Maison Boutarin : le subtil mélange de l’ail blanc et de l’ail noir
Exploitant agricole depuis 2001 sur la commune de Crest, Stéphane Boutarin est réputé pour la culture de l’ail blanc IGP de la Drôme. A partir de cette matière première, son épouse, Fanny, a misé il y a cinq ans sur la transformation en ail noir. Un pari réussi.

Une histoire de famille. Installé sur la ferme familiale, construite dans les années 1860 quartier Peyrambert à Crest, Stéphane Boutarin n’était pourtant pas prédestiné à reprendre l’activité agricole. Même s’il a baigné dedans depuis tout petit - Stéphane est la quatrième génération d’agriculteur -, il rêvait de devenir serveur pour être au contact des gens. Par la force des choses, après un drame familial, il rejoint finalement son père sur l’exploitation. « Il avait une entreprise de travaux agricoles et quelques cultures semencières. Il a commencé l’ail de consommation dans les années 1990, au moment où la mécanisation de l’ail s’est mise en place avec le développement de matériel de plantation et de récolte », explique-t-il. A cette époque, les premiers groupements d’intérêts économiques (GIE) voient le jour pour essayer de structurer la filière ail, jusqu’à la constitution du GIE L’Ail Drômois en 1995.
Une diversification souhaitée
Stéphane Boutarin s’est finalement installé en tant qu’exploitant agricole en 2001, après avoir passé un BEP mécanique agricole et un BPREA. Il cultive aujourd’hui 72 hectares sur Crest, Chabrillan et Aouste-sur-Sye, dont une grande partie bénéficie de l’irrigation. Ses cultures se répartissent comme telles : ail (10 ha), tournesol semence (6 ha), maïs semence (8 ha, dont 4 de maïs doux), blé (21 ha, dont 4 de blé dur), orge (3 ha), luzerne (3 ha), sainfoin (3 ha), sorgho (8,5 ha), féverole (6,5 ha) et prairies (3 ha). « Nous essayons de nous diversifier, tout en limitant les variétés d’été (maïs et tournesol), très demandeuses en eau. La ressource en eau étant de plus en plus limitée, il est important d’anticiper les cultures… même si nous avons toujours l’espoir de voir arriver la création de retenues collinaires avec la rivière Drôme. Aujourd’hui, le seul blocage à ce type de projet est le manque de foncier », regrette Stéphane Boutarin.
De la fourche à la fourchette
S’il a un panel de cultures très diversifiées, Stéphane Boutarin a tout de même fait de l’ail sa madeleine de Proust. Il cumule d’ailleurs les fonctions pour défendre ce produit si caractéristique de la Drôme : « Je suis président de l’association des producteurs d’ail de la Drôme (Apad), vice-président de l’association nationale interprofessionnelle de l’ail et secrétaire et membre du conseil d’administration du GIE L’Ail Drômois, mais aussi vice-président du nouveau Comité stratégique légumes régional ». Le territoire du Crestois déploie ainsi beaucoup d’énergie pour continuer de faire grandir la filière ail.
Un défi auquel répond également présente Fanny, son épouse, dont le seul lien qu’elle avait avec l’ail jusqu’alors est celui qu’elle ramassait chaque été durant son enfance sur l’exploitation de son oncle. Au cours de ses seize ans passées à la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Valence, elle découvre non seulement le monde de l’entreprise mais aussi l’univers des financements et des fonds européens, dans lequel elle accompagne les sociétés dans leurs projets d’innovations. « En parallèle, j’avais le désir de dynamiser l’ail IGP de la Drôme, d’élargir la palette de l’ail, et de trouver des solutions pour faire aimer ce condiment au plus grand nombre », explique-t-elle.
L’ail noir, un produit gastronomique
Le déclic a lieu en 2016, à la suite d’un voyage sur l’île de Whight, en Angleterre, « un festival où l’on célèbre l’ail ». Le couple découvre alors l’ail noir. « Ce fut une révélation. Cela avait du sens pour moi qui souhaitait rester sur le volet innovation », déclare Fanny Boutarin. Dès 2017, elle réussit à rentrer dans l’incubateur de l’Isara de Lyon pour faire des essais et tester différents procédés (cuisson, séchage, soins, etc.). « Dans le même temps, j’ai réalisé une étude de marché qui m’a montré qu’il y avait une vraie attente », ajoute-t-elle.
Après s’être dotée non sans mal de machines japonaises à la pointe de la technologie (400 000 € d’investissement, ndlr), elle confectionne 3,5 tonnes d’ail noir par an, pour un objectif de 6 tonnes afin de répondre à une demande toujours croissante. Pour ce faire, elle dispose de deux fours permettant d’abriter 300 kg d’ail chacun. « On réalise des cuissons basse température (65 °C), sans ajout d’humidité, durant trente jours. La montée en température de l’ail blanc permet aux sucres naturels de caraméliser », dévoile-t-elle.
Une demande croissante des chefs restaurateurs
Ensuite, l’ail noir est affiné durant 15 à 30 jours à température ambiante. « Aujourd’hui, nous sommes trois dans la Drôme et quinze en France à proposer de l’ail noir, selon nos process », réagit Fanny Boutarin. Si elle répond aux demandes de grands restaurants et de chefs renommés, elle commercialise également son ail noir Maison Boutarin (marque déposée, ndlr)s auprès d’épiceries fines, de magasins spécialisés bio ou auprès de l’industrie agroalimentaire, en France ou dans les pays francophones (Suisse, Allemagne, Belgique). « Nous nous préparons aussi au marché canadien et américain, pays où la gastronomie française existe », prévient-elle. Les prix varient entre 80 et 120 € le kilo. Pour aller plus loin, Fanny Boutarin a d’autres idées en tête, avec notamment le développement de l’échalote noire. « Mon idée est de faire davantage de production en « noir » pour répondre aux attentes des chefs restaurateurs », conclut-elle.
Amandine Priolet
Campagne ail 2022 «Un rendement en baisse »
Questionné sur la campagne ail 2022, Stéphane Boutarin, avec sa casquette de secrétaire du GIE L’Ail Drômois, annonce un rendement plus faible que l’année précédente dû aux conditions météorologiques avec moins d’eau et plus de chaleur, à l’image de 2003. « Nous estimons un rendement en baisse d’environ 20 % en moyenne sur l’ensemble de l’ail, consommation et semences, violet et blanc », indique-t-il. Et de rappeler : « Nous avons connu des rendements très importants durant deux ou trois ans. Cela rappelle qu’il y a des années exceptionnelles, d’autres plus difficiles, et que la culture de l’ail n’a rien de linéaire ».
Au niveau de la commercialisation, quelques doutes apparaissent. « L’an passé, nous avons eu quelques soucis de conservation. Le négoce est donc plutôt en attente aujourd’hui… Mais aujourd’hui, la demande est quand même au rendez-vous. Les tarifs sont cohérents, avec un marché à 3,80 euros, similaire à celui de l’année dernière », conclut-il.
A.P.
L’ail blanc IGP de la Drôme est placé dans un four à 65°C pendant près de 30 jours, pour obtenir un ail noir de qualité, avec une texture fondante et légèrement caramélisée.
L’ail, en quelques chiffres
En France :
Production : 18 000 tonnes (t) d’ail conso par an (dont 55 % blanc).
2 600 ha consommation et 470 ha semences.
3 500 agriculteurs.
5 labels de qualité (IGP ail blanc de la Drôme, Label rouge et IGP ail rose de Lautrec, IGP ail blanc de Lomagne, IGP ail fumé d’Arleux, AOC ail violet de Cadours).
Consommation : 40 000 t (45 % France, 55 % importation).
En Drôme :
Production : 9 000 t (conso et semences), dont 2 970 t pour les adhérents au GIE L’Ail Drômois.
850 ha, dont 430 ha d’ail semence et 320 ha de consommation.
120 agriculteurs (dont 84 rattachés au GIE L’Ail Drômois).
IGP Ail de la Drôme :
22 producteurs (dont 6 en agriculture biologique).
103 ha déclarés IGP en 2022.
209 t commercialisées IGP en 2021.