Foncier
Échangeur autoroutier :  des terres agricoles  en sursis

En novembre 2020, Vinci Autoroutes présentait un projet d’échangeur autoroutier de la Drôme provençale, dont l’implantation se ferait sur la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, et plus précisément sur une surface agricole de près de 20 hectares. Depuis, l’agriculteur concerné, Denis Hugues, se bat pour préserver ses terres.

Échangeur autoroutier :  des terres agricoles  en sursis
Philippe Del Cesta (co-président de l’association Vivre Respecter Se déplacer à Tricastin), Jean-Louis Hugues et Denis Hugues (agriculteurs sur la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux) font entendre leur voix pour lutter contre la construction d’un échangeur autoroutier sur des terres agricoles irriguées. © AP

Un coup dur. Il y a trois ans, Denis Hugues, quatrième génération d’une famille d’agriculteurs, apprend qu’un projet d’échangeur autoroutier de la Drôme provençale est en cours, sur la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Un projet d’envergure, qui privera l’exploitant agricole de 58 ans, de près de 20 hectares de terres fertiles et irrigables, pour la conception de l’échangeur et des aménagements alentours. « Ce sont des terres de bonnes valeurs agronomiques, qui bénéficient de l’irrigation, juste à côté de la ferme », alerte-t-il. À la tête de l’exploitation familiale, il dispose d’une surface agricole utile de 115 hectares, dont trente en pleine propriété. Il cultive 30 ha de vignes en AOC Grignan-les-Adhémar, 10 ha de lavandin, tandis que les autres surfaces servent à la production de maïs et tournesol semences, sorgho, blé tendre, blé dur, orge, etc. 
Dans le passé, l’exploitation familiale a déjà été confrontée à ce type de problématique. Jean-Louis Hugues, le père, aujourd’hui âgé de 81 ans, explique : « Mon grand-père a acheté la ferme en 1935. En 1947, on nous a déjà pris 22 ha de terres pour la construction du canal de Donzère-Mondragon ».

Un grignotage de parcelles depuis 1947

Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là. « À cela s’est greffée la construction de l’autoroute, à la fin des années 1960, qui a coupé notre exploitation en deux, et nous a privés de huit hectares supplémentaires… Sans compter la zone d’activités Drôme Sud Provence, qui a amputé près de quinze hectares de terres supplémentaires il y a quelques années », ajoute-t-il. 
Pour Denis Hugues, c’est donc un nouveau coup de massue qui s’abat sur l’exploitation. Il est soutenu par l’association « Vivre Respecter Se déplacer à Tricastin », qui s’est constituée en février dernier afin de faire abandonner ce projet qui n’est pas encore autorisé tant que l’enquête publique, prévue courant 2023, n’a pas eu lieu. L’association s’attache notamment à défendre le foncier agricole et à lutter contre l’artificialisation des sols. « C’est un projet totalement inutile estimé à 21 M€, basé sur une volonté politique de développer l’activité économique locale, sans tenir compte des problématiques actuelles : perte de foncier agricole, obstacle au déploiement des mobilités douces... », s’indigne Philippe Del Cesta, co-président de l’association. Cet éventuel futur échangeur serait alors le troisième sur une distance d’environ 25 km, entre Montélimar sud et Bollène.

Le futur d’une exploitation en jeu

En cas de validation du projet, la mise en service de cet échangeur autoroutier pourrait être effective d’ici 2026. L’agriculteur serait alors exproprié. « Les indemnités ne remplaceront pas les terres », soupire Denis Hugues. « Un paysan a besoin de terres ! », ajoute son père. « Tout ce qui est bâti ne reviendra jamais en terres agricoles », déplore Philippe Del Cesta. Face à une éventuelle diminution de sa SAU, Denis Hugues devra alors revoir la configuration de son exploitation. « Aujourd’hui, j’ai du matériel en conséquence des hectares de terres dont je dispose. À terme, je vais me retrouver avec beaucoup de matériel mais plus assez de terres… », regrette-t-il. 
L’avenir de l’exploitation familiale se voit donc fragiliser. Le futur s’annonce pour l’heure flou, d’autant plus que son fils, cinquième génération, hésite à reprendre la suite. « Il est venu huit mois sur l’exploitation, mais au vu de la conjoncture, il est retourné travailler à l’extérieur », déclare Denis Hugues. Pour la famille d’agriculteurs, la survie de leur exploitation est donc en jeu.

Amandine Priolet

Le point de vue de la chambre d’agriculture de la Drôme

Pierre Combat : « Un projet aberrant »

«Les positions de la chambre d’agriculture de la Drôme sur ce projet ont toujours été très claires : cet échangeur est une vraie connerie inutile (sic), déclare Jean-Pierre Royannez, le président. Tout le monde connaît notre position, y compris les élus politiques concernés : un échangeur à cet endroit-là, avec la proximité de ceux de Bollène et de Montélimar-sud, n’a aucune utilité, contrairement à celui prévu au niveau de Saint-Rambert-d’Albon ». 
De son côté, Pierre Combat, vice-président de la chambre d’agriculture en charge du foncier, ne mâche pas ses mots. « Nous ne sommes pas systématiquement contre les projets routiers ou autoroutiers utiles, puisque nous n’avons jamais été contre l’échangeur du Nord-Drôme ni contre la déviation de Suze-la-Rousse et Tulette. En revanche, nous sommes totalement contre les projets inutiles, comme celui de Saint-Paul-Trois-Châteaux. C’est un échangeur qui ne sert absolument à rien ! C’est un projet aberrant, qui vise simplement à consommer de l’espace agricole et à dépenser de l’argent public pour rien », affirme-t-il.

Aucun pouvoir décisionnaire

Malgré cet avis défavorable, la chambre d’agriculture de la Drôme a été mise devant le fait accompli. « Lorsque nous avons pris connaissance de ce dossier, les décisions de faire cet échangeur étaient d’ores et déjà actées au plus haut sommet de l’État, ajoute Jean-Pierre Royannez. À aucun moment, on nous a demandé notre position. De là, nous avons bien compris qu’on ne pourrait pas empêcher ce projet. Ils n’ont jamais eu notre caution sur le sujet mais ils n’en ont pas besoin », regrette-t-il. Certaine que le projet aboutira malgré ses réticences évidentes, la chambre d’agriculture se battra pour obtenir une éventuelle compensation agricole, pour aider la perte du foncier dans le secteur. « Il ne nous reste malheureusement plus que cela à négocier. Nous espérons toucher des aides afin de créer un projet qui nous permettra de ramener de la valeur ajoutée à l’agriculture », notifie Pierre Combat. L’élu rappelle toutefois que les mesures ERC « Eviter, Réduire, Compenser » n’ont pas du tout été prises en compte : « Compenser, c’est la plus mauvaise solution. On doit d’abord essayer d’éviter et de réduire les impacts sur l’environnement, avant de les compenser », déclare-t-il. Et de conclure : « Nous devons arriver d’ici 2040 à zéro artificialisation nette des sols. Ce projet, mené sans réflexion, va simplement gaspiller des terres agricoles. C’est une erreur monumentale ».
A. P.