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Un an pour parcourir la France à vélo  et rencontrer les agriculteurs

Étudiant en droit à Toulouse, Raphaël Caviglioli a entrepris un projet personnel et professionnel inédit. Durant un an, le jeune homme de 21 ans va traverser la France en train et à vélo pour passer une semaine au cœur d’une dizaine d’exploitations agricoles.

Un an pour parcourir la France à vélo  et rencontrer les agriculteurs
Depuis le 1er novembre, Raphaël Caviglioli arpente la France à vélo pour rencontrer des agriculteurs et leur proposer de travailler une semaine sur leur exploitation en échange du logis et de la nourriture.

C’est après l’obtention de sa licence en droit international et européen, en mai 2022, que l’idée lui est venue. Tandis qu’il partait sur les traces du chemin de Compostelle, Raphaël Caviglioli a fait une rencontre bouleversante : celle d’un éleveur de bovins lait en Lozère. « J’ai dormi sur son terrain une nuit, ce qui m’a permis de discuter avec lui durant la traite, relate le jeune homme. C’était la première fois que je voyais une vache d’aussi près, mais ce qui m’a le plus marqué, c’est sa situation précaire… Il n’avait pas pris un seul jour de congés depuis dix-huit ans. Il s’en sortait en transformant le lait en 
fromages directement sur sa ferme. Mais sans ça, il n’avait pas de quoi s’acheter à manger. » L’étudiant a alors ressenti un sentiment d’injustice. 
« L’agriculture est indispensable, ce sont les agriculteurs qui nous nourrissent, je ne trouvais pas cette situation normale ! » 
Le jeune homme, originaire de Corse, a finalement décidé de ne pas entamer une nouvelle année d’études à Toulouse. « Un mois après ma rencontre avec cet éleveur en Lozère, j’ai fait un stage d’un mois chez un céréalier dans le Pas-de-Calais, détaille-t-il. La situation de sa ferme était bien plus viable, il vivait également de la culture de pommes de terre et de betteraves. Mais grâce à lui, j’ai compris à quel point le métier d’agriculteur était technique. »

Les grandes cultures et l’élevage comme fil rouge

Une fois rentré, sa décision était prise. Le jeune toulousain allait prendre une année de césure pour entamer un Tour de France à vélo d’un an, à la rencontre des agriculteurs. Son projet « Raph à la Ferme » était né. Après quelques mois à travailler dans un hôtel pour financer son périple, l’aventure a 
démarré le 1er novembre 2022 depuis Toulouse, direction le Lot. Mais la France agricole est vaste. De façon à cibler les exploitations sur lesquelles il allait se rendre, Raphaël Caviglioli a choisi de suivre le recensement  agricole de 2010 et de se concentrer sur les exploitations les plus 
représentées à cette époque : les grandes cultures et l’élevage de vaches laitières et allaitantes. « Certes, le recensement de 2020 a montré la baisse de la production de bovins lait, mais je tenais à la garder car elle représente la production la plus en difficulté et ma première rencontre avec l’agriculture », justifie le baroudeur. 
À chaque étape de son aventure, le jeune homme prévoit de rester une semaine. Le principe ? Être logé et nourri contre son aide sur l’exploitation. La semaine terminée, il adresse un questionnaire à chacun de ses hôtes. Une façon de découvrir plusieurs facettes du métier d’agriculteur et de mieux comprendre les besoins de chaque exploitation.  « Il m’avait appelé le jour de son arrivée, se remémore l’éleveur laitier Fabrice Biscarat, une pointe d’ironie dans la voix. Cela fait toujours plaisir de faire découvrir le métier, surtout lorsque l’on dispose d’une chambre en plus. » Ce qui a permis au jeune homme de découvrir le fonctionnement de la coopérative laitière de Neuvéglise (Cantal), qui perdure depuis plusieurs générations. « Grâce à cette coopérative, les éleveurs décident du prix de revente du lait et ont ouvert un magasin pour vendre leurs produits », note Raphaël Caviglioli, impressionné par la capacité de la coopérative à s’être modernisée et adaptée.

Inscrit en BTS agricole à distance en parallèle

Si le jeune homme s’intéresse autant aux modèles économiques des exploitations, c’est avant tout parce qu’il a décidé de suivre un BTS agricole à distance. « Il est orienté sur la comptabilité et la gestion car je considère que c’est la première chose qu’un exploitant doit connaître pour gérer au mieux son exploitation », explique-t-il. À terme, Raphaël Caviglioli ne compte pourtant pas s’installer. Mais une fois son Tour des fermes terminé, son cœur balance entre un Master dans l’environnement ou en droit rural.

Léa Rochon

Carte du parcours (©Freepik I Apasec - Laurence Nodon)

BILAN

« Les agriculteurs sont souvent lésés par les intermédiaires » 

Parti le 1er novembre et après une pause pour se rendre au Salon international de l’agriculture, Raphaël Caviglioli dresse le bilan de son périple. En l’espace de cinq mois, le jeune homme a rencontré des agriculteurs du Lot, du Cantal, des Hautes-Alpes, des Ardennes et du Pas-de-Calais. De l’élevage laitier, aux vaches allaitantes en passant par la culture du blé, du maïs et des légumes ou encore l’élevage de brebis, l’étudiant a pu découvrir de nombreuses techniques et problématiques. « Je trouve qu’aucune exploitation ne se ressemble, c’est donc difficile de faire une généralité, déclare-t-il. Beaucoup d’agriculteurs se plaignent de la paperasse administrative, j’ai l’impression que certains préféreraient avoir moins d’aides de la politique agricole commune (Pac) et que leurs produits soient mieux valorisés. D’autant plus que les conséquences de la loi Égalim ne se ressentent pas encore assez sur le terrain. Les agriculteurs sont souvent lésés par les intermédiaires qui se font une marge assez importante sur le prix de vente final. »
Des moments de vie marquants
Pour un non-initié, vivre sur une exploitation agricole comporte forcément son lot de découvertes. Au cours de son périple, Raphaël Caviglioli a notamment eu l’occasion de faire agneler une brebis pour la toute première fois de sa vie. « C’était émouvant et impressionnant, car même si j’étais sous la supervision de l’agriculteur, j’ai sorti l’agneau du ventre de sa mère », 
relate-t-il avec une certaine émotion. Outre l’acquisition de ces gestes techniques, le jeune homme se souvient avec vivacité d’un échange avec un éleveur. « Lorsque je suis arrivé chez lui, je lui ai demandé combien de vaches il possédait ?
Il m’a répondu “assez pour rembourser mes emprunts” ». Une réponse finalement anodine pour bon nombre d’éleveurs. « Mais la sienne était tellement instinctive, que cela m’a beaucoup marqué ». 

L.R.

POINT DE VUE : « Un Salon international de l’agriculture à deux vitesses »
Selon Raphaël Caviglioli, le Salon international de l’agriculture est une vitrine importante de l’agriculture française, mais qui ne permet pas aux visiteurs et aux consommateurs de prendre conscience des difficultés rencontrées par les éleveurs.

POINT DE VUE : « Un Salon international de l’agriculture à deux vitesses »

Raphaël Caviglioli a arpenté le Salon international de l’agriculture durant plus d’une semaine. Cette virée parisienne lui a permis de comparer ce qu’il a découvert durant son Tour des fermes et l’image que le Salon reflète de l’agriculture. « J’ai un point de vue plutôt nuancé… C’est à la fois un événement important pour le monde agricole puisque cela permet aussi aux agriculteurs d’avoir du poids pendant une semaine et que les citadins et les enfants voient ces animaux, explique-t-il. Mais de mon point de vue, c’est un Salon à deux vitesses, avec d’un côté les éleveurs qui ont du mal à boucler leurs fins de mois, et à côté d’eux, des stands d’entreprises industrielles qui ne les payent pas forcément bien. Mais cette incohérence, les visiteurs ne la voit pas forcément puisqu’ils n’ont pas la connaissance du milieu. Ce Salon mériterait d’être plus authentique et de ne pas seulement montrer des vaches parfaitement tondues et brossées. Je pense que si les visiteurs avaient plus conscience de ce que vivent les éleveurs au quotidien, ils feraient plus attention à ce qu’ils achètent. » 
L.R.