SANITAIRE
La vaccination contre l’influenza aviaire est une urgence pour la filière

Lors d’une journée technique « poules et poulettes », organisée par l’Institut technique de l’aviculture (Itavi) à Valence le 23 mars, la crise de l’influenza aviaire a largement alimenté les échanges. La vigilance reste de mise face à cette panzootie qui frappe également l’avifaune sauvage. Les éleveurs attendent la mise en place de la vaccination. Elle s’ajoutera aux mesures de biosécurité à l’automne, mais seulement pour les canards.

La vaccination contre l’influenza aviaire est une urgence pour la filière
Le niveau de risque élevé vis-à-vis de l’influenza aviaire instauré depuis le 11 novembre 2022 reste en vigueur. © CNPO

L’augmentation en France du nombre de foyers d’influenza aviaire hautement pathogène H5N1 tend à ralentir, avec seize nouveaux foyers en élevage recensés entre le 13 février et le 13 mars 2023. 
Toutefois, le niveau de risque « élevé » depuis le 11 novembre dernier sur 
l’ensemble du territoire métropolitain reste en vigueur. Cette relative accalmie d’une crise qui secoue la filière avicole depuis deux ans n’atténue pas les inquiétudes car de fortes mortalités sont toujours observées dans la faune sauvage. Le risque de contamination reste important du fait de la baisse des températures et de la forte activité migratoire des oiseaux sauvages. Enfin, la contagion par ce virus - qualifiée de panzootie - s’étend sur plusieurs continents. 

Élaborer une stratégie en urgence

Dans ce contexte, les craintes sont grandes chez les éleveurs de volailles, en particulier chez ceux qui ont fait le choix du plein air. Quant à ceux qui ont connu des abattages, ils se remettent difficilement d’un tel traumatisme. La crise épizootique survenue entre octobre 2021 et mai 2022 s’est soldée par 21 millions de volailles abattues et un coût de plus de 1,2 milliard d’euros en France.
Selon, Maxime Quentin, directeur adjoint et scientifique à l’Itavi, il ne fait aucun doute qu’un vaccin préventif peut contribuer à l’éradication du virus, mais qu’il ne peut être un substitut à la biosécurité. « Le vaccin limitera l’expression clinique des lots contaminés mais ne dispensera pas de l’élimination de lots et n’empêchera pas la diffusion à bas bruit du virus. » Le temps presse. « La mise en place d’une stratégie vaccinale afin que les volailles soient protégées l’hiver prochain nécessite de commander les doses de vaccins pour juin 2023, de recruter les vaccinateurs en lien avec les équipes actuelles et les vétérinaires, de former et auditer les opérateurs en couvoirs et sur le terrain. Il faut aussi prévoir le matériel ad hoc et imaginer le cadre dans lequel le monitoring sous supervision d’un vétérinaire pourrait être réalisé. » 

De 30 à 330 M€ par an

Un travail important dans un contexte encore flou qui est conduit depuis décembre sous l’autorité de la direction générale de l’alimentation (DGAL) par un groupe réunissant organisations avicoles, 
vétérinaires et laboratoires. Deux laboratoires ont présenté chacun deux vaccins disponibles ou en développement. Selon une étude comparant quatre scenarii de stratégie vaccinale, les coûts envisagés pourraient atteindre entre 
30 et 330 millions d’euros (M€) par an en France. La stratégie devrait être arrêtée dès ce mois d’avril. L’État devra prendre en charge les vaccins destinés aux palmipèdes dans un premier temps, selon le consensus actuel. Pour le reste rien n’est encore fixé.  

Diplomatie sanitaire et marché

La mise en place d’une vaccination préventive nécessitait un accord européen afin de ne pas nuire aux échanges des produits de la filière entre les pays de l’Union européenne (UE). Toutefois, les garanties qui pourront être données quant à l’efficacité de la surveillance des schémas vaccinaux seront également importantes pour maintenir les échanges commerciaux avec les pays tiers et préserver ainsi la survie de tous les maillons de la filière française. Des négociations diplomatiques vont 
s’engager en ce sens. La gestion de cette crise se pose également en termes de souveraineté alimentaire, a rappelé Maxime Chaumet, secrétaire général du Comité national de promotion de l’œuf (CNPO). « Nous voulons un engagement de l’État afin de préserver le marché. »

Louisette Gouverne

Vaccination préventive

L’Anses propose trois scénarios

En vue d’une campagne de vaccination contre l’influenza aviaire à l’automne, l’Anses propose, dans un avis publié le 6 avril, trois scénarios pouvant servir de base à la stratégie vaccinale du ministère de l’Agriculture. Dans son scénario 1, l’agence sanitaire donne la priorité aux reproducteurs (sélection et multiplication), toutes espèces confondues, afin de « préserver le potentiel génétique » et « la capacité à remettre en place des animaux » après l’épizootie. Le deuxième scénario y ajoute les palmipèdes gras (stade « prêts à gaver ») ainsi que les volailles en plein air les plus à risque (palmipèdes à rôtir, dindes, poulettes futures pondeuses). Enfin, dans son dernier scénario, l’Anses élargit la vaccination aux autres volailles plein air (chair et ponte), ainsi qu’aux palmipèdes à rôtir et aux dindes élevés en claustration. Rappelant l’endémisation « fortement probable » de la maladie, les experts recommandent de vacciner « quelle que soit la zone géographique, avec une attention particulière en ZRD (zones denses en élevages - ndlr) et ZRP (zones humides - ndlr) ». Estimant que les volailles acquièrent une immunité en « trois à quatre semaines », l’Anses exclut la vaccination d’urgence et celle des « volailles de chair à durée de vie courte » (5 à 6 semaines pour un poulet standard).
Le rapport de l’Anses « fera l’objet d’une évaluation technico-économique d’ici la fin du mois d’avril », indique le ministère de l’Agriculture. Une phase de concertation s’ouvre avec la filière avicole, les vétérinaires et les collectivités en vue d’aboutir « d’ici l’été » à « une stratégie vaccinale opérationnelle ». 

Pondeuses : sous le coup  d’une triple crise

Pour la filière œuf, l’année 2022 a été celle des calamités. Aux effets dévastateurs de l’influenza aviaire, la volatilité des cours des matières premières ainsi que l’augmentation des charges opérationnelles et l’inflation ont abouti à une baisse des ventes d’œufs bio.
En rappelant la guerre en Ukraine et ses effets sur les marchés des céréales, 
Mohammed Bouzidi, économiste à l’Itavi, a indiqué, qu’en deux ans, le coût de production1 en poules pondeuses avait augmenté de 35 % (le coût de l’aliment en représente 60 à 65 %). Par ailleurs, les dégâts de l’influenza aviaire sont restés 
importants en 2023 pour cette filière, puisque 25 foyers ont été détectés dans les Côtes d’Armor, département qui représente 21 % des effectifs de poules pondeuses. « Cette contamination s’est soldée par l’abattage de quinze lots de pondeuses et trois lots 
de poulettes, soit quelque 200 000 poulettes et 1,1 million de poules 
pondeuses, soit 28 millions d’œufs en moins par mois. L’abattage des poules de réforme a chuté de 17 % en 2022, de façon à compenser un peu le manque d’œufs dû à l’épizootie. Quant à la production d’œufs, elle a baissé de 8 % en France en 2022 par rapport à 2021 », a rappelé Mohammed Bouzidi. Une tension qui s’est traduite par une augmentation des importations de 50 % pour les œufs (notamment de Pologne) et une baisse des exportations de 12 % (œufs et ovoproduits). Les prix des œufs calibrés code 3 (poules en cage) ont augmenté en moyenne de 70 % en 2022, selon Tendance nationale officieuse (TNO). Une tendance qui se poursuit en 2023.
Quant à l’inflation, elle a occasionné une réduction sensible des dépenses alimentaires des ménages. En février dernier, le prix de l’œuf a augmenté de 21,7 % par rapport à février 2022 (indice IPC Insee). Toutefois, la demande d’œufs en grande distribution est soutenue en ce début 2023 et ce dynamisme bénéficie aux élevages de plein air au détriment des cages. « La rupture en rayons profite aux œufs sous label et atténue la baisse du bio, un système qui commence à trouver son équilibre », a souligné l’économiste. Au niveau de l’Union européenne (UE), on constate une augmentation des importations en 2022 par rapport à 2021 de 35 % et notamment en provenance d’Ukraine dont les droits de douane sur les produits sont suspendus. En parallèle, les exportations ont baissé de 8 %. Globalement, les disponibilités en œufs ont diminué dans les 27 pays membres de l’UE qui rencontrent des difficultés logistiques. 
L.G.
1 Le coût de production est constitué notamment du gaz, de l’électricité, des produits et services vétérinaires, du bâtiment, des achats de moyens de production.