Le boum de la grenade !

«Nous étions encore en pleine crise viticole. C'est à ce moment-là, en 2008, que j'ai décidé de planter des grenadiers. Je devais diversifier mon activité et trouver une nouvelle source de revenus ». Installé en 2000 à Bagnols-sur-Cèze (Gard), sur l'exploitation familiale, Thomas Saleilles se retrouve seul lorsque son père et son oncle prennent leur retraite, en 2008. À l'époque, il cultive uniquement de la vigne, en Côtes-du-Rhône mais, face à des prix très bas, il lui faut trouver de nouvelles sources de revenus. « Je me suis intéressé à la grenade, qui connaissait alors un boom aux États-Unis pour ses vertus antioxydantes. » Sentant le vent tourner, il se renseigne sur cette culture et ses besoins : « J'ai visité plusieurs plantations, ainsi que des coopératives spécialisées, en Espagne, à Elche* (Sud-Est), principale région productrice du pays avec 2 000 hectares (ha) cultivés. »
Une conduite sans traitement
Dès 2010, il plante ses premiers grenadiers : « Certaines de nos terres, en dehors de l'aire des Côtes-du-Rhône, étaient en friche. J'y ai planté des grenadiers, notamment sur d'anciennes parcelles maraîchères ou arboricoles, en terres limoneuses et proches du Rhône. » La première parcelle est plantée à Saint-Just-d'Ardèche. Petit à petit, d'autres sont plantées, jusqu'à 11 ha aujourd'hui, à côté des 30 ha de vignes. Pour cela, Thomas Saleilles s'est procuré des plants chez des pépiniéristes en France et en Espagne, avant de produire lui-même ses plants (lire encadré).
« Il faut compter environ cinq ans pour que le grenadier entre en production, souligne Thomas Saleilles. Nous produisons tout en bio, sans trop de difficultés : la peau épaisse de la grenade préserve de toute attaque d'insectes et, pour l'heure, cette culture n'est sujette à aucune maladie cryptogamique. Elle demande donc très peu de traitement. » Coté entretien, le producteur ne taille les arbres « qu'une fois tous les cinq ans ! ». Quant au sol : « on laisse l'herbe en hiver et on le travaille uniquement au printemps et en été ».
Une adaptabilité au climat
Adaptée au climat méditerranéen, la grenade est peu sensible aux fortes chaleurs. « En période de grosses sécheresses, si l'on veut avoir de bons rendements et de la régularité, il est préconisé d'irriguer. Cet été, compte tenu du manque d'eau, j'ai arrosé mes parcelles (environ 25 litres par arbre par semaine), hormis celles qui sont situées en sols profonds et limoneux de bord du Rhône ». Et il précise : « Côté rendement, on peut attendre 20 t/ha irrigué, contre 10 à 12 t/ha non-irrigué. » Certaines variétés de grenadiers présentent également une bonne résistance au froid.
Une culture complémentaire
Thomas Saleilles emploie aujourd'hui un salarié agricole et une commerciale sur l'exploitation, ainsi que des saisonniers pour la récolte des grenades, démarrée cette année au 10 octobre et pour environ trois semaines. « La récolte, manuelle, est assez rapide : on peut ramasser entre 1 et 1,5 t par jour et par salarié. » Aussi, la campagne s'articule aisément avec celle de la vigne. « Les deux activités ne se chevauchent pas mais se succèdent. La production de jus de grenade a par ailleurs de grandes similitudes avec le vin, au niveau des machines notamment. Ces deux activités se complètent bien. » Il ajoute : « Avec les mauvaises vendanges de cette année, la grenade apporte un revenu indispensable : plus de 50 % du chiffre d'affaires. » Cette culture peut aussi s'avérer complémentaire d'une activité arboricole.
De solides débouchés
Si une partie de la production de la ferme « Grenattitude » est vendue en frais, via des grossistes, la majeure partie est transformée en jus dans l'atelier installé en 2013. Il propose aussi aux producteurs de racheter leur production pour en faire du jus. « Le jus de grenade, connu pour ses nombreux bienfaits, est de plus en plus plébiscité. Nous le vendons en direct mais également dans des magasins bio et locaux et via des grossistes. La production française étant encore peu développée, il y a de vraies opportunités » Aussi, le producteur réfléchit-il à de nouveaux produits : « pourquoi pas de la confiture de grenade ! ? »
Mylène Coste
* La grenade Mollar Elche bénéficie d'une appellation d'origine protégée (AOP).
Grenade / Une production française encore balbutiante
C’est l’un des plus anciens fruits connus. De la Grèce antique à l’Égypte ancienne, en passant par la Bible et le Coran, on trouve des mentions à la grenade dans de nombreuses civilisations. Originaire d’Asie, le grenadier est cultivé depuis des millénaires autour du bassin méditerranéen mais, si l’Espagne, la Turquie et les pays du Maghreb en récoltent d’importantes quantités, la production française demeure anecdotique.Présente dans les haies et les jardins dans le sud de l’Hexagone, la grenade n’a jamais été produite de manière significative en France. « C’est pour inverser cette tendance que nous souhaitons mettre en place une filière française de la grenade », souligne Thomas Saleilles, vice-président de la toute jeune Fédération régionale des producteurs de grenades (FRPG) qui réunit une trentaine d’arboriculteurs du Gard, de l’Hérault et du Languedoc-Roussillon. S’il existe peu de chiffres pour évaluer la production, on estimait sa consommation à 3 500 tonnes en France au début des années 2010. Elle aurait triplé en dix ans. « 95 % du jus consommé est importé de Turquie ou d’Espagne, affiche Thomas Saleilles. Il y a donc un créneau à investir pour les producteurs français. »Un projet Feader(1) pour booster le grenadier
Le projet européen « Culture de diversification : le grenadier, conduite au verger et valorisation de produits » a pour objectif l’amélioration de la productivité des vergers en quantité et en qualité. « On se concentre sur les potentialités de la gamme variétale ainsi que la qualité organoleptique des jus et les pistes de valorisation des coproduits et ce, sur trois sites : Sica Centrex (66), SudExpé (30 et 34), indique Xavier Crété, ingénieur en charge des essais à SudExpé. L’idée est d’observer leur comportement dans des conditions différentes, de tester des outils de pilotage et voir quelles sont les conséquences sur la qualité et le rendement de la production. Avec une collection de 30 variétés au départ pour arriver aujourd’hui à plus de 70, on étudie les modes de conduite - notamment les axes verticaux et Tatura (forme en v) -, les itinéraires de production et la caractérisation variétale. Et, enfin, la gestion de l’irrigation ainsi que la problématique de l’éclatement avec trois variétés, l’Acco, la Provence et la Wonderfull. » Dans la Drôme, lors de la dernière exposition variétale à la Sefra(2), les arboriculteurs ont été invités à se prononcer sur l’opportunité d’envisager diverses espèces fruitières - grenade, kaki, amande, figue, olive - au regard du changement climatique ou du marché. Aucune décision n’est encore prise à ce jour. (1) Feader : fonds européen agricole pour le développement rural.(2) Sefra : station expérimentale fruits de Rhône-Alpes.
Bagnols-sur-Cèze / Thomas Saleilles est producteur... mais aussi pépiniériste bio. Sur sa parcelle expérimentale, il observe également le comportement de près de 35 variétés de grenades.
Grenattitude, c’est aussi une pépinière !
Thomas Saleilles s’est d’abord lancé dans la production, avant d’initier sa pépinière de grenadiers bio. Il est aujourd’hui l’un des rares pépiniéristes spécialisés dans la grenade. Il produit des plants de grenadiers de différentes variétés et racines nues pour les producteurs. « Je propose trois variétés principales.La « Provençale », issue d’un arbre centenaire trouvé près de chez moi, est une variété productive et bien adaptée à notre climat. La wonderfull, originaire des États-Unis, donne quant à elle des arbres vigoureux et des fruits au jus rouge intense, très intéressant. Enfin, la variété israëlienne Acco présente certains atouts intéressants : les arbres entrent rapidement en production et donnent des fruits sucrés, idéals pour le jus comme pour la grenade de bouche. »
Outre ces trois variétés, il commercialise des plants d’un, deux ou trois ans en pots dans plus de 35 variétés, dont certaines introuvables en jardineries. « Je continue mes essais dans ma parcelle expérimentale pour trouver des variétés productives, résistantes à la sécheresse mais aussi aux grands gels. Pour cela, j’ai importé des variétés venues de tous les pays du monde, jusqu’au Tadjikistan ! »