Distingué par La Revue du vin de France, le domaine des Hautes glaces, dans le Trièves en Isère, est une ferme-distillerie de montagne qui sublime le goût de son terroir dans ses whiskies.
«La céréale est la plus grande des oubliées », constate Frédéric Revol, créateur du domaine des Hautes glaces, une ferme-distillerie pas comme les autres. Son idée : « Proposer au monde du whisky une approche qui aille de la terre au spiritueux ». Treize ans après sa création dans le Trièves (Isère), d’abord au col des Accarias puis à Cornillon, le fabricant de whisky voit son ardeur récompensée par La Revue du vin de France, dont le Grand prix le distingue en tant que spiritueux de l’année. Reniflant l’excellence, le groupe de spiritueux Rémy Cointreau ne s’y est pas trompé lorsqu’en 2017, il est devenu l’actionnaire de la petite distillerie. Avec des moyens décuplés, Frédéric Revol peut donner à son projet toute la dimension qu’il ambitionne.
La première distillerie bio au monde
C’est les pieds bien ancrés dans cette terre dont il a fait son terroir que le distillateur a façonné son breuvage, portant haut la matière première, lui attribuant la même noblesse qu’aux opérations de distillation ou d’élevage.
Frédéric Revol, agronome de formation, rend à sa terre d’accueil l’aura dont bénéficie aujourd’hui son whisky. Depuis les vieilles pierres de la ferme des Accarias où le whisky a été produit pendant douze ans jusqu’à la distillerie flambant neuve de Cornillon, il raconte une histoire qui est celle de la rencontre entre un homme, son projet et sa terre. « En 2008, les agriculteurs de la ferme Gabert m’ont prêté des parcelles pour faire mes premiers semis. » Ce pionnier du renouveau du whisky en France leur en sera toujours reconnaissant. Il s’installe à la ferme du col des Accarias en 2009 et fonde la première distillerie bio au monde. « Toutes les céréales sont produites ici et tout ce qui entre dans la composition du whisky vient des alentours », insiste-t-il. Même l’eau est puisée dans la source du domaine et le bois, qui chauffe les alambics, est issu des forêts du Trièves. Frédéric Revol a une idée précise du modèle qu’il entend développer : celui de la ferme-distillerie de montagne « fondée sur une agriculture biologique régénérative, sans chimie, avec une réflexion agroécologique du champ à la bouteille ». Mais surtout, une agriculture capable de développer de la valeur ajoutée en combinant bio, circuits courts, transformation sur place et sens du collectif.
Le goût et le plaisir
Le capital apporté par le groupe Rémy Cointreau, loin de l’éloigner de son modèle initial, lui donne les moyens d’atteindre plus rapidement ses objectifs en défendant ses valeurs. « Ce projet n’existerait pas si le groupe n’avait pas rejoint le domaine », insiste Frédéric Revol. L’investissement s’élève « entre cinq et sept millions d’euros » et consiste en l’achat du site du Prieuré à Cornillon-en-Trièves en 2019, la construction de la nouvelle distillerie en service depuis dix-huit mois, de nouveaux chais de stockage des alcools et des cellules de stockage des céréales. Par ailleurs, Frédéric Revol a désormais les moyens de déployer une station expérimentale pour la production de semences de ferme. « Nous développons des semences avec nos propres critères de sélection et de transformation, dont l’entrée est le goût et le plaisir », indique le maître distillateur. L’adaptation au changement climatique entre aussi en ligne de compte. La sélection s’opère avec les agriculteurs de l’association Graine des cimes (voir encadré). « Parcelle par parcelle, millésime par millésime, nous identifions les effets gustatifs de chaque climat », reprend Frédéric Revol. Les céréales sont stockées dans des mini-cellules d’où elles seront extraites en vue de procéder aux futurs assemblages.
La nouvelle distillerie est en service depuis 18 mois.
La fabrication du whisky
À l’arrière du Prieuré qui abrite les locaux administratifs et la salle de dégustation, la nouvelle distillerie, bien qu’imposante, s’intègre dans le paysage. Construite en bois des Alpes, recouverte de tuiles écailles, son architecture fait écho aux distilleries écossaises. Le cycle de la fabrication du whisky débute par le maltage, opération où la céréale germe au contact de l’eau, puis elle est séchée. Ce malt est broyé en farine, que l’on appelle le grist. Ce grist est ensuite mélangé à de l’eau chaude afin d’obtenir une infusion d’où sont extraits les sucres. Ce moût est alors mené en fermentation. La distillerie des Hautes glaces dispose de trois cuves en bois de fermentation, soit une capacité totale de 9 500 l. En transformant le sucre en alcool, les levures créent le goût du futur whisky. Au bout d’une semaine, le « wasch » obtenu, un sirop de céréales titrant à 6 ou 7 degrés, est conduit à la distillerie. C’est durant toute cette période que se créent les arômes. Le domaine des Hautes glaces dispose de cinq alambics aux formes variables qui permettent à la solution de grimper à 70 degrés d’alcool. La distillation est réalisée au feu de bois. « Je voulais utiliser des énergies locales et renouvelables », indique le distillateur. Après la première distillation, il ne restera plus que 700 l du contenu initial d’un alambic de 2 500 l. À la deuxième distillation, le volume résiduel est de 250 l d’eau-de-vie de céréale qui est ensuite vieillie en fût.
La noblesse du produit
Le nouveau chai en béton semi-enterré offre une température qui varie entre 5 et 18 °C « car l‘eau-de-vie aime la saisonnalité », explique Frédéric Revol. Les tonneaux sont en chêne, de fabrication française : vieux tonneaux de cognac ou d’armagnac, anciens fûts de vin jaune du Jura ou de vins de la vallée du Rhône et quelques fûts neufs. Le domaine dispose aussi de quelques amphores respirantes de forme ronde afin que la part des anges reste maîtrisée. Le domaine des Hautes glaces en est à sa douzième année de production, sachant qu’il faut au moins trois années pour élever un whisky. Mais le distillateur assemble les différents millésimes issus de différentes parcelles, qui ont entre 4 et 9 ans d’âge. Il obtient ainsi des expressions différentes qui font la marque des cuvées. « Je commercialise beaucoup moins que ce que nous produisons », explique le distillateur. La nouvelle distillerie met sur le marché environ douze-mille bouteilles par an pour une production annuelle de cinquante-mille litres d’alcool pur. Les produits sont distribués chez des cavistes et des restaurateurs, en direct au domaine ou sur Internet. Pour Frédéric Revol, la distinction de La Revue du vin de France « est une belle surprise. C’est une reconnaissance, notamment des pratiques agroécologiques et de notre logique de naturalité qui peuvent participer à l’excellence du goût. »
Il ajoute : « Le whisky n’est pas un produit culturel français, mais si La Revue du vin de France choisit comme meilleur spiritueux un whisky, cela dit quelque chose du changement culturel en France. Il y a de la noblesse dans ce produit ! » Les amateurs de whisky, eux, connaissent bien la route de montagne qui mène à cette distillerie devenue mythique en moins de dix ans.
Isabelle Doucet
Un lieu ouvert au public
Même si le Prieuré de Cornillon semble encore ici et là en chantier, le site est ouvert au public et pratique la vente directe. L’accueil du public est un axe de développement. Le domaine des Hautes glaces est d’ailleurs inscrit sur la route des savoir-faire du Trièves, qui permet de découvrir les fermes, les artisans, les artistes et les productions du terroir. Il a participé, les 7 et 8 mai 2022, à l’opération Prenez la clé des champs, organisée par le réseau Bienvenue à la Ferme des chambres d’agriculture.
Zoom sur Graines de cimes
« Nous sommes passés de la dimension de ferme-distillerie à une microfilière agroécologique de montagne », explique Frédéric Revol. En l’espace de quelques années, le domaine des Hautes glaces est devenu non seulement le collecteur des céréales produites dans le Trièves pour les besoins de la distillerie, mais surtout l’initiateur d’une nouvelle filière. Elle regroupe une vingtaine de producteurs en agriculture biologique au sein de l’association Graine des cimes, qui a introduit orge et seigle dans les rotations. L’intérêt est double : d’une part ces productions permettent de diversifier les assolements, et d’autre part, elles font l’objet de contrats à long terme « stables et rémunérateurs » avec la distillerie. « C’est aussi un lieu d’échange sur les pratiques agricoles et pour l’amélioration de la qualité », ajoute Frédéric Revol. La collecte s’établit à environ 400 tonnes par an : 60 % d’orge, 30 % de seigle et 10 % d’autres céréales (épeautre, blés anciens…). La distillerie dispose de ses propres silos en construction. L’emblavement représente environ 150 ha (dont 52 ha de SAU propres au domaine) et le rendement moyen s’établit à environ 26 q/ha. La fertilisation est assurée par la non-exportation des pailles et le retour au champ des drèches compostées.
I. D.