Femmes en agriculture
Agricultrices en Drôme :  un art de vivre 

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la section “agricultrice“ de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de la Drôme a souhaité mettre en lumière des agricultrices du département, engagées au quotidien pour faire évoluer la représentation de leur métier au féminin. 

Agricultrices en Drôme :  un art de vivre 
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En 2017, Marie-Pierre Monier, sénatrice SER de la Drôme, était venue à la rencontre des agricultrices du département à l’occasion de la publication du rapport d’information « Femmes et Agriculture : pour l’égalité des territoires ». 
Ce rapport analyse la situation des agricultrices dans sa globalité à travers toutes les étapes de leur parcours professionnel. Il témoigne également des difficultés spécifiques que pose l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle pour une femme. 
Deux sujets liés à la maternité étaient ressortis de ces travaux, comme la difficulté de se faire remplacer mais aussi le risque, en cas d’exposition aux produits phytosanitaires ou autres maladies affectant les animaux au moment de la grossesse.
Pourtant de plus en plus de femmes sont séduites par le monde agricole et franchissent le pas de l’installation pour devenir cheffes d’exploitation.
Un état des lieux de la population féminine drômoise en agriculture, réalisé à l’occasion de ce rapport, mérite d’être rappelé aujourd’hui (données 2016) :
- 1 243 femmes cheffes d’exploitation agricole, soit près d’un quart des chefs d’exploitation drômois, dont 236 en viticulture, 223 en cultures céréalières et industrielles, « grandes cultures », 156 en élevages ovins et caprins, entre autres.
Elles sont également très présentes à la tête des élevages de chevaux (54 %), en cultures spécialisées (34 %), en arboriculture fruitière (19 %), en pépinière (19 %), en bovins viande (18 %), en bovins lait (14 %)...
D’une façon générale, les agricultrices sont bien implantées dans le paysage drômois. Le métier attire les femmes et chacune de ces chefs d’exploitations aspire à y trouver sa place en toute légitimité. 

Un long parcours pour la reconnaissance 

Grâce à leur détermination, les agricultrices, femmes invisibles d’autrefois, sont devenues de réelles chefs d’entreprise aujourd’hui. Voici un retour sur les acquis des femmes dans l’agriculture :
- 1933 : création de la branche féminine de la jeunesse agricole catholique (JAC).
- 1944 : droit de votes des femmes.
- 1961 : la commission féminine obtient une représentation statuaire dans les instances de décisions de la FNSEA et des FDSEA.
- 1968 : début de la participation de la commission féminine de la FNSEA à la Copa.
- 1976 : obtention du congé maternité pour les agricultrices : allocation permettant de se faire remplacer sur l’exploitation.
- 1977 : mise en place de stages de formation « 200 heures » pour les femmes agricultrices.
- 1980 : la conjointe du chef d’exploitation obtient des droits dans la gestion de l’exploitation.
- 1982 : obtention du statut de chef d’exploitation au même titre que leur mari.
- 1985 : création des EARL qui offrent la possibilité aux époux de constituer une société. La femme dispose des mêmes droits que son mari.
- 1986 : allongement de la période de remplacement pour le congé maternité (8 semaines).
- 1999 : la loi d’orientation agricole crée le statut social du conjoint collaborateur qui ouvre un droit à la retraite pour la femme.
- 2009 : suppression de la qualité de conjoint participant aux travaux et obligation de choix de statut.
- 2010 : possibilité de constituer un Gaec entre époux seuls.
- 2015 : application du principe de transparence aux Gaec.
- 2017 : une femme, Christiane Lambert est élue à la présidence de la FNSEA.
« Grâce aux soutiens des personnes du monde agricole tout autant masculines que féminines, les agricultrices drômoises ont participé aux transformations des pratiques et aux projets de transition. Elles sont vectrices de lien social qui est fondamental dans le monde rural », rappelle Claudine Chirouze, présidente de la section “agricultrices “de la FDSEA 26. 

Devenir agricultrice : un choix, une liberté

Léa Lauzier, 32 ans, est productrice de plantes aromatiques à Châteauneuf-du-Rhône. Elle est aussi présidente des Jeunes Agriculteurs de la Drôme. Ses études agricoles en poche, elle débute en tant qu’assistante comptable avec le projet de reprendre l’exploitation de son père dès que celui-ci aura atteint l’âge de la retraite. Elle craque finalement avant et plaque son travail pour créer sa pépinière en 2016 et devenir cheffe d’exploitation. Léa a toujours voulu être agricultrice. « Quand j’avais 4 ans, je rentrais de l’école et j’allais avec mon père sur le tracteur pour labourer », se souvient la jeune femme. Elle ne se voyait pas faire autre chose.
En tant que femme, elle confie rencontrer certains freins. Considérée comme « une gamine », elle a l’impression de ne pas toujours être prise au sérieux dans le milieu agricole. Au début, certains ne comprenaient pas son choix de s’installer en tant que cheffe d’exploitation alors qu’elle aurait pu travailler avec son père. Léa a voulu prendre son indépendance et créer « sa pépinière ». Elle reconnaît cependant qu’en tant que femme, elle rencontre aussi des freins physiques dans l’exercice de son métier. « On n’est pas l’égal de l’homme physiquement et tous les outils sont faits pour des hommes. Mon père charge un camion de sacs de 50kg d’amandes en 8 aller-retours, moi je le ferai en 16 », plaisante-t-elle. Alors il faut s’organiser différement, réfléchir en amont mais cela représente un moteur pour Léa. « En plus de faire un métier difficile tu rajoutes le fait d’être une femme, mais après quand tu réussis, tu as une entière satisfaction ! » Elle aimerait tout de même que les constructeurs revoient leurs outils pour qu’ils soient plus accessibles aux agricultrices qui travaillent seules. 
Du haut de ses 32 ans, elle explique que la vision du métier d’agriculteur a changé. « J’ai choisi de m’installer mais je ne veux pas faire 100 heures par semaine. Aujourd’hui, on pense son travail de façon à se dégager du temps pour soi. On compte les heures et surtout on les comptabilise pour les valoriser derrière ». Léa parvient à organiser son temps de travail en fonction des périodes charnières pour son exploitation. « En tant que pépiniériste, si j’ai envie de partir un mois en décembre je peux », résume-t-elle.
Elle estime que la femme a totalement sa place en tant que cheffe d’exploitation. « Autrefois, l’agricultrice avait tout le packaging du métier, sauf le nom, regrette-t-elle. Aujourd’hui les femmes ont la liberté. Les femmes du 21e siècle ont assez de gueule pour faire ce qu’elles veulent ! » 

Fières de leur métier

Corinne Deygas, 53 ans, et sa belle fille Soline, 32 ans, sont céréalières, arboricultrices et avicultrices à Saint-Barthélemy-de-Vals. Elles sont toutes les deux devenues agricultrices en rencontrant leurs conjoints. Corinne exerce son métier depuis plus de trente ans et Soline depuis huit ans. Elles sont fières d’être agricultrices : « On fait un beau métier, on nourrit les gens ».
Corinne, en plus d’être agricultrice, est engagée en tant que responsable professionnelle. « Cela demande une grosse organisation, tenir mon agenda à jour est vital », assure-t-elle. Elle jongle avec les réunions mais elle connaît parfaitement ses priorités. « L’urgence c’est l’animal. A l’arrivée de mes poussins, je veux être là donc parfois je dois dire non aux sollicitations extérieures parce que j’ai “poussin“ ». Elle ajoute que l’entraide familiale est indispensable. « Travailler en famille est très agréable, je peux compter sur Soline », insiste-t-elle.
Soline aussi aime son métier. Après l’élevage, ce qu’elle adore c’est livrer les céréales au silo au volant du tracteur. Il est encore rare de voir une femme le faire. « Quand Soline arrive avec son gros tracteur, ça en surprend plus d’un ! Il faut être capable de conduire cet engin », souligne sa belle-mère. Les représentations des femmes en agriculture ont évolué, mais elles ressentent parfois encore une conception de l’agriculture où « c’est monsieur qui est agriculteur mais pas madame ». Soline raconte qu’elle reçoit de temps à autre des courriers intitulés « Monsieur Soline Deygas ». Pour Corinne, « il faudrait évoluer définitivement là-dessus. Les représentants du monde agricole, ça peut être nous aussi les femmes. Nous avons le droit à notre juste reconnaissance. Nous sommes complémentaires. »
Comme les hommes, elles exercent un métier prenant. Prendre des vacances est compliqué. « On n’est jamais sereine, c’est stressant, c’est de la vie, c’est des animaux, on est responsable. En tant que femme, on a cette sensibilité, une sorte d’instinct maternel avec notre élevage », racontent les deux agricultrices.  Elles estiment qu’il est encore difficile de trouver des solutions de remplacement en élevages, surtout quand ils sont spécialisés, que ce soit pour prendre des vacances ou pour un congé maternité. « L’élevage c’est très technique, il faut maîtriser », justifient-elles. Pour autant, elles ne changeraient pas de métier. « J’aime me lever le matin et vérifier que toutes mes pintades vont bien, mes bavardes ! raconte Soline. J’aime mon métier, c’est naturel pour moi. »