ARTISANAT
Bouilleur ambulant, une ode à la vie rurale

Il y a un peu moins d’un an, Jonathan Gayard, entrepreneur en travaux agricoles, a repris un alambic itinérant. D’octobre à mars, il sillonne quatre communes de la Loire et une du Rhône pour permettre à ses clients, 
les bouilleurs de cru, de transformer leurs fruits en eau-de-vie. Une activité méconnue.

Bouilleur ambulant, une ode à la vie rurale
Jonathan Gayard sillonne quatre communes de la Loire et une du Rhône avec son alambic pour permettre aux bouilleurs de cru de produire leur eau-de-vie. ©OT_Thones_de_vallée

Pour voir l’alambic fonctionner, il faudra repasser. « C’est une activité saisonnière et très réglementée, que j’exerce d’octobre à mars », explique Jonathan Gayard en ce très chaud mardi de juillet. De fait, voilà quelques mois que le bouilleur ambulant établi à Boisset-Saint-Priest (Loire) a mis son matériel en sommeil. Ce qui ne l’empêche pas de détailler le fonctionnement de cet équipement ancestral juché sur une remorque qu’il traîne de village en village avec son tracteur. Pour simplifier, on a d’un côté, une chaudière qui sert à faire bouillir de l’eau. À l’autre extrémité du véhicule, une cuve contient de l’eau froide et un serpentin par lequel l’eau-de-vie va circuler avant de s’écouler et être collectée avec un taux d’alcool contrôlé de 50 %. Entre les deux, des tuyaux par lesquels transite la vapeur d’eau, poussée par la pression et qui va se charger d’alcool au contact des fruits fermentés placés au centre de l’attelage dans un à trois tonneaux selon le volume amené par le client. « Le rendement atteint en moyenne 10 %, précise Jonathan. C’est-à-dire que pour 100 kg de fruits, il repart avec environ 10 litres d’eau-de-vie à 50°. » 

Un alambic des années 1930

Jonathan Gayard stationne son alambic dans une commune du Rhône et quatre de la Loire : Génilac, Périgneux, Saint-Hilaire-Cusson-la-Valmitte et Estivareilles. Ayant annoncé sa présence en amont, huit à dix clients ont pris rendez-vous et se succèdent. Une majorité de personnes âgées mais « quelques jeunes reviennent à cette production, mais il faut être propriétaire d’arbres fruitiers, même si une personne âgée peut envoyer quelqu’un à sa place avec une procuration ».
Le professionnel leur consacre en moyenne une heure, en fonction de la quantité de fruits. « Après quelques semaines de fermentation, chacun a sa recette. Certains mettent du sucre, d’autres pas… Cela dépend des familles. » Si les locaux sont contents de pouvoir faire leur propre alcool, l’alambic n’attire pas plus que cela les curieux. « Dans les campagnes, les gens connaissent bien le procédé. À une époque, il y avait un alambic par village ! » Jonathan Gayard y est venu un peu par hasard. D’abord en déplaçant avec son tracteur les alambics de professionnels bien connus dans le département, puis en leur donnant un coup de main avant d’accepter de prendre la relève. Et voilà comment il a débuté en octobre dernier.
Retour au procédé. Une fois les fruits chargés, Jonathan opère quelques réglages et veille à ce que tout fonctionne. « Il faut être logique et rigoureux. Il y a des sécurités, mais un accident peut arriver si on n’est pas attentif. » Il n’est pas peu fier de parler de sa machine, qui date des années 1930. « Il n’en reste plus beaucoup des comme celle-là… et encore moins avec des personnes de mon âge, s’amuse-t-il. Elle a été personnalisée au fil du temps, avec le toit repliable ou un fonctionnement au fioul alors qu’elle devait utiliser du charbon au départ. Il faut bien l’entretenir, avec des changements fréquents de joints pour éviter que la vapeur s’enfuie. » Sa passion pour le matériel mécanique est l’une des motivations qui ont poussé le trentenaire à se lancer dans cette activité, au même titre que le contact avec les clients, l’aspect itinérant et la préservation d’une tradition ancestrale. « J’y suis très attaché, même si c’est paradoxal d’avoir un vieil alambic et des tracteurs modernes », reconnaît, souriant, celui qui vient de boucler son premier exercice en tant que bouilleur ambulant.

Une activité complémentaire

En effet, cet ancien élève du lycée agricole de Précieux (Campus agronova aujourd’hui, NDLR) est avant tout entrepreneur en travaux agricoles. Il dirige depuis 2006 une entreprise qui emploie trois salariés, aide les agriculteurs dans le transport (fourrages, grains, boues, etc.) ou l’épandage et exploite une plateforme de compostage. « Comme je n’aimais pas l’école, il fallait apprendre un métier, raconte-t-il depuis la terrasse de la maison familiale. Mon truc, ça a toujours été les machines, notamment les tracteurs et les engins agricoles. Je n’aime pas la mécanique automobile, par exemple. » Il a commencé à travailler à 16 ans et s’est formé sur le tas. L’idée de se mettre à son compte a germé à ses 19 ans et il l’a concrétisée l’année suivante. Pascale, sa maman, se rappelle bien cette époque. « Quand il a créé sa société, cela m’a un peu affolée car ce sont de grosses machines agricoles et il n’est pas facile d’emprunter quand on est jeune. En revanche, je n’avais pas de doute sur son sérieux, il était déjà consciencieux et volontaire. Lorsque Jonathan et son petit frère étaient adolescents, on nous demandait d’ailleurs souvent pourquoi ils travaillaient autant l’été, mais leur père et moi ne leur avons jamais demandé. »

Une famille d’entrepreneurs

Entre deux gorgées de sirop à la menthe – il ne boit pas d’eau-de-vie –, l’intéressé rétorque qu’il a toujours aimé s’affairer. La preuve, il exerce donc deux activités et seconde sa compagne, qui dirige Horticulture du Forez à L’Hôpital-le-Grand, et le couple a trois enfants. « Je ne m’arrête que quand je dors », lance-t-il, amusé. Faut-il parler d’hyperactivité ? Jonathan répond que non, qu’il sait être calme. « Son père est pareil, ils aiment tout simplement beaucoup leur travail », commente Pascale. Hasard ou coïncidence, toute la famille est ou a été à son compte : sa mère était commerçante, son père est électricien, son frère et sa sœur sont respectivement maraîcher et coiffeuse. « Je n’ai pas non plus beaucoup d’autres distractions… Je jouais au foot à une époque, mais je me suis fait des entorses aux deux chevilles en travaillant », ajoute Jonathan Gayard. Pas de quoi inquiéter les bouilleurs de cru qui comptent sur lui, il n’entend pas s’arrêter de sitôt. « Je continuerai tant que je pourrai. Je le fais vraiment par envie, pour faire perdurer la tradition », conclut-il avant de prendre congé… pour retourner travailler.

Franck Talluto

Un peu d’histoire

Différentes sources s’accordent pour dater l’apparition de l’eau-de-vie au Moyen Âge. Elle serait le fruit des efforts d’alchimistes souhaitant créer « un élixir de longue vie » (aqua vitae en latin). À défaut d’atteindre cet objectif, ses qualités antiseptiques font qu’elle a pendant très longtemps été utilisée en tant que médicament, aussi bien pour nettoyer les plaies qu’en usage interne, peut-on lire sur le site terroir-artisan.fr. Outre les productions issues des petites exploitations, on compte de grands noms parmi les eaux-de-vie produites en France, comme l’armagnac, le cognac, le calvados, le marc, le kirsch.

Une activité très réglementée
©OT_Thones_de_vallée
Législation

Une activité très réglementée

Le métier de distillateur ambulant – au caractère saisonnier fixé par le code général des impôts – ne s’arrête pas une fois le client reparti avec son eau-de-vie fraîchement produite. « C’est très réglementé par les douanes, signale Jonathan Gayard. Détenir un ou plusieurs alambics nécessite une autorisation et je dois déclarer tous les mouvements de mon alambic. » Outre leurs fruits, les bouilleurs de cru doivent donc se déplacer avec divers justificatifs (taxe foncière, cadastre, etc.) prouvant qu’ils sont bien propriétaires d’arbres fruitiers. Jonathan en fait une copie, leur fait remplir un formulaire et collecte les taxes dont ils doivent s’acquitter en plus de la facture réglée à Jonathan Gayard pour la prestation de service. Seuls les derniers détenteurs des privilèges – instaurés par Napoléon, on les transmettait autrefois à ses héritiers avant que l’État y mette fin – en sont exonérés sur les premiers litres de leur production.