Du lait aux œufs : la reconversion du Gaec Gatta
A Montmaur-en-Diois, Jérémy, Patricia et Jean-François Gatta se sont lancés depuis fin 2019 dans la production d’œufs bio pour Valsoleil. Une reconversion totale pour cette exploitation qui produisait du lait depuis presque soixante ans.

Les dernières vaches ont quitté l’exploitation en novembre 2019. Une semaine plus tôt, les trois associés du Gaec, Jérémy et ses parents, Patricia et Jean-François Gatta, avaient réceptionné leur première bande de 24 000 poules pondeuses bio dans deux bâtiments flambant neufs. Une véritable révolution pour cette exploitation qui, au cœur des années 2000, affichait 800 000 litres de quota laitier. « La décision d’aller vers un arrêt de la production laitière s’est prise en 2017, précise Jérémy Gatta. Nous avions subi les crises laitières et les restructurations de collecte. Nous produisions sans aucune visibilité sur les prix. A cette époque, nous avons décidé de passer en bio. Nos pratiques en étaient peu éloignées et nous souhaitions valoriser ce que nous faisions déjà. Mais Sodiaal ne voulait pas de lait bio sur cette tournée. Nous n’avions donc pas de débouchés et, à très court terme, nous risquions d’être les derniers producteurs de la collecte sur notre territoire. » Autant de facteurs qui ont accéléré la décision de cesser l’activité laitière.
1,7 million d’euros HT d’investissement
Pourtant l’exploitation, qui compte par ailleurs 120 hectares de cultures, ne pouvait se passer d’élevage pour disposer de sa propre fumure en bio. « Avec un de mes voisins, qui souhaitait créer un atelier pour s’installer sur l’exploitation de ses parents, nous nous sommes intéressés à la production d’œufs bio. Ensemble, nous avons pris contact avec la banque et mené de front nos dépôts de permis de construire pour les poulaillers », détaille Jérémy Gatta. Pour monter ce projet, ils ont été accompagnés par la coopérative Valsoleil. Le Gaec Gatta a choisi d’implanter deux bâtiments qui permettent chacun d’héberger quatre lots de 3 000 poules dans des espaces séparés, soit au total 24 000 poules. L’investissement représente 1,7 million d’euros HT dont 350 000 euros ont pu être financés par un prêt de Valsoleil, le reste par des emprunts bancaires. Le Gaec a perçu également fin 2020 des aides du Feader et de la Région Auvergne Rhône-Alpes dans le cadre du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations (PCAE).
Entre temps, le Gaec avait préparé cette reconversion en diminuant progressivement le nombre de vaches depuis 2016. « Nous avons fait des croisements par IA avec des races à viande. Les veaux et génisses engraissées ont été valorisés localement, notamment chez un boucher de Châtillon-en-Diois », explique l’éleveur. Les associés ont dû aussi réfléchir à de nouveaux débouchés pour les surfaces qui étaient consacrées à l’alimentation des vaches laitières. Désormais l’assolement compte 60 ha de luzerne, 30 ha de céréales à paille (orge et blé) et 30 ha de soja, maïs, tournesol. « Nous avons trouvé sans problème des acheteurs locaux pour notre luzerne bio. Les autres productions sont livrées à la Drômoise de céréales, au silo de Recoubeau-Jansac », décrivent Patricia et Jérémy Gatta. Des débouchés qui représentent désormais 10 à 15 % du chiffre d’affaires global de l’exploitation.
De la visibilité grâce au contrat en début de lot
L’atelier poules pondeuses est désormais la principale source de revenus. La première bande est entrée le 29 octobre 2019 pour treize mois. « Nous recevons nos poules à 18 semaines et théoriquement nous les gardons jusqu’à 76 semaines. Le prix des œufs et le prix de l’aliment sont contractualisés en début de bande avec Valsoleil, ce qui nous donne de la visibilité. Aujourd’hui nous parvenons à rembourser les emprunts et à dégager un revenu », explique Patricia Gatta. « Et nous sommes moins dépendants de la Pac », précise son fils. Bien sûr, il a fallu prendre en main ce nouvel atelier mais les associés estiment avoir trouvé la bonne organisation. Patricia Gatta se charge tous les matins du tri des œufs, du suivi de l’emballage et du ménage du local soit environ quatre heures de travail. Elle y consacre de nouveau 1h30 l’après-midi. « Nous avons choisi du matériel très performant avec un maximum d’automatismes, décrit-elle. Au départ ça a été compliqué pour moi de m’approprier tout ça. Mais aujourd’hui je n’ai aucun regret d’avoir stoppé mon activité d’assistante maternelle pour ce nouveau métier ». Jérémy Gatta se charge plus particulièrement du suivi des poulaillers qu’il inspecte chaque jour pour ramasser les œufs au sol, effectuer des réparations sur les installations, surveiller les animaux… Son bac pro en électrotechnique lui permet également de résoudre d’éventuels problèmes sur les automatismes. Enfin, son père Jean-François assure l’entretien des 10 hectares de parcours autour des poulaillers. « Nous avons effectué plusieurs visites de poulaillers avant de nous lancer dans notre projet. Aucune des personnes que nous avons rencontrées ne regrettait son choix malgré les investissements à réaliser. Tous nous ont dit : nous aurions dû le faire avant et en plus grand , soufflent la mère et son fils. Bien sûr nous savons qu’un jour ou l’autre nous pouvons être confrontés à un abattage lié à la salmonelle. Il faut s’y préparer et constituer des réserves de sécurité. Quelle que soit la nature de l’élevage, il y a toujours un risque. Heureusement, avec les vaches laitières, nous avons développé une certaine rigueur, que ce soit sur l’hygiène ou les aspects administratifs ». Dans trois ans, Jean-François Gatta prendra sa retraite. Quatre ans après ce sera au tour de Patricia. Jérémy Gatta ne se projette pas encore à cette échéance. Il sait qu’il sera compliqué de céder les parts de ses parents à un nouvel associé. Embaucher un salarié sera peut-être pour lui la solution, en essayant de proposer des conditions attractives pour assurer la continuité de l’exploitation dans les meilleures dispositions possibles.
Sophie Sabot

Repères

La spécialisation en production laitière du Gaec Gatta datait des années 1990. Le Gaec réunissait alors Jean-François et ses deux frères. Progressivement ils ont décidé d’arrêter la production de baby-boeufs (veaux mâles engraissés jusqu’à 3 ans) pour se recentrer sur le lait, jusqu’à atteindre un troupeau de 100 vaches. En 2006, l’un des frères choisit de sortir du Gaec qui accueille alors un jeune associé extérieur. Celui-ci restera deux ans. Patricia Gatta deviendra à son tour associée de 2008 à 2013. Son fils Jérémy est alors salarié de l’exploitation. Elle lui cède ses parts en 2013 et se recentre sur l’activité d’assistante maternelle qu’elle exerce depuis plus de 20 ans. Au départ en retraire de son beau-frère en 2019, elle reprend sa place dans le Gaec avec son mari et son fils. Tous trois exploitent désormais 120 hectares et deux poulaillers poules pondeuses bio, soit 24 000 poules au total.
S.S.
Valorisation des fientes
Les deux bâtiments sur caillebotis couvrent une fosse de 90 cm de profondeur. « Après chaque bande, nous récupérons environ 400 tonnes de fientes, estime Jérémy Gatta. Nous avions mis nos installations aux normes pour les vaches laitières et nous disposons donc d’une aire de stockage avec récupération de jus qui nous servira désormais pour les fientes ». Le Gaec vient d’investir dans un épandeur DPA (débit proportionnel à l’avancement) avec table d'épandage. « Il nous a coûté 45 000 euros TTC et nous comptons l’amortir sur cinq ans. Auparavant, nous achetions pour 15 000 euros d’engrais par an. En valorisant les fientes et en arrêtant ces achats extérieurs, nous devrions très rapidement être gagnants », assure l’exploitant. Cette année, il a épandu 5 tonnes/ha de fientes sur blé, orge et tournesol et 8 tonnes/ha sur maïs.
S.S.
Les bâtiments en chiffres
- Surface au sol de chaque bâtiment (jardin d’hiver compris): 2030 m2.
- Surface intérieure par lot de 3000 poules (intérieur + jardin d’hiver) : 500 m².
- Surface extérieure : chaque lot de 3000 poules a accès à un parcours de 1,2 ha.
- Système thermodynamique : t° hiver du bâtiment à 17°c et système de refroidissement avec brumisateur et ventilation l’été + parcours extérieur arboré.
Rappel : la réglementation prévoit que les poules pondeuses bio sont au maximum 3 000 par lot. Plusieurs lots peuvent être élevés dans la même salle d’élevage à condition d’être séparées par une cloison grillagée allant du sol au plafond, pleine et étanche en partie basse. L’interprofession française de la filière œufs (CNPO) recommande de ne pas dépasser 12 000 poules pondeuses par bâtiment et 24 000 poules pondeuses par exploitation.