Politique montagne
Les enjeux pastoraux débattus à 1 650 m d’altitude
Une quarantaine de membres du groupe agriculture du Comité de massif des Alpes s'est réuni à l’alpage-école de Sulens (74). Au menu : prédation, cohabitation des espaces et identité pastorale.

Présidé par François Thabuis, producteur de reblochons fermiers en Haute-Savoie, ancien président JA national et élu à la chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes, le groupe agriculture du Comité de massif des Alpes (lire encadré) s’est réuni le 10 juillet au cœur des Aravis, à l’alpage-école de Serraval. Lors de cette journée ensoleillée d’échanges et de présentations placée sous l’autorité du préfet coordonnateur de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la quarantaine de membres a partagé les réalisations des réseaux pastoraux alpins, pris connaissance des études en cours et a tracé des perspectives structurantes pour les 15 830 exploitations agricoles alpines (808 000 ha de SAU à 78 % en herbe). Réduire la pression du loup sur les alpagistes, mieux organiser l’accueil multi-usages du public dans les espaces fréquentés et poser la stratégie montagne du financement de la PAC post-2027 sont les trois principales priorités du moment.
Réduire la pression de la prédation
Sur le premier sujet, au-delà du lobbying coordonné auprès des décideurs pour tenter de mieux réguler le grand prédateur, les incidents entre promeneurs et patous empoisonnent la vie des éleveurs au quotidien. Les résultats 2022 de l’enquête « Mon expérience avec les chiens de protection » menée par le réseau pastoral Aura ont été détaillés. Seulement 67 morsures ou pincements recensés pour plus de 3 500 chiens de protection auprès des troupeaux. Dans la majorité des situations, l’analyse révèle que c’est l’attitude du promeneur (arrivée rapide et brutale) qui a déclenché la réaction du chien. La médiation exercée par les services pastoraux pour 44 incidents a permis d’éviter des procédures souvent abusives contre les éleveurs.
Fustigeant la « prédation imposée », les dégâts sur la biodiversité et le fantaisiste effectif de 906 loups retenu pour 2023, Fabrice Pannekoucke, vice-président du Comité de massif des Alpes et de la région Aura, veut marteler partout : « Ça suffit ! Prélever 19 % de 906 ou de 2 500 loups, évidemment ce n’est pas pareil et c’est mon seul combat. C’est en donnant des signes physiques clairs aux loups dont le comportement dévie vers les animaux d’élevage que nous pourrons ramener l’équilibre dans nos alpages ».
Éduquer pour cohabiter
François Thabuis, président du groupe agriculture du Comité de massif des Alpes, entouré de Fabrice Pannekoucke, vice-président de la Région Aura, de Carlo Gaschetta, directeur en charge de l’agriculture à la Région, et de Franck Paccard, vice-président de la communauté de communes des vallées de Thônes en charge de l’agriculture. (crédit : BC-TDS)
En s’appuyant sur la formation des prescripteurs touristiques, le travail se poursuit en réseau pour éduquer les visiteurs sportifs et de loisirs aux bons gestes à adopter lorsqu’ils entrent dans les espaces pastoraux. Des clips vidéo de sensibilisation sont aussi diffusés sur les réseaux sociaux et des kits de communication distribués sur les sites. Fabrice Pannekoucke a retenu le travail de sensibilisation à poursuivre auprès des prescripteurs et du public. L’élu régional entend dynamiser ces initiatives au sein d’Aura tourisme qu’il préside. « La liberté en montagne a ses limites, il faut parvenir à un usage raisonnable. Il nous faut recréer du lien avec la population, par exemple sous le slogan : j’aime nos fromages, je protège nos alpages ».
Renforcer les soutiens à la montagne
La visite du groupe dans des prairies à dactyle (milieu typique de l’étage subalpin des prés fauchés et pâturés) menacés par la progression des fourrés d’aulne vert illustrait ces équilibres fragiles et évolutifs.
Les Nations Unies ont proclamé 2026 année internationale du pastoralisme pour faire écho au rôle essentiel que jouent les parcours et pâturages d’altitude : création d’un environnement durable et favorable à la prospérité économique des populations de ces territoires. Le groupe agriculture du Comité de massif des Alpes compte profiter de l’évènement pour remettre les enjeux pastoraux au centre de l’agenda des politiques publiques. D’autant plus que la période coïncidera avec la future programmation PAC post-2027. Christophe Léger, élu à la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc, faisait remarquer que le calendrier de mise en œuvre sera probablement décalé « à 2028, 2029 ou 2030, l’habituel retard à la mise en route ». D’ici là, un manifeste intermassif sera construit, publié et porté. Le document se veut un catalogue d’arguments pour défendre la place de la production agricole en montagne. Ainsi, l’étude présentée par Justine Doloy évaluant les aménités positives des systèmes herbagers sur les milieux naturels, la biodiversité, la séquestration du carbone, l’érosion des sols, la prévention des risques et des incendies de forêts prend tout son sens. Le pastoralisme participe à préserver l’héritage patrimonial alpin et il est un facteur important d’identité territoriale : la vocation laitière et fromagère est affirmée au Nord du massif, l’orientation ovin viande et allaitant domine au Sud. C’est aussi le socle de l’activité touristique car, à l’origine, « ce sont les familles d’agriculteurs qui ont lancé les premiers équipements, comme ici dans les Aravis », glissait François Thabuis.
De plus, la pastothèque, sortie en avril 2023, se veut un référentiel de la diversité des milieux pastoraux alpins. Des fiches caractérisent leur valeur agricole et situent leurs fragilités dans le contexte de changement climatique. La visite du groupe dans des prairies à dactyle (milieu typique de l’étage subalpin des prés fauchés et pâturés) menacés par la progression des fourrés d’aulne vert illustrait ces équilibres fragiles et évolutifs. Ce document attendu contribue à montrer que les espaces d’altitude participent à l’indépendance alimentaire du pays, tout comme les zones intermédiaires de moyenne montagne souvent oubliées des dispositifs de soutien.
La journée était conclue par le directeur adjoint de la Draaf Aura, Jean-Marc Callois, qui a félicité, au nom du préfet de région, tous les participants pour la richesse des interventions.
BC
Le Comité de massif des Alpes
Le Comité de massif des Alpes est l’instance coordinatrice de la politique montagne sur les huit départements français allant du lac Léman jusqu’à la mer Méditerranée. Créé en 1985, il réunit les élus et les acteurs socioprofessionnels du territoire alpin pour un mandat de six ans. Le Comité de massif définit, dans la concertation, les objectifs souhaitables pour le développement, l’aménagement et la protection des Alpes. Le cadre juridique est fixé par le schéma interrégional d’aménagement et de développement du massif des Alpes 2021-2027 (SIMA). Des commissions thématiques sont chargées de mettre en œuvre et de suivre des programmes pluriannuels d’actions, comme le groupe agriculture présidé par François Thabuis, représentant des chambres d’agriculture alpines.
L’alpage-école de Sulens : unique en France
La journée s’est tenue sur l’alpage-école, un site innovant calqué sur le modèle suisse, au service de la formation des jeunes et des adultes aux métiers pastoraux et de la transformation fromagère d’altitude. Une dizaine d’établissements profitent depuis six ans de cet équipement unique en France. Grâce aux 21 couchages et au troupeau de 40 vaches, les apprenants peuvent s’immerger dans la vie d’alpagiste et s’exercer aux soins, à la traite, la fabrication, la vente directe, l’entretien du parcellaire de 65 ha…