ARTISANAT d'ART
Aubusson, l’empire de la tapisserie en perpétuel mouvement

Depuis plus de six siècles, Aubusson (Creuse) est la capitale mondiale de la tapisserie. Un art qui n’a cessé de se réinventer en puisant, dernièrement dans l’imaginaire du réalisateur japonais de films d’animation, Hayao Miyazaki, après celui du Seigneur des anneaux.

Aubusson, l’empire de la tapisserie en perpétuel mouvement
La manufacture d'Aubusson vient de signer avec le studio de films d'animation japonais Ghibli un projet intitulé « L'imaginaire de Hayao Miyazaki en tapisserie d'Aubusson ». © Cité de la Tapisserie

L’histoire de la tapisserie serait intimement liée au développement de plusieurs activités artisanales dans le Massif central (coutellerie, papeterie, armurerie, soierie et un peu plus tard dentelle). Si les origines flamandes sont incertaines, les tapisseries d’Aubusson pourraient découler de la reconversion de l'industrie drapière locale en un artisanat d'art, mais rien n’est certain (voir par ailleurs). Il n’en demeure pas moins que cet art a trouvé un terreau fertile dans ce petit coin de Creuse depuis maintenant six siècles. Les eaux de la Creuse, qui ont la propriété de fixer naturellement les couleurs, n’y sont certainement pas étrangères. D’objets de décor et de confort pour se prémunir du froid, les tentures qui ornaient l’intérieur des riches demeures du XIV au XV siècle, sont devenues au fil des siècles des objets d’art à part entière.

Des peintres inspirants

Récit biblique, mythologique ou littéraire ont inspiré ses artisans, communément appelés lissiers. Au fil des siècles, la tapisserie a su composer avec son temps, traversant parfois des périodes de doutes et de moindre intérêt. Au début des années 1900, la région d’Aubusson ne compte pas moins de 2 000 lissiers, mais les ateliers creusois n'innovent plus et ne font que reproduire des motifs et des styles qui sont transmis de génération en génération. Il faudra attendre 1940 et l’arrivée du peintre Jean Lurçat, pour entrevoir un renouveau. Aubusson entame alors une période florissante. Certains des plus grands artistes modernes dont Picasso, Léger, Le Corbusier et Braque viennent dans les ateliers pour créer des tapisseries. Dans les années 1980, Aubusson connaît une nouvelle crise. Les usines de tissage se délocalisent et les commandes qui venaient du Nord de la France n'affluent plus pour les tapisseries. Beaucoup d'ateliers creusois ferment et le déclin de l'industrie est amorcé.

Dépoussiérer la tapisserie

Un regain d'intérêt émerge dans les années 2000 avec une spécialisation d'ateliers dans la tapisserie très haute gamme. Le prestige des tapisseries d’Aubusson est couronné en 2009 par l’inscription des savoir-faire et technique au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l’Unesco. Fort de cette reconnaissance, Aubusson démarre son projet de Cité internationale de la tapisserie, qui ouvre ses portes en 2016, sur le site de l’ancienne École nationale d’art décoratif d’Aubusson. Démarre alors un nouveau chapitre avec l’ambition de faire découvrir et apprécier la tapisserie à un public plus large. La Cité a pour mission de conserver, enrichir et mettre en valeur ce grand savoir-faire. Avec un projet scientifique et culturel renouvelé, elle construit une collection de référence permettant de retracer l’histoire de la production en Aubusson. Si elle s’appuie sur le passé, la Cité de la tapisserie regarde également vers l’avenir. Avec la mise en place d’un Fonds contemporain, elle participe à la relance de la création à Aubusson, à travers des appels à projets, une collection de formats fixe « Carré d'Aubusson », l'édition déléguée de mobilier, ou encore des commandes spécifiques à des artistes significatifs de la scène contemporaine, comme Clément Cogitore, Prix Marcel Duchamp 2018. En 2012, Emmanuel Gérard, directeur de la Cité et le conservateur du musée de l’époque projettent de réaliser les illustrations méconnues de J.R.R. Tolkien (Le Hobbit, Le Seigneur des anneaux, Le Silmarillion…) en tapisseries monumentales. Les négociations avec les héritiers du célèbre auteur, décédé en 1973, ont duré près de quatre ans, mais ont permis la commande de près d’une quinzaine de tapisseries, encore en cours de fabrication. Récemment, la Cité internationale de la tapisserie a signé une convention avec le Studio Ghibli Inc. pour la réalisation d’une série de tapisseries d’Aubusson monumentales extraites de grands films signés du maître de l’animation japonaise, Hayao Miyazaki. Ainsi, l’univers de Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant, ou encore Nausicaä de la vallée du vent devrait prendre vie successivement, d’ici 2023.

Sophie Chatenet

 

Origine : Entre mythes et légendes

L’origine des tapisseries de la Marche (région d’Aubusson et de Felletin) est obscure. Elle a longtemps été attribuée au monde arabe, certains la rattachant à une vieille légende évoquant une troupe de Sarrasins perdus après la bataille de 732 où Charles Martel bloqua l’expansion arabe vers le Nord. D’autres auteurs, dont George Sand, ont répandu l’hypothèse qu’à la fin du XVe siècle, l’exil du prince ottoman Zizim à Bourganeuf (à 40 km d’Aubusson) s’était accompagné de l’installation d’ateliers de tisserands turcs. Pour d’autres encore, c’est dans des alliances entre des familles flamandes et les seigneurs de la Marche qu’il faudrait rechercher cette origine, car elles auraient influencé l'établissement de lissiers d’Arras ou du Hainaut vers Aubusson et Felletin au XIVe siècle ou au XVe siècle. Enfin, les mentions écrites à partir de 1457 à Felletin permettent d’envisager qu’une activité locale plus ancienne de fabrication de draps de laine et de couvertures aurait pu donner lieu à une spécialisation vers la tapisserie.