Domaine des Granges : le pari des cépages résistants
À La Roche-de-Glun, Daphné Martin, Pascal et Julien Guerby viennent de mettre en marché leurs premières bouteilles issues des cépages résistants au mildiou et à l’oïdium Floréal (blanc) et Artaban (rouge).

La Roche-de-Glun.©AD26-S.S.
Sur le panneau à l’entrée du Domaine des Granges, la mention « cépages résistants » figure en bonne place, telle une signature revendiquée par Daphné Martin, Pascal Guerby et son fils Julien. Fin avril, ils ont organisé une journée de découverte de leurs cuvées « Terres des Granges » : un rouge élaboré exclusivement à partir du cépage Artaban, un blanc en monocépage Floréal et un rosé 100 % Caladoc. Ainsi a été lancée la commercialisation de leurs 5 300 premières bouteilles issues des vendanges 2021 sur des vignes plantées en 2020.
Une petite révolution pour cette exploitation en EARL qui, depuis le 1er mai, ne compte plus un mais trois associés puisque Julien et Daphné, compagne de Pascal Guerby, l’ont officiellement rejoint à la tête du domaine. Leur arrivée a quelque peu bouleversé l’ordre des choses. Jusqu’à présent, Pascal, installé en 1992 (lire ci-dessous) et « coopérateur dans l’âme », ne travaillait qu’avec des coopératives : Coopenoix pour ses 15 ha de noyers, la cave de Clairmont pour ses 13 ha en Crozes-Hermitage. Rien ne devrait changer à l’avenir pour ces productions. Mais, s’ajoutent désormais deux hectares de jeunes plantations, essentiellement en cépages résistants Artaban et Floréal, issus des programmes de recherche de l’Inrae. Sans oublier le Caladoc, croisement entre le Grenache noir et le Malbec reconnu en 1958 par l’Inra, et une petite surface en Syrah. Le tout sera vinifié pour proposer, à terme, cinq cuvées monocépage, en catégorie « Vin de France », celle des vins sans indication géographique (VSIG).
Cuverie inox et petits contenants
« Julien et Daphné avaient l’envie d’amener le produit jusqu’au bout », commente Pascal Guerby qui, de son côté, s’intéressait depuis 2017 aux cépages résistants. « Nous avons réalisé de nombreuses visites de parcelles expérimentales et participé autant que possible aux dégustations de vins issus de ces cépages, que ce soit au Sitevi, avec l’Institut rhodanien ou encore la chambre d’agriculture de la Drôme », signale le vigneron. En prévision de l’installation de Julien (salarié du domaine depuis 2020) et de Daphné (en reconversion professionnelle, lire ci-dessous), une cave a été aménagée sur le domaine. « Nous avons profité du bâtiment qui abritait les anciens frigos de stockage des pêches. Ceux-ci nous permettent de gérer le froid durant la vinification. Nous avons investi dans une cuverie inox et travaillons en petits contenants », expliquent Pascal et Julien. L’hiver dernier, les associés ont également réaménagé un ancien hangar en espace d’accueil et de stockage. « Au total, nous avons investi 130 000 euros pour la cuverie, les plantations et l’aménagement de l’espace de dégustation. Nous nous sommes également équipés, pour 10 000 euros, de deux remorques élévatrices d’occasion avec vis sans fin. Elles nous dispensent de quai de réception et de pompe à vendange », précise Pascal Guerby.
« Un produit nouveau, à des prix accessibles »
À terme, le Domaine des Granges espère produire 15 à 20 000 bouteilles par an. La commercialisation aura lieu en priorité au domaine et sur les salons mais aussi dans le circuit CHR. « Nous voulons proposer un produit nouveau, à des prix accessibles », affirment les associés [ les trois cuvées mises en vente pour l’instant sont à moins de huit euros la bouteille, ndlr]. Seule contrainte : le prix des matières sèches. « Elles représentent environ 20 % du coût de la bouteille. Pour ce millésime 2021, nous n’avons pas été pris au dépourvu car nous avions commandé bouteilles, bouchons, étiquettes, collerettes, cartons avant l’automne. Mais la question se pose pour 2022. Nous serons peut-être obligés d’augmenter les tarifs de nos vins. »
L’invitation à découvrir leurs cuvées, le 23 avril dernier, a connu un grand succès. Près de deux- cents personnes ont poussé les portes du domaine et les retours sont très positifs. « Les gens étaient contents de découvrir des vins frais, fruités et structurés », commente Pascal Guerby. « Ils étaient aussi surpris, par rapport à la jeunesse des plants, que l’on puisse sortir ce type de vins », poursuit Julien. Objectif à présent : ajouter à la gamme deux nouveaux rouges, l’un exclusivement à base de Caladoc, l’autre de Syrah.
Sophie Sabot

« En 2021, un traitement unique contre le black-rot à la floraison »

Pour Pascal Guerby, la plantation d’Artaban et Floréal relève d’un challenge technique. Mais pas que... « Nous sommes attentifs à notre bilan carbone, au changement des attentes sociétales », poursuit-il. Aussi, il a très tôt mesuré l’intérêt que pouvaient représenter ces nouveaux cépages résistants au mildiou et à l’oïdium. « En 2021, ils n’ont nécessité qu’un seul traitement black-rot à la floraison », fait-il remarquer. Revers de la médaille : si des économies sont réalisées sur les traitements fongiques et le carburant, ces cépages sont 30 % plus chers à l’achat que des cépages classiques.
Ils devraient cependant, dès la troisième feuille, atteindre un rendement de 80 hl/ha. Les parcelles sur lesquelles ils ont été implantés bénéficient d’un réseau d’irrigation raccordé au Rhône, qui était en place pour les vergers. « En année très sèche, 40 à 50 mm d’eau au goutte à goutte devraient suffire d’après les essais réalisés sur les parcelles expérimentales à Piolenc (84), précise le viticulteur. Le choix des porte-greffes doit également être adapté au terroir et aux objectifs de rendement. Nous avons été conseillés par la chambre d’agriculture de la Drôme et notre pépiniériste sur ces questions. »
À noter, l’ensemble des parcelles du domaine (vignes + noyers) est conduit en agriculture de conservation des sols (ACS). Plus aucun travail du sol n’est réalisé sur les parcelles. « Toutes les vignes sont en enherbement naturel. Je gère l’herbe au moment des écimages avec un rouleau Faca derrière le tracteur, soit en général deux à trois passages par an », détaille Pascal Guerby. Sous le rang, il sort au maximum deux fois par an le pulvérisateur. « En ACS, les années très sèches, il y a bien sûr de la concurrence hydrique mais les résultats sur la vie du sol, sa portance, le taux de matière organique sont intéressants », résume-t-il.
S.S.
Le domaine des Granges au fil des années
Pascal Guerby s’est installé en 1992, en SCEA avec ses parents et son frère. L’exploitation comptait alors 50 ha sur deux sites (La Roche-de-Glun et Viviers en Ardèche). Avec 25 ha de pêchers , 10 de pommiers, 3 de cerisiers, des fraises sous serre… l’orientation était clairement arboricole avec tout de même 10 ha de vignes. Dès 2008, Pascal Guerby a souhaité amorcer une reconversion vers la noix. En 2016, avec son frère, ils décident de scinder l’exploitation en deux et Pascal conserve le site de La Roche-de-Glun, soit 15 ha de noyers et 13 de vignes en Crozes-Hermitage. Suite à la fermeture du GIE des Vergers de l’Hermitage fin 2017, il se lance avec d’autres producteurs dans la création de la cuma Rhône Herbasse pour le lavage et le séchage des noix commercialisées auprès de Coopenoix. « Lorsque mon fils Julien a souhaité revenir sur l’exploitation, nous avons commencé à réfléchir à une troisième production et à nous intéresser aux cépages résistants », poursuit-il. Sa compagne, Daphné Martin, rejoint également le projet. Professeure des écoles à Vinay (38), elle obtient en 2021 son BTS viti-oeno par correspondance. Depuis le 1er mai 2022, Julien et Daphné sont associés de l’EARL Domaine des Granges. Pour l’instant, Daphné poursuit son activité d’enseignement à mi-temps avec la perspective de s’impliquer pleinement sur l’exploitation dans les prochaines années.