ANALYSE
L’insécurité dans les exploitations agricoles, un phénomène qui inquiète

Depuis plusieurs années, la montée d’une insécurité visant directement les exploitations agricoles se fait sentir. De l’action ciblée d’opposants politiques à de la pure délinquance, les agriculteurs doivent faire face à cette nouvelle donne, toutes filières confondues. Éléments de compréhension à l’aide de chiffres et de témoignages de ceux qui vivent cette insécurité sur le terrain au quotidien.

L’insécurité dans les exploitations agricoles, un phénomène qui inquiète
Lors de la constatation d’un vol, d’une infraction ou d’une intrusion, le premier réflexe est de prévenir la gendarmerie la plus proche. ©SirpaI

Si les chiffres varient quelque peu d’une année sur l’autre, la réalité ne trompe pas : les intrusions dans les exploitations agricoles sont devenues monnaie courante. En 2019, 14 498 faits d’intrusions clandestines ont été recensés par la cellule Demeter (voir par ailleurs), en augmentation de 1,5 % en un an. D’après les données publiées par les forces de l’ordre, les deux-tiers des atteintes concernent des vols. Dans le détail en 2019, 48,12 % des atteintes étaient des vols simples, 10,24 % constituaient des cambriolages ou des vols par ruse et 0,17 % des vols avec violence. Des vols qui peuvent autant concerner des productions (fruits, céréales, animaux…) que des engrais ou encore du matériel (métaux notamment). Mais ce sont surtout les véhicules agricoles qui constituent les cibles privilégiées. D’après les données de Demeter, en 2019, 9,04 % des atteintes étaient des vols dans ou sur des véhicules (consoles GPS, gasoil, batteries…), quand 4,52 % des faits commis relevaient même de vols purs et simples de ces mêmes véhicules. Le chiffre fait froid dans le dos : on estime qu’en France, chaque jour, un tracteur est volé sur une exploitation agricole. Autre fait observé par la cellule Demeter : la part importante des destructions et dégradations commises dans les exploitations agricoles, notamment sur les productions. Elles comptaient en 2019 pour 11,55 % des atteintes au milieu agricole, soit le troisième phénomène d’insécurité observé.

Des intrusions de militants animalistes… mais pas que !

Ces dernières années, la montée de mouvements animalistes hostiles à l’élevage a créé un vrai climat de peur chez les éleveurs. Beaucoup craignent aujourd’hui de se retrouver nez à nez avec une personne qui se serait arrogé le droit de pénétrer sur leur propriété, pour mener des observations ou pour lui porter atteinte. Les intrusions de militants se multiplient, les chiffres sont là pour le prouver. De 8 faits recensés en 2017, nous sommes passés à 16 en 2018 puis 41 en 2019 d’après les dernières données en date fournies par Demeter. Néanmoins, leur poids reste faible au regard du nombre total d’intrusions observées sur les exploitations agricoles. En 2019, les 41 intrusions de militants animalistes n’ont ainsi représenté que 0,28 % des atteintes observées. Dans le détail, 30 étaient attribuées à Red Pill (ex-DxE), 8 à L214 et 3 à Boucherie Abolition. De quoi prouver que la problématique des intrusions sur les exploitations agricoles et plus largement de l’insécurité subie par le monde agricole est vaste et complexe et ne se résume pas à l’action de quelques associations d’opposants. Dans l’Allier, les gendarmes ont d’ailleurs mené des actions de sensibilisation auprès des MFR et lycées agricoles. Avec deux objectifs : donner quelques bons conseils de protection mais surtout faire prendre conscience aux futurs professionnels que la gestion de l’insécurité deviendra une réalité de leur activité quotidienne.

Une prise de conscience politique

Face aux alertes répétées venues du terrain et relayées par le syndicalisme agricole, le gouvernement a été contraint de se saisir de la problématique d’insécurité dans les exploitations agricoles. En octobre 2019 a été créée par la Direction générale de la gendarmerie nationale - en partenariat avec la FNSEA et les JA - la « Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole », dite cellule Demeter. Quatre missions lui ont été confiées : la prévention et l’accompagnement des professionnels de l’agriculture, le renseignement pour cartographier la menace et détecter l’émergence de nouveaux phénomènes ou groupuscules, le traitement judiciaire des atteintes commises et enfin la communication auprès des professionnels comme du grand public. Trois ans après le lancement de Demeter, les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont reculé de 8 % par rapport à 2020 et les dégradations de 7 %. « Des enquêtes judiciaires d’importance ont été couronnées de succès, en particulier à l’encontre d’un réseau criminel international spécialisé dans les vols de GPS agricoles ou des auteurs présumés de l’incendie d’un hangar agricole dans l’Ain », a tenu à souligner le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en février dernier. Néanmoins, le ministre a été enjoint par le tribunal administratif de « faire cesser les activités de prévention des actions de nature idéologique ». En clair, l’action de Demeter doit se limiter à la constatation et la prévention des infractions. De l’autre côté du spectre, à la FNSEA, on regrette la fermeture de gendarmeries qui se poursuit et le manque d’échange entre les forces de l’ordre et les professionnels. Présentée comme la « solution miracle » au problème d’insécurité dans les exploitations agricoles, Demeter apparaît aujourd’hui comme un coup d’épée dans l’eau même si avec du temps et des résultats durables, elle parviendra peut-être à ramener de la sérénité dans les exploitations agricoles.

Pierre Garcia

Les bons conseils à suivre

Certains agriculteurs font la triste expérience de voir leurs exploita­tions agricoles être prises pour cible. « Les intrusions et les vols de maté­riels agricoles, comme les GPS des trac­teurs ou encore le gasoil, sont les faits les plus courants », estime Jean-Édouard Leroy, juriste à la FNSEA. Mais les agri­culteurs sont aussi exposés aux vols d’outillages, de métaux, de véhicules ou encore d’animaux. « La difficulté de mise en sûreté réside dans le fait de protéger des installations situées sur de vastes territoires et dispersées géographique­ment », indique le site de la Gendarme­rie nationale. En effet, souvent isolées des habitations, les exploitations agri­coles sont plus vulnérables. Pour es­sayer de se prémunir au maximum des actes de délinquance, les agriculteurs sont encouragés à mettre en place des moyens de protection divers : alarmes avec détecteurs de présence, disposi­tifs d’éclairage, barrières ou portails à chaque entrée, serrures, présence de chiens, etc. « De plus en plus d’ex­ploitants prennent le réflexe d’installer des caméras de surveillance », ajoute Jean-Édouard Leroy.

Les vols de GPS de tracteurs sont devenus courants. ©Reussir

Renforcer les liens avec les forces de l’ordre

Des actions peuvent aussi permettre de dissuader les voleurs, comme varier ses horaires de passage dans les bâtiments ou les pâtures pour brouiller les habitudes, garder un oeil sur les passages et signaler les comportements suspects à la gendarmerie la plus proche, etc. « Il est important de renforcer les liens entre le monde agricole et les services de gendarmerie », prévient le juriste. Dans certains départements, la préfecture, le groupement de gendarmerie et la chambre d’agriculture ont mis en place des dispositifs d’alerte par SMS. Face à la recrudescence des actes de malveillance subis par les agriculteurs, ces initiatives permettent de recevoir des alertes en temps réel sur d’éventuels préjudices. Enfin, si malgré tous ces moyens mis en oeuvre, une infraction, quelle qu’elle soit, a tout de même lieu, il est recommandé de la signaler le plus vite possible à la brigade de gendarmerie la plus proche et de porter plainte afin de permettre aux enquêteurs de relever un maximum d ’éléments constituant les preuves.