous les radars : des ZDS d’abord mais aussi des autres dispositifs. Dans notre cas par exemple, nous avions été contactés par Valence Romans Agglo pour savoir si nous souhaitions entrer dans l’expérimentation PSE (paiements pour service environnementaux financés par l’Agence de l’eau, ndlr). Or depuis 2019, avec la conversion de notre atelier volailles pour la reproduction en atelier poules pondeuses bio, nous avons converti 25 puis 40 hectares en bio sur les 100 que compte l’exploitation. Comme nous touchons les aides à la conversion sur ces surfaces, nous n’avons pas la possibilité d’engager le reste dans les PSE », regrette l’éleveur.

Craintes sur la future Pac

Il se désole également que les exploitations du territoire puissent être exclues des futures MAEC* « herbagères » qui entreront en application en 2023. Celles-ci ne concerneraient que les communes où la part des couverts herbacés permanents représente plus de 50 % des surfaces. « Ce qui n’est pas le cas à Montmiral où il y a aussi beaucoup de noyers, souligne l’éleveur. Nous savons déjà que l’élevage allaitant sera perdant dans la future Pac et nous ne pourrons pas compter sur les MAEC. »

Quant à la hausse du prix de la viande, Vivien Castry, qui siège au conseil d’administration de Dauphidrom, section de la coopérative Sicarev, n’est guère optimiste. « La hausse actuelle des prix n’est due qu’au manque de production car le nombre d’éleveurs recule. Je crains qu’en viande bovine, on ait atteint un prix plafond pour le consommateur. La seule solution, c’est une meilleure répartition de la marge entre tous les maillons de la filière. Mais peut-on vraiment imaginer que les grands groupes de la distribution vont rogner sur leurs bénéfices ? », interroge-t-il.

Les deux frères sont aussi perplexes sur les bienfaits de la loi Egalim. « En coopérative, cela fait des années que nous contractualisons, Egalim ne change donc pas grand-chose. Ce qui fait le prix, c’est la demande. Or aujourd’hui, on a vraiment l’impression que tout est fait pour dissuader les Français de manger de la viande. »

Arrivée du loup

Florent et Vivien Castry ne cachent pas un certain sentiment d’abandon. « Entre l’atelier poules pondeuses et les vaches allaitantes, nous attaquons tous les jours à 4 h du matin. Être éleveurs, c’est notre choix mais c’est une astreinte quotidienne. Nous travaillons dans des zones difficiles, séchantes, avec du matériel spécifique, une consommation de carburant plus importante, nous ne comprenons toujours pas pas qu’on ait pu nous exclure des ZDS », soulignent-ils. D’autant qu’une nouvelle menace pèse désormais sur leur exploitation : l’arrivée du loup, qui a déjà fait plusieurs victimes, ovins et veaux, aux alentours. Une contrainte supplémentaire qui pourrait finir de décourager de nombreux éleveurs. Et Florent Castry interroge : « Qui entretiendra les zones non mécanisables de la Drôme des collines ? » Pour l’instant, il attend toujours des réponses à ses questions.

Sophie Sabot
*MAEC : mesures agro-environnementales et climatiques. 
EARL de la Combe

100 ha de SAU pratiquement sans irrigation

100 ha de SAU pratiquement sans irrigation
Dès la sécheresse de 2003, l’EARL de la Combe s’est tournée vers la production de méteil. Ici chantier collectif d’ensilage à Parnans avec la Cuma des Chambarands drômois. ©AD26-S.S.

Florent et Vivien Castry se sont installés en 1999 en EARL avec leur père. L’exploitation ne comptait alors que 40 vaches allaitantes, d’où la création d’un atelier volailles pour la reproduction. À la fermeture du couvoir de Saint-Marcellin en 2018, les frères ont reconverti le bâtiment pour accueillir deux lots de 6 000 poules pondeuses bio. Ils élèvent également 78 vaches limousines. Tout est commercialisé via Dauphidrom, section de la coopérative Sicarev (390 kg de poids moyen carcasse pour les mâles de 14 mois ; 300 kg pour les génisses de deux ans ; 400 à 450 kg pour les génisses de 3 ans ; 475 à 500 kg pour les vaches de réforme ; label rouge sur les femelles). L’engraissement se fait en ration sèche (luzerne et céréales produites sur l’exploitation et tourteau de colza). Dès la sécheresse de 2003, l’EARL s’est tournée vers la production de méteil après avoir lu un article sur une éleveuse bretonne qui avait adopté ce mélange en production laitière. « Aujourd’hui nous en produisons 10 ha. Nous semons à l’automne un mélange avoine, triticale, pois d’hiver et vesce. Nous pouvons ainsi l’ensiler au printemps avant le sec. » Sur les 100 ha de SAU, seuls quatre, situés à Génissieux, sont irrigués. L’EARL cultive aussi 20 ha de céréales destinés au troupeau allaitant, 3 de luzerne et 30 de prairies temporaires. 37 ha de prairies permanentes complètent la SAU. « Nous avons supprimé le labour pour préserver la structure du sol et maintenir l’humus en surface, signale Florent Castry. Nous faisons trois passages de déchaumeur avant les semis d’automne. C’est du carburant et des pièces d’usure mais nous avons choisi de ne pas utiliser de glyphosate. » Il estime cocher de nombreuses cases de pratiques vertueuses et regrette qu’aucun dispositif d’aides ne corresponde à leur modèle d’exploitation. Face à l’explosion des charges, les deux frères ne voient guère de marge de manœuvre. « Pour gagner un peu sur le poste engrais, nous allons essayer d’introduire de la féverole avec les céréales. Fertiliser coûte de toute façon très cher, même avec les effluents d’élevage qui sont très gourmands en carburant », conclut Vivien Castry.

S.S.

Sécheresse

Des pertes importantes sur les fourrages

Des pertes importantes sur les fourrages
Sur les méteils en Drôme des Collines, Florent castry estime à 25% la perte de récolte par rapport à une année "normale". ©AD26-S.S.

Malgré les pluies qui sont venues perturber l’ensilage des méteils tout début juin, le déficit hydrique sur le Nord-Drôme est conséquent (- 212 mm entre le 1er janvier et le 15 mai à Romans). Florent Castry estime qu’il a déjà perdu 30 à 50 % de ses récoltes sur prairies (ensilage et foin) en première coupe par rapport à une année moyenne. Sachant qu’il n’y aura pas de deuxième coupe cette année. Sur les méteils, il estime à 25 % la perte de récolte. À Parnans, Jérôme Leroy, éleveur charolais, annonce 40 % de pertes sur prairies naturelles et 15 % sur luzerne. Il s’inquiète également pour ses 5,5 ha de maïs (grain et ensilage) irrigués. « Je suis abonné au réseau du SID mais pour venir jusqu’à Parnans, le réseau est complété par un forage tampon qui subit de plein fouet les nouvelles restrictions. Je ne suis donc pas sûr de pouvoir mener mes maïs jusqu’au bout alors que je devrai quand même faire face aux charges fixes de mon abonnement », explique l’éleveur. 

S.S.