Colombie
Les agriculteurs colombiens résistent face aux géants de l’agro-industrie et du pétrole

Dans les plaines orientales de Colombie, dévolues à l’élevage traditionnel, les petites exploitations familiales cohabitent, plus ou moins facilement, avec l’industrie pétrolière et les géants de l’agro-industrie 
qui gagnent chaque année du terrain. Explications.

Les agriculteurs colombiens résistent face aux géants de l’agro-industrie et du pétrole
Martha et Carlos élèvent un troupeau de quatre-vingts vaches de race blanche et noire, natives de la région, mais également quelques jerseys. © MC

De grandes plaines à perte de vue où pâturent paisiblement quelques bovins… Il y a ici comme un air de Far West américain. Nous sommes pourtant en Colombie, dans le département du Meta, au cœur des « Llanos » (plaines) orientales. 
À quelques kilomètres de la petite ville de Puerto Gaïtan, Martha et Carlos ont créé, il y a treize ans, la finca (ferme) La Peluza, une exploitation de 40 ha. « Nous avons un troupeau d’ovins pour la viande (vingt-cinq mères), quelques cochons qui génèrent du méthane pour l’électricité de la ferme, quatre-vingts bovins élevés en pâturage tournant, des poules pour la viande et les œufs, trente ruches qui produisent miel et propolis ainsi qu’un élevage de poissons », explique Martha. « Lorsque nous sommes arrivés, les terrains sableux et très compacts étaient en friche », se souvient Carlos. Aujourd’hui, de grands arbres s’élèvent tout autour de la ferme familiale : ananas, mangues, bananes, papayes, cacao et autres fruits cohabitent avec les cultures de légumes. « Nous avons travaillé d’arrache-pied pour redonner de la vie aux sols. Le fumier généré par les animaux sert d’amendement, tandis que les déchets organiques de la cuisine alimentent les bêtes, formant ainsi un cercle vertueux. Nous pratiquons aussi les couverts végétaux pour maintenir l’humidité des sols. » Dans les environs, La Peluza fait figure de grande ferme parmi les petites. La majorité des exploitations familiales comptent entre 1 et 15 ha de diverses productions, principalement dédiées à l’autoconsommation. Mais depuis une vingtaine d’années, ce modèle agricole se voit concurrencé par l’agro-industrie.

« L’agro-industrie accapare les meilleures terres »

Depuis La Peluza, il suffit de traverser la route pour entrer dans les terres de « la Fazenda », leader colombien de l’élevage porcin, installé dans la région depuis 2002. L’entreprise concentre près de 30 000 ha dédiés à la monoculture de soja et maïs pour l’engraissement de 56 000 porcs par an, destinés au marché colombien (un cochon consommé sur six dans le pays est estampillé « Fazenda » et est destiné à l’export). Problème : « L’utilisation à grande échelle d’intrants chimiques contamine les parcelles voisines », estime Martha. « Deux années de suite, nous avons constaté d’importantes mortalités d’abeilles qui avaient butiné les cultures. » La canne à sucre, le riz ou encore le palmier à huile pour la production de biocarburants sont également cultivés à grande échelle dans la région. Ces cultures ont connu un développement fulgurant ces dernières années et accaparent les meilleures terres, au détriment des petits paysans. « Les lois destinées à empêcher la concentration des terres ne sont pas appliquées dans la région », déplore Carlos. « Principalement destinées à l’export, ces cultures recourent massivement aux intrants qui contaminent l’eau. » La monoculture amène aussi de nouveaux problèmes sanitaires comme l’araignée rouge, fléau du palmier à huile devenu de plus en plus difficile à contrôler. Ces activités grignotent aussi la forêt. Le Meta est d’ailleurs le département dans lequel la déforestation a le plus augmenté en 2021.

Or noir contre paradis vert

Figurant parmi les principaux producteurs agricoles du pays, le Meta est avant tout un département pétrolier. L’or noir, principalement exporté aux États-Unis et au Panama, constituait près de 42 % du PIB colombien en 2020, loin devant l’agriculture (14 %)2. Une richesse qui a aussi son revers : l’étroite dépendance de l’économie locale aux cours mondiaux du pétrole. L’industrie pétrolière n’est pas vue d’un très bon œil par les agriculteurs : « Le pétrole siphonne la main-d’œuvre de la région, et nous peinons à recruter des bras en agriculture », déplore Martha. Son extraction engendre aussi la pollution et l’assèchement des cours d’eau avec des répercussions directes sur l’agriculture alentour.

Résister grâce à la transformation et aux circuits courts

Bien décidés à résister, les agriculteurs locaux s’organisent. Afin de générer davantage de revenus, des projets collectifs voient le jour. La construction d’un atelier de transformation de curcuma de 2 500 m2 en est un exemple : 
« Ce projet, prévu pour 2022, rassemble une centaine d’agriculteurs », indique Martha. « Il ne sera pas prêt pour la récolte prochaine qui démarre en janvier, mais nous permettra par la suite d’apporter une valeur ajoutée dans les fermes, le kilo de curcuma étant vendu à 5 ou 6 € en moyenne. » Transformer mais aussi commercialiser ses produits, voilà l’objectif du marché créé il y a quelques années par les agriculteurs de Puerto Gaïtan. « La consommation locale est peu développée en Colombie qui importe ce qu’elle mange et exporte ce qu’elle produit, déplore Martha. 
La pandémie de Covid-19 a toutefois permis de replacer le thème de la souveraineté alimentaire au centre du débat. »

Mylène Coste

1 Selon le ministère de l’Environnement colombien.
2 Selon le ministère de l’Économie colombien.

L’autonomie alimentaire grâce au pâturage tournant dynamique

Depuis six ans, Carlos pratique le pâturage tournant dynamique avec les bovins. « Le principe : beaucoup de bêtes sur une surface réduite et surtout pendant une durée limitée. Nous adaptons la taille du troupeau aux ressources herbagères disponibles. Les animaux pâturent chaque jour sur une parcelle différente, elle-même divisée en cinq paddocks où tournent les animaux durant la journée. » Cela laisse le temps à l’herbe de repousser avant de repasser dans la parcelle. Cette technique permet à l’agriculteur d’atteindre l’autonomie alimentaire du troupeau, et de produire plus de fourrage. « Changer de prairie est aussi un moyen d’éviter le parasitisme, comme par exemple les tiques : elles demeurent dans les sols trente-cinq jours environ, tandis que nos rotations sont de soixante-dix jours. » 
M. C.

Des terres fertiles qui ne profitent pas au peuple,  les paradoxes de l’agriculture colombienne
Martha, les bras chargés de curcuma dont la récolte démarre en janvier. ©MC

Des terres fertiles qui ne profitent pas au peuple,  les paradoxes de l’agriculture colombienne

Selon la FAO, la Colombie est l’un des sept pays avec le meilleur potentiel agricole au monde, comptant plus de 43 millions d’hectares (M ha) de surface agricole utile (25 M ha en France). Pourtant, plus de la moitié de ce qui est consommé en Colombie est importée (99 % des céréales, 80 % du maïs et près de 50 % du riz)*. 80 % des terres agricoles du pays sont dédiées à l’élevage des 24 millions de bovins recensés dans le pays (soit 1,5 bovin/ha contre 124 aux Pays-Bas). 20 % de la SAU est dévolue aux cultures de canne à sucre, palme à huile, fleurs, café, élevage porcin et avicole pour l’export. Seulement 1,4 M ha est destiné à la consommation interne. La concentration de la terre est très importante : 0,4 % des propriétaires détiennent 46 % des terres productives. 

M. C.
* Source : recensement agricole de Colombie de 2014.