Arboriculture
Quelles adaptations pour le verger du futur ?

Quelle sera l’arboriculture de demain ? C’est une question que s’est posée l’ensemble de la filière arboricole réunie dernièrement à la Sefra. Différents essais - sur des nouveaux modes de conduite - ont été présentés.

Quelles adaptations pour le verger du futur ?
Abricotiers palmette (un an) à la Sefra. © Archives AD

S’adapter. C’est l’un des défis majeurs du monde agricole de cette dernière décennie et la filière arboricole n’y échappe pas. Face aux aléas climatiques de plus en plus nombreux - et une pression des ravageurs de plus en plus forte - les acteurs de la filière cherchent de nouvelles solutions de protection des vergers. « Un climat de plus en plus surprenant, une protection des cultures toujours plus pointue, une attente sociétale exigeante, des bio-agresseurs difficiles à contrôler… La maîtrise et le progrès technique restent un atout majeur pour l’avenir de la production fruitière française », a confié Bruno Darnaud, arboriculteur et président de la station d’expérimentation fruits Rhône-Alpes (Sefra), en préambule à la journée technique organisée à étoile-sur-Rhône début octobre.

Pêchers en simple Y oblique à la Sefra. © Archives AD

Fruits : des formes de conduites variées

Selon les espèces de fruits et les variétés, il est parfois nécessaire d’adapter les formes de conduites des vergers en fonction des spécificités de chacune. « La forme idéale de conduite se définit par l’entrée rapide des arbres en production, par la performance agronomique, le bon vieillissement de l’arbre, la facilité de travail pour la main-d’œuvre et, enfin, la possibilité de pose de filets paragrêle », détaille Yannick Montrognon, technicien d’expérimentation à la Sefra.
En abricots, la station expérimentale a étudié, à partir d’un verger comparatif planté en 2015, différentes densités de gobelets mettant en comparaison des formes palissées (axe et palmette) avec un objectif de faciliter la couverture anti-grêle. Après huit années de production, les résultats montrent que la densification permet non seulement d’accélérer l’entrée en production mais aussi d’en améliorer sa régularité vis-à-vis des accidents climatiques et/ou sanitaires. D’autre part, Christophe Chamet, chargé d’expérimentation, affirme que « la conduite en forme palissée facilite la protection anti-grêle mais aussi la mécanisation des travaux ».
En pêches, un essai réalisé sur le verger démonstration de la plateforme TAB (techniques agricoles et alternatives) à étoile-sur-Rhône a permis de comparer deux formes de conduite, en gobelets simple Y oblique (5,5 m x 2 m) et palissées axe (4 mx 1 m), sur une parcelle plantée en 2019 en agriculture biologique. « Le simple Y oblique est une forme prometteuse avec des rendements supérieurs. Le vieillissement de l’arbre sera toutefois à évaluer », souligne Yannick Montrognon, avant d’ajouter que « la conduite en axe confirme ses qualités (l’entrée rapide en production) et ses défauts (vieillissement précoce de l’arbre) ».
En pommes, la forme de conduite en bi-axes est étudiée depuis une dizaine d’années en France. « Les premières plantations en bi-axes ont été faites en 2014 dans différents vergers de Haute-Savoie et au sein du verger expérimental de Poisy. Nos prérogatives étaient d’abord d’augmenter le rendement tout en maintenant un niveau qualitatif élevé. Nous visions également à améliorer la rapidité d’entrée en production », explique Nicolas Drouzy, technicien fruits de la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc. Par ailleurs, la conduite en bi-axes doit permettre de maîtriser la vigueur des arbres, de limiter l’arcure et l’attachage et enfin pouvoir donner des consignes de taille simple pour faire face à un manque de main-d’œuvre qualifiée. Globalement, les essais sur pommiers ont permis de montrer que les variétés Gala et Golden étaient bien adaptées à une conduite en bi-axes (avec amélioration de la productivité), contrairement à la variété Fuji dont la conduite et l’entretien s’avèrent plus difficiles. 
Enfin, en poires, les premiers essais sont en cours depuis quatre à cinq ans. « Le poirier est une espèce avec une conduite qui varie en fonction de chaque variété et de ses spécificités », conclut Nicolas Drouzy.

Amandine Priolet

À noter : tous les  résultats détaillés seront disponibles sur le site internet de la Sefra.

Projet Mirad : Vers la suppression des pesticides

Le projet Mirad (programme Ecophyto 2019-2024) propose d’expérimenter des systèmes de vergers innovants, permettant de n’utiliser les produits phytosanitaires qu’en cas d’ultime recours. Dans ce contexte, la Sefra travaille sur un essai visant à protéger, par filets Filpack mono-rangs, des vergers d’abricotiers conduits en agriculture biologique. « L’objectif de cet essai est de favoriser la protection contre l’enroulement chlorotique de l’abricotier (ECA) et la cacopsylla, mais aussi contre la monilia, deux problèmes que nous avons en bio », explique Christophe Chamet, chargé d’expérimentation à la Sefra. 
« Nous n’avons jusque-là pas eu d’attaques d’ECA et de psylle, donc il est difficile de faire des conclusions. En revanche, nous avons remarqué des attaques de monilia sous les bâches plastiques. La protection sous filets n’est donc pas absolue, avec près de dix pousses par arbre touché », poursuit-il. D’autre part, le chargé d’expérimentation a dû faire face à un autre problème, celui des pucerons. « En 2021, nous avons eu des dégâts importants sur les arbres (mortalité 12 %), les filets ayant empêché les auxiliaires de rentrer. En 2022, nous avons modifié notre système et relevé partiellement les filets sur les côtés afin de permettre une meilleure accessibilité des auxiliaires et une meilleure efficacité des produits, de type savon noir. Ainsi, nous avons eu des attaques, mais pas de mortalité d’arbres », déclare-t-il. 
La Sefra a également relevé des incidences sur les températures gélives. « Depuis deux ans, nous avons des dégâts assez importants. Cette année, nous avons pu conserver une température plus intéressante et plus élevée sous les filets mono-rangs, ce qui a permis d’assurer une certaine protection face au gel blanc ». En revanche, en cas de gel noir et en l’absence - ou arrêt - de vent, les températures descendent fortement et plus rapidement sous les filets. 
Par ailleurs, lors du dépliage des filets, « avant la fleur et le début du vol de psylles », les frottements provoquent des dégâts sur les arbres. Les filets entraînent également une baisse de la coloration des fruits, « mais le fait de les avoir relevés partiellement pour limiter la pression des pucerons nous a permis d’obtenir une meilleure coloration ». Enfin, les temps de manutention (dépliage, pliage, sandow supplémentaire) sont très importants.
Pour l’heure, les résultats attendus peinent à arriver dans ce verger mené depuis quatre ans. En revanche, « les inconvénients et contraintes sont déjà bien visibles… mais nous espérons que ce type de système pourrait présenter un intérêt sur de nouveaux ravageurs pouvant émerger (punaise asiatique...) ou en cas de recrudescence des attaques d’oiseaux », conclut Christophe Chamet. 
A. P. 

Conduite d’un verger de cerisiers  sous filets

Dans le Rhône, la chambre d’agriculture conduit diverses expérimentations au sein d’un verger de démonstration à Saint-Laurent d’Agny, créé en 2017*. Noémie Darloy, conseillère arboriculture, a présenté un essai sur des systèmes de conduite d’un verger de cerisiers sous filets pour lutter contre la pression sanitaire de la drosophila suzukii. Les filets insect-proof (Alt’Droso) ont été installés en mars 2021. « Une partie de verger (1 500 m²) est conduite en mono-parcelle, tandis que l’autre (1 500 m² également) est conduite en mono-rang », explique Noémie Darloy. 
Chaque système de conduite présente son lot d’avantages et d’inconvénients. Le système en mono-parcelle permet de faciliter les interventions sur les cerisiers et de récolter plus rapidement. En revanche, « il faut être prudent sur la gestion de l’étanchéité par les équipes de ramasseurs. En effet, nous avons un risque de perte totale des fruits en cas de présence de drosophile - ou tout autre ravageur - dans le verger », indique la conseillère. A contrario, la perte est atténuée en système mono-rang, en cas d’intrusion de la drosophile sous les filets. « Cependant, les interventions sur les cerisiers (taille en vert, entretien du rang) sont plus difficiles, au même titre que la gestion de la vigueur des arbres », souligne Noémie Darloy. Parmi les premières conclusions, il est possible d’éviter les dégâts de la mouche en cas d’étanchéité parfaite des filets. Dans un contexte de préservation de l’environnement, la question se pose alors de la suppression des traitements insecticides à la fermeture des filets. Cependant, une autre problématique est apparue avec la présence d’autres ravageurs (type forficules) et l’absence des auxiliaires sous les filets. « Il faut savoir que la mise en place de ces filets requiert des investissements lourds (98 700 € par hectare en mono-parcelle et 86 700 € en mono-rang lors de cet essai, ndlr). Le rendement et la qualité se doivent donc d’être optimaux », conclut Noémie Darloy. 

* sous l’impulsion de la chambre d’agriculture du Rhône, de la station d’expérimentation fruits Rhône-Alpes (Sefra), de l’association fruits Rhône et Loire (Afrel), de Sicoly, de Califruit et de Fruits Plus.