APICULTURE
Un pot de miel français à l’accent asiatique

Ultime épisode de notre série de l’automne sur l’origine de produits alimentaires emblématiques avec, cette semaine, le pot de miel. Jouissant d’une image positive, le pot de miel vendu en France se révèle très exotique pour la cire et le matériel de fabrication.

Un pot de miel français à l’accent asiatique
©Michel Coillard

Nul besoin de faire durer le suspense, la sentence assénée par FranceAgriMer est implacable : « La production française de miel ne permet pas de couvrir la consommation nationale. » Avec une production qui oscille entre 15 000 et 25 000 tonnes selon les années, il est en effet impossible de répondre à une demande nationale évaluée à 45 000 tonnes. « Jusqu’à la fin des années 1990, il nous arrivait de dépasser les 30 000 tonnes », rappelle Henri Clément, secrétaire général et porte-parole du syndicat apicole Unaf. La généralisation de certains produits phytosanitaires, la diminution de la sole de tournesol et des changements de variétés sont les principaux facteurs évoqués par les observateurs pour expliquer cette baisse de la production française. Toujours selon les données de FranceAgriMer, la France se tourne désormais vers l’Ukraine (18 % des importations en 2018), l’Espagne (17 %), la Chine (10 %) ou encore l’Allemagne (10 %). Mais rien ne garantit cependant que le miel soit effectivement produit dans ces pays, prévient l’office national. 
« Le miel peut, dans certains cas, être conditionné ou réexporté depuis le pays de provenance », ajoutent-ils. 
En 2017, la répression des fraudes a ainsi identifié 43 % de miels non conformes pour l’étiquetage dans 317 établissements français. La DGCCRF avait notamment engagé une procédure contentieuse suite à la découverte d’une francisation de plusieurs centaines, voire milliers de tonnes de miels espagnols et chinois par des intermédiaires actifs en France et en Espagne. Des producteurs français avaient aussi été épinglés : l’un pour des adultérations de miel au glucose, l’autre pour avoir vendu sur un marché un miel italien sous l’étiquette « miel de France ».

Pour produire son miel, Michel Coillard utilise principalement des abeilles Carnica, particulièrement dociles. © Michel Coillard

Cheptel français

« Depuis la fin des années 1980 et l’arrivée du varroa, acariens parasites de l’abeille, nous avons beaucoup de pertes de ruches, ce qui force les apiculteurs à renouveler leurs essaims », explique Philippe Gaudet, chargé de missions à l’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage apicole (Anercea). Dans la majorité des cas cependant, « les essaims viennent de l’apiculteur lui-même », précise Philippe Gaudet. Pour améliorer la génétique de leur cheptel ou augmenter sa taille, il arrive tout de même aux apiculteurs de se tourner vers des producteurs d’essaims ou de reines. « Aujourd’hui, la race la plus commercialisée est la Buckfast », précise Philippe Gaudet. D’autres races sont régulièrement utilisées comme la Ligustica, originaire d’Italie, la Carnica, venue du centre de l’Europe, ou encore l’abeille noire locale de France. Si les racines des abeilles sont étrangères, leur élevage demeure cependant en majorité français grâce au travail de plusieurs centaines de producteurs en France. Selon FranceAgriMer, 15 % des apiculteurs possédant plus de cinquante ruches, soit environ 4 200 producteurs, commercialisent des essaims en complément de la vente de miel. Certains de leurs collègues décident malgré tout de se tourner vers des essaims espagnols ou italiens, moins onéreux et plus précoces.

Dépendance envers la Chine pour la cire

Le miel contient environ 1,5 % en volume de cire. Chaque année, 200 à 400 tonnes de cire sont produites en France, en fonction de la récolte totale de miel. Pour couvrir leurs besoins, les apiculteurs sont cependant forcés d’acheter 300 à 500 tonnes supplémentaires de cire à l’étranger. Les données des douanes françaises de 2015, citées dans la thèse de la vétérinaire Agnès Schryve, montrent que la Chine est aujourd’hui le principal fournisseur de la France avec 34 lots sur les 38 envois de cire contrôlés au niveau des postes d’inspection frontaliers. Là encore, les cas de fraudes sont nombreux. Dernier cas en date : les dirigeants de la société Thomas ont été condamnés à plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende en février 2020 pour avoir vendu des cires contenant de la stéarine. « Pour la cire, les adultérants les plus fréquents sont la paraffine et la stéarine, et la seconde limite le développement du couvain », rappelle Cyril Videau, écotoxicologue et responsable des études sur la cire à l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (Itsap). Ce phénomène est en grande partie lié au caractère déficitaire du marché, en raison de la compétition entre acheteurs. Car, comme le rappelle Thomas Mis, responsable cire au sein de la société Remuaux Apiculture, « seuls 15 % du marché international de la cire sont consommés par les apiculteurs. Le reste est détenu par les grandes industries cosmétiques, pharmaceutiques et alimentaires ». La compétition est particulièrement intense sur les cires d’Ethiopie ou de Cuba, prisées pour leur pureté liée à un usage limité de produits phytosanitaires.

Petit matériel asiatique, gros matériel européen

« Tout le matériel d’apiculture, il faut être clair, est majoritairement d’origine étrangère », résume rapidement Bertrand Freslon, président du Syndicat national des fabricants et grossistes en matériel apicole. Seul un tiers des ruches utilisées par les apiculteurs français sont en effet construites en France par une dizaine de fabricants. 
Le reste provient en majorité d’autres pays européens comme la Bulgarie ou la Roumanie. En matière de petit matériel, des combinaisons protégeant les apiculteurs aux brosses utilisées pour débarrasser les cadres de leurs abeilles en passant par les lève-cadres nécessaires pour manipuler les ruches, « nous nous fournissons en Asie pour ne pas dire en Chine », explique Bertrand Freslon. L’Hexagone, souligne-t-il, ne compte ainsi plus qu’un seul fabricant d’enfumoirs, l’entreprise Besacier, également conditionneur et producteur de miel. Pour le matériel plus lourd utilisé pour extraire le miel des cadres, pouvant aller d’extracteurs simples à des chaînes d’extraction, « l’origine européenne domine », ajoute-t-il. Le marché se partage entre les entreprises italiennes Lega et Quarti, la société bulgare Logar, l’allemande Fritz mais également l’entreprise française Thomas.

Michel Coillard construit lui-même avec du bois une partie de ses ruches. © Michel Coillard

Conditionnement français

Les trois quarts du miel français sont vendus en circuit court. Pour autant, les grandes et moyennes surfaces conservent l’avantage sur l’ensemble du marché avec près de 55 % des volumes totaux vendus. Les conditionneurs jouent régulièrement les intermédiaires entre les producteurs et les distributeurs en mettant en pot la production dans leurs usines. « Pour la filtration et les étuves, j’opte pour de la fabrication française », témoigne David Besacier, dirigeant d’une entreprise de conditionnement spécialisée sur le bio et président du Syndicat Français du Miel (SFM), représentant les conditionneurs. Les machines pour nettoyer les pots et verser le miel sont en revanche d’origine européenne, précise-t-il, sans pouvoir se prononcer sur les marques utilisées par ses collègues. Chez David Besacier comme chez Icko apiculteur, l’un des plus grands vendeurs de matériel, les pots viennent de France. Pour les pots en verre, O-I et Verallia sont les acteurs incontournables dans la filière. Pour les pots en plastique, David Besacier se tourne vers Nicotplast, un fabricant jurassien. « Pour tout ce qui est étiquette et carton, l’origine est aussi française », résume David Besacier. 

Michel Coillard : “ Tout mon cheptel est produit sur l’exploitation ”
Michel Coillard est à la tête du Rucher des nymphes depuis 1996. ©Michel Coillard

Michel Coillard : “ Tout mon cheptel est produit sur l’exploitation ”


Ancien du secteur de la métallurgie, Michel Coillard a concrétisé en 1996 son désir de devenir apiculteur en créant le Rucher des Nymphes. Basée à Domsure (Ain), cette exploitation d’environ 300 ruches produit chaque année 12 à 13 tonnes de miel. Une production que Michel Coillard commercialise soit en vente directe sur son exploitation ou au marché, soit par le biais d’un réseau d’épiceries et de commerçants locaux. La démarche locale, c’est justement le sens de son travail au quotidien. A commencer par son cheptel d’abeilles. « Tout mon cheptel est produit sur l’exploitation. Au départ, j’ai dû faire rentrer un peu de génétique mais aujourd’hui je n’en ai plus besoin. Je travaille essentiellement sur de la Carnica qui est une abeille très douce, docile et qui pique peu. Elle est aussi très résistante au varroa, un acarien parasite qui représente la principale menace pour nos ruches », explique-t-il. Pour ce qui est de la cire, l’apiculteur a fait depuis longtemps le choix de l’auto-consommation. Il produit lui-même de la cire qu’il amène chez un cirier pour obtenir des feuilles de cire gaufrées. « Pour produire 1 kg de cire, les abeilles consomment jusqu’à 10 kg de miel », raconte-t-il. Une démarche responsable qu’il pousse jusqu’à la fabrication d’une partie de ses ruches, en bois. Les autres, en plastique, sont fabriquées par une entreprise basée dans le Jura voisin. « La quasi-totalité de mon matériel vient de la Coopérative apicole du Jura dont le siège social est situé à Lons-le-Saunier, à 40 km de mon exploitation. Donc pourquoi aller chercher ailleurs ? Bien sûr, une partie du matériel peut être importée mais j’essaye au moins de m’approvisionner chez des fournisseurs locaux », explique Michel Coillard.
Pierre Garcia