En 2003, Patrick Tourre a acheté une ancienne bâtisse située à Olliergues dans le Livradois-Forez, afin d’y fabriquer des crayons artisanaux en bois. Réputé pour sa gaieté et la beauté de ses créations, l’artisan a pris l’habitude d’ouvrir ses portes aux visiteurs les plus curieux.
Son atelier est aussi imparfait que la forme de ses crayons. Depuis plus de vingt ans, Patrick Tourre fabrique des morceaux de bois pour le plaisir des petits comme des grands. Installé à Olliergues, au cœur du Livradois-Forez, l’artisan reçoit près de deux mille visiteurs par an. Il faut dire que la visite vaut le coup d’œil : des fabricants de crayons artisanaux, il n’en existe que deux en France. « J’ai commencé cette activité en Haute-Saône, dans une usine désaffectée située dans le méandre d’une rivière. » Une première expérience qui lui a d’ailleurs inspiré le nom de son atelier auvergnat : L’île aux crayons. « J’avais d’abord pensé à “Crayons sauvages“, mais c’est un peu trop revendicatif », raconte le bonhomme de quasi deux mètres, un grand sourire aux lèvres. Posters du mythique groupe The Cure, de Nougaro ou encore des Rita Mitsouko, bancs d’écoliers posés ici et là, pléthore de sciures de bois et de poussières qui se distinguent dans les rayons du soleil, tapis anciens, fagots en bois qui attendent sagement d’être travaillés… Le terme « île sauvage » pourrait très bien décrire son atelier d’artiste, dont la devanture serait, selon lui, « la plus pourrie du village ». « L’habitation qui se situe à l’étage était un hôtel et le rez-de-chaussée une salle de bal », raconte l’homme aux yeux bleus qui expriment à eux seuls l’amour éprouvé pour ce lieu de plus de 500 m² et où l’inscription « Hôtel du commerce » est encore visible.
Une pincée d’humour et une grosse dose de pédagogie
Le proverbe « ne jamais se fier aux apparences » pourrait parfaitement coller à cet endroit. Si l’extérieur n’est pas très vendeur, l’intérieur cache de nombreux trésors. Entre les mois de novembre et mars, Patrick Tourre ramasse minutieusement des branches de bois de saule qu’il s’applique à faire sécher durant neuf mois, avant de les transformer en authentiques crayons. Et le choix de la matière première n’est pas laissé au hasard. « Auparavant, j’utilisais différentes essences de bois, mais j’ai rapidement remarqué que les acheteurs posaient les crayons dans des pots et ne les utilisaient pas. L’avantage du saule, c’est qu’il se garde longtemps, se taille bien et patine avec le temps. » Après les explications, place à la pratique. Devant les yeux ébahis d’une famille venue de Vertaizon (Puy-de-Dôme), l’artisan perce d’un côté et de l’autre un morceau de bois de 22 centimètres précédemment taillés, afin d’y introduire une mine de chaque côté. Une fois percé, l’artisan colle la mine composée de kaolin et de pigments de synthèse qu’il achète à un industriel. « Ma production n’est pas suffisante pour que je les fabrique moi-même », indique celui qui propose une palette de vingt couleurs et crée six mille crayons par an. Une fois séché durant 48 heures, puis attentivement taillé, le crayon est prêt à rejoindre les autres placés à l’entrée de l’atelier, dont le très apprécié « tutti color », doté d’une mine de quatre couleurs qui permet une « écriture arc-en-ciel » et plusieurs types de crayons à papier fabriqués avec des mines graphites. « Dans la gamme industrielle, la mine est trempée dans de la graisse de mouton, il vaut mieux donc éviter de les acheter si vous êtes vegan », affirme l’artisan, dont l’humour et la pédagogie ne manquent pas et qu’il aime par-dessus tout partager avec ses visiteurs.
Léa Rochon
L’île aux crayons se situe au 29 av. Rhin et Danube, 63880 Olliergues et propose des visites toute l’année sur rendez-vous.
Plus d’informations sur https://ileauxcrayons.com/ ou au 04 73 72 92 49.
Des stations pétrolières au Livradois-Forez
Né en Tunisie, Patrick Tourre l’affirme : son père agriculteur refusait le terme « paysan ». « Ils possédaient vingt-cinq hectares de vignes qui suffisaient à nourrir la famille… Mais une fois arrivés en France, dans le Tarn-et-Garonne plus exactement, ils en ont bavé, il a fallu défricher un endroit couvert de forêt et qui servait à la chasse, afin d’y installer des vaches, du maïs, du soja et du blé. » Avant de se passionner pour le bois et les crayons, le titan a exercé bien des métiers. Producteur de tournées à Paris durant dix ans, l’ambiance et les caprices de stars ont fini par le lasser. Sa formation de frigoriste en poche, le colosse a ensuite eu l’opportunité d’aller travailler sur des stations pétrolières. « J’ai fini par subir un licenciement économique à 35 ans, ce qui m’a fait prendre conscience que je voulais changer de monde, radicalement, et me rapprocher de la nature… D’autant plus que je forais déjà sur les plateformes ! » C’est finalement au cœur du Pays de Galles que l’idée des crayons artisanaux lui est venue. « Je vendais du bois sur des marchés, mais ça ne marchait pas, relate l’artisan. J’ai vu quelqu’un vendre des mines à Cardiff et ça m’a inspiré, en plus de ma volonté d’être mon propre patron. » Un pari plus que réussi.
L. R.