Serge Papin : “ La pluriannualité des contrats changerait tout ”
Serge Papin a été nommé fin 2020 par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, comme médiateur pour l’atelier 5 des États généraux de l’alimentation (EGA). À quelques jours de la fin du round des négociations commerciales, il fait un point sur sa mission qui tente d’améliorer les relations commerciales. Un sujet sensible et délicat.

Où en êtes-vous de votre mission confiée par le ministre de l’Agriculture sur la répartition de la valeur ajoutée ? Quand devriez-vous remettre votre rapport final ?
Serge Papin : « J’ai été missionné par Julien Denormandie parce que les États généraux de l’alimentation sont quelque peu restés en jachère. Ma mission est de les faire vivre et de trouver des voies de réconciliation entre les acteurs de la chaîne alimentaire. La mission a d’ores et déjà auditionné un peu plus de 80 parties prenantes : entreprises privées, coopératives, fédérations, interprofessions, syndicats agricoles, élus, distributeurs, transformateurs, chambres d’agriculture… Bien entendu, je rendrai un rapport final dans les prochaines semaines, mais je ne cesse, au fil de cette mission, de proposer des recommandations au ministre de l’Agriculture. Parmi la dizaine que je lui ai faite, il en a retenu quelques-unes. »
Quelles sont-elles ? Pouvez-vous les résumer ?
S. P. : « Tout d’abord, il semble important de remettre à l’ordre du jour la contractualisation à partir des indicateurs de production. Bien qu’un contrat tripartite soit, me semble-t-il, une voie à suivre, le contrat double-partite, c’est-à-dire producteur-transformateur et transformateur-distributeur peut constituer une solution alternative. Ensuite, le ministre a aussi retenu la nécessité de mettre en place un outil de transparence sur la formation des prix. Après appel d’offres, cette mission a été confiée à un cabinet externe, Oliver Wyman. La recommandation la plus importante pour moi est la négociation pluriannuelle. »
Justement, la loi Sapin II prévoit cette possibilité. Ce n’est donc pas le volet juridique qui bloque. Que manque-t-il pour conclure ? Une volonté ?
S. P. : « Reconnaissons qu’aujourd’hui, tout est organisé pour que les prix baissent. Juste un exemple : les acheteurs obtiennent de substantiels bonus pour faire baisser les prix. C’est comme si un écologiste disait : « Il faut faire quelque chose pour protéger la planète » alors que lui-même roule en SUV. Avec les contrats pluriannuels, on donne de la visibilité à tous et on crée des mécaniques pour avoir des variables d’ajustement tout au long de la filière et pas uniquement sur le prix producteur. J’ai réalisé mon calcul : avec un kilo de viande bovine à 4,50 €/kg cour de ferme, le surcoût pour le consommateur est de
4 centimes pour un steak de 150 grammes. Une somme qui me semble aussi raisonnable qu’acceptable par le consommateur. Encore faut-il qu’il y ait une volonté de la part de certains acteurs pour sortir de cette logique mortifère qui fait du coût de production une variable d’ajustement. Si demain nous arrivons à cette pluriannualité, cela changerait tout ! »
Vous êtes responsable de l’atelier 5 sur la « construction du prix en marche avant ». Vos propositions ont été incluses dans la loi. Qu’est-ce qui fait que ça bloque aujourd’hui ?
S. P. : « Tout simplement que la loi n’est qu’incitative et pas du tout coercitive. Je ne crois pas d’ailleurs à l’obligation d’imposer quoi que ce soit aux entreprises. En France, nous sommes dans une économie de marché et c’est la liberté qui guide nos actions, même si la loi, aussi imparfaite soit-elle, vient fixer certaines limites. Je suis plutôt adepte du contractualisme, c’est-à-dire de la négociation, du dialogue et de la sérénité. Quand je regarde les négociations actuelles, je me rends compte que nous n’en sommes malheureusement pas à ce stade. À travers ma mission, je ne cherche pas de coupable. J’essaie de trouver des solutions pour sortir de cette spirale infernale qui fait que le prix payé au producteur est toujours la variable d’ajustement. Je regrette cependant que certains restent dans une négociation du prix à tout prix si l’on peut dire. On a parfois oublié les conséquences de cela. Chacun est resté arc-bouté sur cette position et sur la loi du plus fort. »
D’une manière plus globale, comment faut-il rémunérer la transition écologique aux agriculteurs ? À travers le prix ou bien par un contrat à part ?
S. P. : « Je pense qu’il faut un contrat à part. J’ai récemment échangé avec l’Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (Adepale) et je me suis entretenu avec les responsables de Bonduelle. Ils ont passé un contrat avec les agriculteurs qui s’engagent dans la décarbonation. Les légumes sont payés 5 % plus cher. Cette augmentation est aussi répercutée sur le consommateur qui paie 1,5 % plus cher. J’estime que ce système est équilibré et vertueux. Quand j’étais patron de Système U, j’avais adopté une démarche identique en finançant une partie du lait bio que l’on distribuait. En quelques mois, nous sommes passés de 400 à 1 200 producteurs. Cette stratégie a profité à tous. »
La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a récemment affirmé que « ce n’est pas aux agriculteurs de raboter leurs salaires pour maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs ». Qu’en pensez-vous ?
S. P. : « Je partage totalement cet avis. Les agriculteurs font des efforts au quotidien et ces efforts sont mal reconnus et mal récompensés et il est tout à fait normal, dans la logique d’inversion du prix voulue par la loi Egalim, que la construction du prix marche en avant soit prise en compte. »
Allez-vous étendre le principe de la transparence, qui semble fonctionner sur le secteur laitier à d’autres secteurs ?
S. P. : « Il faut tout d’abord réussir le “pilote” laitier et en tirer tous les enseignements avant de l’étendre à d’autres secteurs. Au bout du compte, il est indéniable que les prix à la consommation devront progresser. Il faut amener tout le monde à une lecture de la formation du prix sur la chaîne alimentaire. Cependant, je ne crois pas à la transparence totale, car chacun des acteurs opposera le secret des négociations. En revanche, je me prononce pour la clarté. Je crois que dans les négociations qui se déroulent en ce moment, c’est la dernière chance pour faire des choses utiles entre gens responsables. En cas d’échec, je pense que le gouvernement demandera au législateur d’intervenir. Ce n’est l’intérêt de personne. »
Propos recueillis par Christophe Soulard
PRIX DU LAIT / La FNPL monte au créneau
La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) a manifesté le 3 février au matin sur le marché de l’avenue du président Wilson à Paris (16e arr.) pour protester contre les négociations commerciales qui se déroulent actuellement sur la tarification des marques nationales. Huit éleveurs, accompagnés d’une vache ont déambulé dans les allées de ce marché et sont allés à la rencontre des consommateurs. « Actuellement, pendant ces négociations, des opérateurs parlent à la place des producteurs et chacun nous dit que l’année 2021 va être compliquée et qu’il faut faire attention au pouvoir d’achat des consommateurs », a indiqué Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente de la FNPL. Autrement dit, la FNPL s’attend au mieux à une stagnation des prix, au pire à une baisse, alors même que les prix de l’aliment du bétail ne cessent de croître. Jugeant cette équation inacceptable, les représentants de la FNPL ont demandé aux consommateurs parisiens si « un centime de plus sur le pot de yaourt ou 4 centimes de plus sur le litre de lait, ce qui correspond à 1,5 euro de plus par mois était insurmontable ». Nombreux sont les consommateurs à avoir témoigné leur soutien aux éleveurs et à témoigner face caméra de leur solidarité.
« Ces témoignages feront l’objet d’un clip qui sera prochainement diffusé sur les réseaux sociaux et sur le site de la FNPL », a précisé Marie-Thérèse Bonneau. D’autres actions syndicales de ce type devraient suivre partout en France « pour maintenir la pression auprès des opérateurs de l’aval, a-t-elle ajouté, car le compte n’y est pas. Les 12 centimes pour 1 000 litres que l’on a obtenus ne sont pas encore au niveau de notre coût de production ».