Volailles
La poule Grise du Vercors « se professionnalise »

La poule Grise du Vercors est une race à croissance lente. Ses résultats techniques et économiques viennent d’être améliorés en la croisant avec une poule fermière lourde. Cela donne une « pro ».

La poule Grise du Vercors « se professionnalise »
En croisant la Grise du Vercors avec une poule fermière lourde de race moderne, le temps d’élevage, la production d’œufs et le rendement en viande ont été améliorés. Et ce, « sans perdre l’authenticité de la race initiale ni son goût assez typé ».

La Grise du Vercors est issue d’un croisement entre les poules noires autochtones et des Cuccola introduites par les Italiens de la région de Vénétie venus fabriquer du charbon de bois au début du XXème siècle. Mais voilà, après la seconde guerre mondiale, elle s’est éteinte, d’autres races plus rentables (souches américaines) lui ayant été préférées.

Evelyne Tézier, qui a des origines paysannes, gardait de son enfance le souvenir de poules grises élevées par sa grand-mère dans le Vercors. Dans les années 1990, temps où elle était institutrice à Saint-Laurent-en-Royans, elle a recherché des témoignages d’anciens et des photos sur cette race. Et, ayant une basse-cour, elle s’est dit : « Puisque la Grise du Vercors n’existe plus, je vais la recréer. Au départ, c’était un défi que je m’étais lancé. Mais, seule, je n’y arrivais pas. Et des éleveurs étaient intéressés par ma démarche. » Ensemble, ils ont engagé un long travail pour « ressusciter » la Grise.

Reconnue race menacée

En 2003, ces passionnés ont créé l’association Ouantia(1) Grise du Vercors. Et Françoise Robert, conseillère volailles à la chambre d’agriculture de la Drôme à ce moment-là, leur a apporté un appui technique. En 2007, la sélection de Grise du Vercors a été confiée au centre de Béchanne(2), dans l’Ain. En 2016, l’association a réussi à faire reconnaître cette poule comme race locale avicole menacée d’abandon par l’agriculture. Ainsi a-t-elle pu bénéficier une aide de l’Europe (17 000 euros par an pendant cinq ans), qui couvre le coût de sélection au centre de Béchanne (un peu plus de 16 000 euros par an ces derniers temps).

Devant l’un de ses poulaillers, Nicolas Gérard (avec le bonnet) entouré de Franck Blanchard, Evelyne Tézier et François Gaudin.

Croisée pour être sauvée

Mais un problème se posait : « Les éleveurs nous ont fait remonter que la Grise du Vercors mettait trop de temps à grossir (cinq à six mois) pour être rentable dans un élevage professionnel », explique Evelyne Tézier (aujourd’hui retraitée). A la fois technicien avicole de l’association Ouantia et accouveur à Divajeu, Franck Blanchard complète : « Elle mange beaucoup pour une croissance très lente. Pour en tirer un bénéfice, il faudrait la vendre à un prix exorbitant. Donc, les éleveurs ne la préconisait pas ». Alors, « on les a écouté, reprend Evelyne Tézier. De là est née l’idée - afin de sauver cette race locale - de créer une Grise du Vercors “pro” ». Cela par croisement avec une « poule fermière lourde » de race moderne pour améliorer les résultats techniques et économiques. Mais avec le souci de ne pas perdre « l’authenticité de la race initiale ni son goût assez typé ».

Des éleveurs conservateurs

Aujourd’hui, l’association Ouantia n’a aucune visibilité sur le devenir de l’aide européenne au maintien de races avicoles menacées. C’est pourquoi elle a décidé de récupérer les souches de Grise du Vercors conservées au centre de sélection de Béchanne et de les confier à des adhérents volontaires. L’an prochain, ces éleveurs mettront en place chez eux un ou deux parquets de reproduction, chacun constitué de dix poules et d’un coq retenus parmi les plus beaux spécimens. « On se fera aider par un généticien pour conserver la diversité génétique et éviter toute consanguinité », précise Evelyne Tézier. Et « on va redéposer un dossier de demande de prime “race menacée”, indique Franck Blanchard. Si elle est reconduite, elle nous aidera à installer et développer la filière. »

Grises du Vercors pro, poulailler et parcours de Nicolas Gérard. 

Du « haut de gamme »

En 2018, Franck Blanchard a démarré les essais de multiplication de Grises du Vercors pro. 2019 a été la première année de production, avec quatre éleveurs. Cette année, ils sont seize. « Avec le croisement, on a gagné plus d’un mois d’élevage. La ponte a aussi été améliorée. On a de super résultats », se réjouit Evelyne Tézier. « Nous n’avons pas à rougir des résultats techniques obtenus, appuie Franck Blanchard : gain en termes de croissance, conformation, rendement en viande. Que la grise du Vercors pro soit vraiment une race mixte, avec les coqs comme volailles de chair et les poules comme pondeuses, c’est notre objectif. Elle peut être rentable. C’est un excellent produit, sa qualité se rapproche de celle du poulet de Bresse. En plus, les pondeuses en fin de production peuvent être valorisées en poules au pot(4) ; il y a de la demande. La Grise du Vercors pro reste à peaufiner mais elle peut être lancée pour des producteurs en circuits courts. Des agriculteurs qui veulent en faire un produit haut de gamme ont commencé à la tester. » 

La poule Grise du Vercors pro est « une belle opportunité pour faire des volailles festives sans les chaponner, si le nombre de poussins est suffisant », estime François Gaudin, conseiller « productions volailles » à la chambre d’agriculture de la Drôme et animateur de l’association des volailles fines du Dauphiné. Dernière précision, donnée par Evelyne Tézier, « cette gamme “pro” sera rajoutée » à la marque déposée à l’INPI(3) voici une dizaine d’années pour la Grise du Vercors.

Annie Laurie

(1) Ouantia : nom d’un village du Royans-Vercors détruit par les Romains.

(2) Centre de Béchanne : créé pour sélectionner le poulet de Bresse puis élargi à d’autres races anciennes.

(3) INPI : institut national de la propriété industrielle.

(4) La poule au pot accompagnée de ravioles cuites dans son bouillon et servies avec une sauce poulette est un plat traditionnel du Royans-Vercors, signale Evelyne Tézier.

 

Repères

Poules et coqs Grise du Vercors pro.

- La Grise du Vercors est une race rustique au plumage « coucou » : ses plumes sont noires barrées de blanc. Et les coqs sont plus clairs que les poules car leurs plumes ont davantage de barres blanches. Les oreillons sont blancs, la crête écarlate. Aujourd’hui, coexistent la race initiale (peu commercialisée) et la « pro » (destinée à l’élevage professionnel).

- L’association Ouantia Grise du Vercors rassemble 16 éleveurs de Grises du Vercors pro (90 % sont agriculteurs et plus de la moitié drômois) pour un effectif total de 6 000 volailles. La prévision est de 8 000 animaux en 2021 et l’objectif de 30 000 d’ici cinq ans pour rentabiliser le couvoir.

- Couvoir : 200 poules reproductrices et 25 coqs ; 5 000 poussins éclos en 2020 et près de 10 000 prévus en 2021.

Poussin Grise du Vercors.

Nicolas Gérard, éleveur : « La Grise du Vercors, c’est du tip top »

Nicolas Gérard élève 200 Grises du Vercors pro pour les fêtes. Une volaille « haut de gamme, goûtue » qu’il « adore ».

Après avoir été commercial, Nicolas Gérard (35 ans) a repris l’exploitation familiale, à Besayes, en 2017. Il s’est installé en individuel mais doit former un Gaec avec son épouse en janvier prochain. Il élève en bio 250 poules rousses pour les œufs, 3 500 poulets de chair cous nus rouges par an. S’ajoutent 200 poules Grises du Vercors pro pour les fêtes. « Car c’est du tip top, du haut de gamme proche du poulet de Bresse, très goûtu. J’adore cette race », dit avec enthousiasme Nicolas, avant de recommander une cuisson à basse température.

Nicolas Gérard finit ses Grises comme des chapons pendant un mois avec du petit lait et du maïs.

Il élève ses volailles dans dix bâtiments dont trois mobiles (25 m² pour ces derniers et 17 pour les autres) avec, chacun, 500 m2 de parcours. Ses Grises (poussins arrivés mi-juin), il les finit comme des chapons pendant un mois avec du petit lait de vache et du maïs (40 kilos de pâtée par jour en tout) mais ne les castre pas. « Cette finition donne de la tendreté, du moelleux à la chair », précise-t-il. Cette pâtée est aussi, pour lui, un moyen de réduire ses coûts de production car elle revient moins cher que l’aliment complet acheté. Les volailles (abattues à Chabeuil) et les œufs de cet élevage sont tous vendus en direct sur place, via des magasins de producteurs, une Amap, une boucherie…

A. L.