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Huiles essentielles : mobilisation politique pour protéger la filière lavande

La révision de deux règlements européens, visant à mieux protéger des produits toxiques la santé des consommateurs et l’environnement, fait craindre aux lavandiculteurs que la commercialisation des huiles essentielles en pâtisse. Ils appellent citoyens et politiques à défendre la spécificité de ces produits naturels qui ne peuvent être analysés comme des produits chimiques.

Huiles essentielles : mobilisation politique pour protéger la filière lavande
Aux côtés de Marie-Pierre Mouton, présidente du Département, et Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme, les élus de la Région, dont Brice Hortefeux (également député européen) et Jean-Pierre Taite, ont écouté avec grande attention les arguments d’Alain Aubanel et Philippe Soguel.

« Le savon à la lavande va-t-il être interdit ? Les huiles essentielles vont-elles devenir le mal absolu ? » parce qu’elle seraient étiquetées toxiques. Alain Aubanel, président de PPAM France, lavandiculteur à Chamaloc, n’hésite pas à pousser le bouchon après un long développement technique à l’adresse de conseillers régionaux, dont le vice-président Jean-Pierre Taite, et Brice Hortefeux également député européen. Ces élus avaient été invités par Marie-Pierre Mouton, présidente du Département de la Drôme et, et le président du syndicat des lavandiculteurs pour une récolte de lavande aux alentours de Dieulefit le 3 août.

La filière se sent en effet menacée par la révision des règlements Reach et CLP* - auxquels les huiles essentielles (HE) sont déjà soumises - qui découle de la « Stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques », un document d’orientation du Pacte vert qui prévoit de renforcer les réglementations européennes sur les produits chimiques afin d’éliminer les substances toxiques pour les consommateurs.

La proposition législative sur le CLP est prévue pour la fin 2021 et sur Reach fin 2022. « Il s’agit d’intégrer de manière plus explicite dans le règlement CLP une méthode de classification des substances complexes (comme les HE), pour certaines propriétés comme la cancérogénicité ou la dégradabilité » explique-t-on à la Commission.

Les lavandiculteurs engagent une action plus politique après avoir mené une campagne médiatique depuis quelques semaines. Ils veulent porter avec plus de force jusqu’à Paris et Bruxelles leurs arguments afin de préserver l’utilisation des HE dans la vie courante.

Sensibilisants cutanés

Alain Aubanel s’insurge : « Les huiles essentielles vont-elles devenir le mal absolu ? »

« La protection des consommateurs qui est l’objectif de la Commission européenne ne nous pose pas de problème. La question qui nous préoccupe aujourd’hui est la volonté de la Commission de soumettre les sensibilisants cutanées dans les mélanges destinés aux consommateurs à une procédure de restriction. Autrement dit, une substance entrée dans cette procédure, serait sur une “liste noire” et ceci l’empêcherait d’être formulée dans les produits à destination des consommateurs. Cela revient donc à l’interdire. Et nous savons tous que la majorité des huiles essentielles sont des sensibilisants cutanés », explique Phillipe Soguel, directeur de la distillerie Bleu Provence à Nyons. Aux côtés d’Alain Aubanel, il veut faire comprendre aux élus présents les enjeux des évolutions réglementaires en préparation à Bruxelles et qui menacent l’utilisation des HE dans les produits de grande consommation.

« Notre filière des plantes à parfums représente si peu face à l’industrie chimique que les fonctionnaires européens n’ont certainement pas pensé à la lavande, au thym, à la sauge en préparant leurs réglementations. Toutefois, nous allons être concernés et cette fois nous ne voulons pas réagir trop tard comme ce fut le cas avec l’élaboration du règlement Reach », rappelle le distillateur.

En 2013 déjà, des panneaux « lavande en danger » avaient fleuri dans les champs. Les producteurs s’étaient battus pour que les HE ne soient pas considérées comme des produits chimiques. Ils avaient alors bénéficié d’une approche spécifique, tout en répondant aux exigences de sécurité pour la santé humaine et de la protection de l’environnement. Mais ils ont dû appliquer Reach, les distilleries ont dû constituer leurs dossiers avec des coûts de plusieurs centaines de milliers d’euros. « Les derniers dossiers ont été déposés en 2018, nous avons fait le travail », indique Philippe Soguel.

Défendre la spécificité des produits naturels

Toutefois, depuis quinze ans les mêmes difficultés persistent car les huiles essentielles sont des substances naturelles complexes. « Les HE de lavande contiennent 600 molécules et elles ne se mélangent pas à l’eau ce qui complique grandement les études écotoxicologiques », répète à l’envi Alain Aubanel. La filière veut donc participer à l’élaboration d’une approche spécifique comme cela fut le cas voilà sept ans en organisant des tables rondes en concertation avec les autorités européennes et françaises.

Brice Hortefeux s’est montré convaincu : « Il faut distinguer le naturel des produits chimiques et vous devez trouver des partenaires ». Jean-Pierre Taite a renchéri et déclaré vouloir réunir les éléments techniques, qui seront transmis à Laurent Wauquiez ; le président de Région va saisir sans tarder le Premier ministre. « Nous devons aller vite et interpeller les ministères concernés. Nous demanderons également un rendez-vous au Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton. »

Les élus régionaux sont aussi tombés d’accord sur la nécessité de demander au gouvernement français la tenue d’un comité interministériel PPAM pour soutenir la filière devant cette nouvelle menace. Quant à Marie-Pierre Mouton, elle a appelé toute la filière et le monde politique « à faire cause commune et qu’un courrier devait partir du terrain depuis les départements concernés qui mettrait en exergue ce consensus touchant à la spécificité des produits naturels ».

Les consultations commencent

Philippe Soguel et Alain Aubanel

Les lavandiculteurs s’insurgent-ils trop tôt ou en vain ? Interrogé, le service presse de la Commission veut temporiser les risques de la procédure actuelle : « Pour ce qui est des classes de danger additionnelles envisagées (comme les perturbateurs endocriniens ainsi que les substances persistantes, bioaccumulables et toxiques), les huiles essentielles pourraient être classées dans ces nouvelles catégories si elles satisfont aux nouveaux critères de classification. Toutefois, en tout état de cause, cela ne signifiera pas une interdiction des huiles essentielles ». Il faut retenir que la Commission consulte les parties prenantes depuis le 10 août sur des aspects plus détaillés et pratiques des modifications envisagées pour le CLP. Les propositions législatives devront ensuite être adoptées par le Parlement européen et le Conseil (les 27 Etats).

La révision de ces règlements induira des surcoûts pour des analyses concernant les nouvelles classes de danger et le réétiquettage (CLP). Et pour Reach, les producteurs de substances entre une et dix tonnes par an (50 % des distilleries françaises) devront élaborer une évaluation renforcée des risques vis-à-vis de l’homme et de l’environnement. Ils y échappaient jusqu’alors.

Louisette Gouverne

* Reach est un règlement de l'Union européenne adopté en 2006 pour mieux protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques, tout en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique de l'UE. Il concerne les produits chimiques - 20 000 substances enregistrées en 2018 - qui interfèrent dans notre quotidien. Reach fait reposer la charge de la preuve sur les entreprises, qui doivent démontrer comment les substances qu’elles produisent et commercialisent peuvent être utilisées en toute sécurité.

Reach est complété par le règlement CLP adopté en 2008, qui impose aux entreprises de classer, d’emballer et d’étiqueter les substances chimiques dangereuses de manière appropriée avant leur mise sur le marché.

Une filière capitale pour certains espaces ruraux 

La récolte a eu lieu sur une parcelle appartenant à Claire Chastang avec la dernière génération de machine, l'espieur.

Dans les montagnes sèches de la Drôme, des Alpes-de-Haute-Provence et du Vaucluse la culture de la lavande est essentielle, là où d’autres productions seraient difficiles à développer. Elle contribue au développement de diverses activités économiques et à l'attractivité touristique. En France, les plantes à parfum couvrent 32 000 ha, pour l’essentiel de la lavande et du lavandin. Les espèces lavandicoles produites sur 1 500 exploitations représentent plus de 90 % des surfaces et réalisent 76 % du chiffre d’affaire d’affaires de la filière. Sur les 2 000 agriculteurs regroupés au sein de PPAM de France, 120 sont de Drôme et d'Ardèche.

La France assure 90 % de la production mondiale d’huile essentielle (HE) de lavandin et assure près de 33 % de la production mondiale d’HE de lavande, qui a plus que doublé entre 2014 et 2018 (63 à 138 tonnes). Sur la même période, la production d’HE de lavandin a augmenté de près de 20 %. Selon la filière, le secteur « lavande et lavandin » génère plus de 9 000 emplois directs et plus de 17 000 emplois indirects issus de l’activité touristique et la production de miel. Le marché mondial des HE était estimé entre 6 et 7 Mrd € en 2018 avec des prévisions à l’augmentation sur les prochaines années. Le chiffre d’affaires français des HE est estimé à 2,5 milliards d’euros. Les huiles essentielles trouvent des débouchés dans des secteurs variés : arômes pour l’industrie agroalimentaire (34 %), parfums et actifs pour les cosmétiques et l’aromathérapie (29 %), parfums pour les détergents et lessives (17 %), substances actives pharmaceutiques (16 %), mais aussi comme biocides ou produits phytosanitaires.

Une campagne médiatique « sauvons le naturel »

Depuis juillet, les lavandiculteurs ont décidé d’agir sur les réseaux sociaux. Consultez par exemple : https://www.facebook.com/SauvonsLeNaturel. Ils ont lancé une pétition citoyenne : www.change.org/sauvonslenaturel. Et pour les informations sur la filière, se référer au site : https://www.ppamdefrance.com

La députée C. de Lavergne aux côtés des producteurs

Célia de Lavergne a rencontré les producteurs et distillateurs de lavande ,le 30 juillet à la ferme De Giorgio aux Prés. Après avoir écouté les inquiétudes des professionnels du secteur, l’élue drômoise a déclaré : « Je m’engage, comme je le fais systématiquement, à relayer vos craintes au niveau national et à permettre aux producteurs d’être entendus par le ministère de l’Agriculture ».