Quelle(s) agriculture(s) pour quels consommateurs ?
« Consommateurs exigeants recherchent producteurs engagés ». Tel était le thème central de l’assemblée générale d’Agridées qui s’est tenue mi-juin à Paris.

Le consommateur est devenu « exigeant et contraint », résume Isabelle Senand, directrice des études de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Pour Eloi de la Celle, directeur des achats de Mac Donald’s France, « il est évolutif ». Fabien Gastou, co-fondateur de Beesk, une plateforme anti-gaspillage, pense que le consommateur est devenu « engagé et militant ». Face à lui, on trouve des agriculteurs « à l’écoute », indique Marie-Cécile Damave, responsable Innovations et Affaires internationales à Agridées, S’il est « entrepreneur », pour Jean-Paul Bordes, directeur de l’Acta, il est surtout « impliqué », ajoute Stéphane Fautrat, agriculteur, co-fondateur de Carrément Local. « Il est avant tout résilient », affirme Laurent Joyet, directeur adjoint de la chambre d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes.
Défi compliqué
Comment donc l’appareil productif agricole et agroalimentaire peut-il répondre aux attentes d’un consommateur exigeant et parfois schizophrène quand il demande toujours des aliments de qualité aux prix les plus bas ? « Il devra répondre aux cinq défis que sont la modification de l’environnement, l’accélération de la transition agroécologique, investir la bioéconomie mais aussi l’intelligence artificielle et enfin répondre à l’approche globale “One Health” (santé globale) », a détaillé Philippe Mauguin, président de l’Inrae. Il lui faut également s’ancrer dans le local qui reste une attente forte du consommateur en temps de crise car il veut protéger son bassin de consommation et d’emplois, a indiqué Isabelle Senand. Parce que le comportement alimentaire change et s’oriente vers « une végétalisation des assiettes » selon Yves Le Morvan, responsable filières et marchés à Agridées, et que « la tendance environnement est une exigence des jeunes générations » selon Emmanuelle Paille, directrice de la communication du fromager Bel, les acteurs agricoles et agroalimentaires devront nécessairement s’adapter, estiment à mots à peine couverts les intervenants d’Agridées. Le défi sera d’autant plus compliqué à relever que la population mondiale va croitre de trois milliards d’habitants supplémentaires dans les trente ans qui viennent.
Reconstruire le lien
Au plan local, Stéphane Fautrat témoigne qu’il est possible de changer ses pratiques, d’engager son exploitation agricole vers la transition écologique, de la développer et par conséquent d’en vivre décemment. Le consommateur cherche d’ailleurs, dans les produits qu’il achète, à être rassuré sur les modes de production : bio, raisonné, HVE, sans résidus de pesticides etc. Si l’étiquetage, les QR Code et les blockchains permettent d’informer en grande partie les consommateurs, « il faut faire attention aux dérives d’usage et aux outils intrusifs » prévient Marie-Cécile Damave, à propos, notamment, des caméras de surveillance qui pourraient être installées dans des abattoirs au nom d’une pseudo-transparence. Cependant, un jour ou l’autre, il faudra « passer du marketing de la promesse au marketing de la preuve », a-t-elle prévenu. « On passera ainsi de l’obligation de moyens à celle de résultats », a lancé Hervé Pillaud, agriculteur et vice-président de la FDSEA de Vendée. Pour Patrick Caron, Président d’Agropolis International, le défi à relever est le suivant : « produire sain en protégeant l’environnement et la biodiversité et faire en sorte que les agriculteurs vivent de leur métier », et que leurs « externalités (paysages, bien-être animal…ndlr) soient rémunérées ». A condition que le consommateur veuille y mettre le prix. « Il faut donc reconstruire le lien entre l’agriculteur et le consommateur et récréer un pacte pour éviter d’alimenter le conflit sous-jacent entre d’un côté les “bobos” comme les appellent les agriculteurs et de l’autre “les empoisonneurs” tels que les surnomment une partie des consommateurs ». Manifestement, il reste encore du chemin à parcourir.